vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu critique, concert. Bratislava, Reduta, le 11 avril 2017. Récital lyrique de Javier Camarena, ténor

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Compte-rendu critique, concert. Bratislava. Reduta, le 11 avril 2017. Récital lyrique de Javier Camarena, ténor. Adriana Kučerová, soprano. Slovenská Filharmónia. Jaroslav Kyzlink, direction musicale. Il est des concerts rares dont on sait dès les premières notes qu’ils nous marqueront pour longtemps, tant en un instant nous sommes transportés dans des sphères peu souvent atteintes. C’est le cas de cette soirée inaugurant les débuts du ténor Javier Camarena dans la ville de Bratislava, au milieu des blancs et des ors de la magnifique Reduta qui abrite en son sein la Philharmonie Slovaque.
Un très bel orchestre, un peu bruyant parfois, mais aux pupitres splendides, ce qui nous vaut de magnifiques soli, et des musiciens à l’enthousiasme communicatifs, galvanisés qu’ils sont par la direction enflammée mais toujours attentive du chef tchèque Jaroslav Kyzlink, qui parvient à éveiller notre intérêt dans des morceaux aussi connus et rabâchés que la Bacchanale de Samson et Dalila ou encore l’Ouverture de La Force du Destin.

Sacre slovaque pour Javier Camarena

CAMARENA tenor Javier_camarena_scaledIl est encore plus rare de voir un public au bord de l’hystérie à peine la première pièce vocale achevée. C’est pourtant ce qui a eu lieu ce soir, comme une explosion de joie en réponse à la splendeur de l’air de Tebaldo extrait des Capuleti belliniens avec lequel le ténor mexicain ouvrait le bal. Bien plus qu’un air de chauffe, plutôt une lente cantilène amoureusement ciselée suivie d’une cabalette électrisante, couronnée par un contre-ut retentissant et absolument superbe, le premier d’une longue série. Car tous ces morceaux, de bravoure ou non, s’enchaînent ainsi avec la même perfection dans l’émission, la même tendresse dans la douceur, le même mordant dans la vaillance et la même richesse dans l’aigu, dont l’abord est chez ce ténor un art en soi. Il faut le voir, une fois le passage franchi, attaquer les notes dans un parfait aperto-coperto réalisé à une hauteur rarissime de place vocale, pour mesurer pleinement ce qu’est un véritable aigu de ténor, celui d’un immense technicien du chant. Mais toute cette technique se révèle toujours au service du musicien, de l’interprète, désarmant de sincérité et l’émotion toujours à fleur de lèvres, entier comme peu d’artistes aujourd’hui et visiblement heureux de partager sa voix avec le public.
Il serait inutile et fastidieux de détailler tous les airs, tant on serait forcés de manier l’hyperbole et la surenchère pour décrire les cimes où cette soirée nous a conduits. Limitons-nous donc à évoquer la brillance jubilatoire de Ramiro, l’émotion irrépressible qu’a produit sur nous son Edgardo et qui promet une prise de rôle majeure la saison prochaine tant dans la carrière du chanteur que dans l’Histoire de l’interprétation de ce personnage, et à admirer la noblesse absolue de son Arturo – toujours illuminé par un contre-ut dièse unique aujourd’hui –. Arrêtons-nous un instant sur un Nadir murmuré dans une exquise voix mixte pourtant parfaitement sonore, pour une Romance sans rivale à notre époque, avant de nous remémorer son Duc de Mantoue poignant de sincère tendresse – et avec quel legato de velours – et de jubiler une fois encore avec son Tonio se jouant des neuf contre-uts qu’on n’a jamais entendus in vivo aussi pleinement chantés et qui achèvent de soulever la salle en une immense ovation pleinement méritée.
Admirable également, sa prévenance à l’égard de la soprano slovaque Adriana Kučerová qui fait bien plus que lui donner la réplique durant ce concert. Emue et comme intimidée à son entrée, la jeune chanteuse se tire non sans appréhension mais avec les honneurs de la scène finale de la Somnambule bellinienne. Galvanisée par son partenaire qui la soutient pleinement et lui transmet toute l’énergie possible, elle se libère enfin dans les Puritains, déployant des moyens qu’on ne soupçonnait pas. A nouveau un peu tendue dans la Juliette de Gounod, elle se donne toute entière dans Gilda, offrant une belle performance dans son air et surtout offrant le meilleur d’elle-même dans le duo avec le Duc, lançant même de très beaux aigus.
La dernière note achevée, le public se lève d’un bond pour acclamer bruyamment les deux artistes et tout particulièrement, on s’en doute, Javier Camarena qui, en un soir, a conquis Bratislava. L’heure des bis a sonné : le ténor explique en anglais que cette soirée représente quelque chose de particulier pour lui, à savoir des débuts dans un lieu nouveau, et annonce, comme un lien de fraternité, la mélodie mexicaine « Alma mia » composée par Maria Grever, qu’il interprète avec un charme et une finesse à faire fondre les cœurs. C’est ensuite au tour d’Adriana Kučerová de se lancer dans une mélodie slovaque bien connue des spectateurs qui applaudissent en en reconnaissant les notes. Durant la chanson, la porte de la salle s’entrouvre discrètement, pour livrer passage à… Javier Camarena qui, armé d’une tablette électronique, rejoint sa camarade sur scène et, faisant l’effort de déchiffrer la langue slovaque qu’il ne connait absolument pas, chante avec elle, pour la plus grande joie du public. La salle est à nouveau debout, applaudissant à tout rompre, semblant ne jamais vouloir s’arrêter. « En voulez-vous une autre ? » s’enquiert le ténor, et devant l’acquiescement général, s’exécute avec le célèbre « Granada » d’ Agustín Lara. Dans un véritable feu d’artifice vocal, le chanteur multiplie les notes tenues à l’infini et les cadences électrisantes… pour repartir de plus belle dès que les bravi éclatent, avant de clore la soirée sur le contre-ut le plus spectaculaire de mémoire de mélomane.
Bratislava à ses pieds : une victoire de plus pour Javier Camarena. Un triomphe qui, le temps d’une soirée inoubliable, a pris des airs de sacre, celui d’un des plus extraordinaires ténors du monde et de notre temps.

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Bratislava. Reduta, 11 avril 2017. Gaetano Donizetti : Don Pasquale, Ouverture. Vincenzo Bellini : I Capuleti e i Montecchi, « E serbato a questo acciaro… L’amo tanto ». Gioachino Rossini : La Cenerentola, « Si, ritrovarla io giuro ». Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment, Ouverture. Lucia di Lammermoor, « Tombe degli avi miei… Fra poco a me ricovero ». Vincenzo Bellini : La Sonnambula, « Ah ! non credea mirarti… Ah ! non giunge ». I Puritani, « A te o cara » ; « Vieni fra queste braccia ». Camille Saint-Saëns : Samson et Dalila, Bacchanale. Charles Gounod : Roméo et Juliette, « Je veux vivre dans ce rêve ». Georges Bizet : Les Pêcheurs de perles, « Je crois entendre encore ». Giuseppe Verdi : La Forza del destino, Ouverture. Rigoletto : « Signor ne principe… E il sol dell’anima » ; « Ella mi fu rapita… Parmi veder le lagrime » ; « Gualtier Maldé !… Caro nome ». Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment, « Ah ! mes amis, quel jour de fête ». Javier Camarena, ténor.  Adriana Kučerová, soprano. Slovenská Filharmónia. Jaroslav Kyzlink, direction musicale

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