Pour sa troisième édition, après Puteaux et Catane, la finale du Concours International de Belcanto Vincenzo Bellini, toujours dirigé avec passion et enthousiasme par Youra Nymoff-Simonetti et Marco Guidarini, a pris place dans le vaste et bel Auditorium Landowski du CRR de Paris, à l’acoustique remarquable. Un véritable écrin pour juger au mieux des possibilités vocales de chacun des participants. Le concours a conservé sa spécificité belcantiste, centré autour de Bellini, dont un air est obligatoirement exigé, et servant également Rossini et Donizetti. Une spécialisation qui rend la tâche difficile aux candidats, ce répertoire demandant labeur et sacerdoce, exigences souvent peu compatibles avec un début de carrière, où l’éclectisme des styles et des langues est souvent de mise.
Et la surprise vint d’où on ne l’attendait pas
Pareil constat peut être fait au sujet des membres du jury, venus d’horizons très divers. Qu’on en juge : le producteur Alain Lanceron, la célèbre soprano Mady Mesplé, la metteur en scène Mireille Larroche, Isabelle Masset, directrice artistique adjointe de l’Opéra de Bordeaux, le musicologue Gioacchino Lanza-Tomasi et le chef Davide Livermore. Autant de personnalités musicales de premier plan, mais dont le centre d’intérêt principal n’est peut-être pas toujours exclusivement le bel canto, son esthétique et sa technique.
Première des six finalistes à concourir, la soprano coréenne Heera Bae ouvre le bal avec la scène de la folie de l’Elvira bellinienne « Qui la voce sua soave » tirée des Puritani. Le timbre est d’une belle qualité, l’émission pleine et ronde, et le phrasé bien déroulé, avec de jolies nuances et une agilité maîtrisée, un suraigu percutant couronnant cette prestation prometteuse.
Lors de son second passage, elle offre une excellente interprétation de la scène « Par le rang et par l’opulence », tirée de la Fille du Régiment de Donizetti. Si le français pâtit un rien de cette émission très arrondie, la chaleur du médium et le délicat rubato de la ligne de chant achèvent de convaincre, bien que le « Salut à la France » manque de folie et d’audace. Une belle personnalité musicale, qu’on aura plaisir à suivre.
Second à se présenter, le ténor français Paul Gaugler déconcerte. Dans « Ange si pur » tiré de la Favorite donizettienne, il affiche une émission vocale étrange, sonnant très en arrière, comme avalée, avec un médium large et sonore, mais un aigu – d’apparence pourtant facile – semblant se rétrécir et donné dans une voix de tête manquant de connexion, comme une construction vocale à l’envers. La maîtrise du souffle est à saluer, ainsi que les nombreuses nuances dont il parsème la partition.
L’étonnement demeure lors de sa seconde prestation, avec le très ardu « Nel furor delle tempeste » du Pirata de Bellini. La rapidité de l’écriture vocale semble l’empêcher de réaliser correctement le passage, souvent ouvert, et la connexion au corps peine à se faire pleinement, rendant ainsi la voix souvent peu sonore. La largeur de la tessiture couverte par le morceau ne lui facilite pas les choses, paraissant morceler son émission par registres, jusqu’à un suraigu efficace mais en complet falsetto, tranchant avec la vaillance du médium.
Selon nous, un beau ténor lyrique aigu, qui gagnerait à concentrer son émission et à moins appuyer le milieu de sa voix, permettant ainsi à un aigu qu’on devine étendu et tranchant de s’épanouir dans toute sa plénitude.
Troisième candidate, la soprano chinoise Liying Yang, qu’on a pu apprécier le mois passé en Corse, lors du Concours de Canari. Les qualités de la jeune femme demeurent, avec cette pureté adamantine du son et une belle sensibilité musicale. Néanmoins, le choix des airs mettait ce soir à nu comme une faiblesse dans l’énergie et le soutien de la voix.
Son premier morceau, l’air de Giulietta « O quante volte » extrait des Capuleti e i Montecchi de Bellini, demeure, malgré les apparences, redoutable à exécuter, par la linéarité conjointe de sa ligne de chant, le legato absolu qu’il requiert et la nudité de la voix que son écriture expose, sans cabalette pour donner le change. La chanteuse a ainsi semblé parfois à court de souffle et de plénitude vocale, ne retrouvant pas ce soir, sauf dans les dernières phrases, l’émission merveilleusement flottante qui lui avait permis, à Canari, de sculpter une Sonnambula superbement rêveuse.
Le « Qui la voce sua soave » des Puritani belliniens expose la même petite forme, ainsi qu’une cabalette trop sage. Un soir sans, peut-être.
Quatrième postulante, la mezzo-soprano italienne Sonia Maria Fortunato. Dans ses deux airs, la chanteuse fait admirer une grande voix, mais donne surtout à entendre une émission vocale cumulant tous les défauts. Sons grossis, tubés, engorgés dans leur placement, artificiels dans leur couleur, coups de glottes en guise d’attaques, graves lourdement poitrinés et écrasés, premier passage difficile à gérer, aigus puissants mais lourds, grelottants et pas toujours justes, symptômes de l’effort qu’ils demandent en terme de soutien…, on reste attristés par un tel gâchis sur des moyens aussi importants et de cette qualité. Tant dans « Se Romeo t’uccise un figlio » tiré des Capuleti belliniens que dans « Ô mon Fernand » extrait de la Favorite de Donizetti, on ne sait qu’écrire, sinon que ce superbe instrument demanderait urgemment d’être totalement reconstruit tant dans le geste vocal que dans la conception même du son.
Sixième candidate, la soprano française Odile Heimburger se lance dans la Sonnambula bellinienne. « Ah non credea mirarti » met en exergue une ligne manquant de legato, mais de très beaux piani, hauts et clairs. La cabalette « Ah non giunge » lui permet de faire valoir l’aisance de son suraigu, malgré des vocalises pouvant gagner encore en précision.
Avec « Par le rang et par l’opulence » de la Fille du Régiment, elle démontre une belle diction, claire et compréhensible, mais trop de soufflets dans un phrasé demandant davantage de régularité. Le médium manque un peu consistance et le second passage apparaît par instant peu soutenu, mais « Salut à la France » lui donne l’occasion de rajouter quelques notes suraigües qui font leur effet par la facilité avec laquelle ils sont lancés.
Nous gardons pour la fin la plus grande surprise de la soirée, avec la prestation époustouflante de la soprano franco-géorgienne Anna Kassian (ou Kasyan, selon l’orthographe). Le souvenir qui nous restait d’elle était celui d’une bonne chanteuse de concours, toujours propre et professionnelle, mais pas réellement enthousiasmante. Quelle ne fut pas notre stupéfaction de la voir et l’entendre ce soir, réellement accomplie dans l’écriture et le style propres au bel canto, mais plus encore comme une véritable bête de scène à la grandeur tragique digne des plus grandes.
Son premier air, l’exigeant « Era desso il figlio mio », scène finale de Lucrezia Borgia de Donizetti, force le respect. Si durant les premières phrases, la voix et le jeu semblent devoir encore s’assouplir, la reprise piano la trouve transfigurée, littéralement habitée par son rôle, et c’est avec brio qu’elle conclut l’air, se tirant avec les honneurs des difficiles vocalises qui amènent les dernières notes.
Mais c’est avec l’ultime scène d’Imogene « Col sorriso d’innocenza » tiré du Pirata de Bellini que la chanteuse cloue l’assistance sur place. Dès la longue introduction au piano, son port de reine et l’émotion silencieuse qu’elle transmet, ainsi que cette façon très visible de pénétrer peu à peu au fond de son personnage, tout fait pressentir un grand moment d’art lyrique. Le récitatif confirme cette impression, chacun des mots pesant son poids, un simple regard ou une respiration soulignant l’affect que l’interprète exprime. Le cantabile de l’air se déploie, archet à la corde, riche palette de couleurs et nuances irisées, émotion retenue et pudeur musicale : à la différence des autres participantes, pour elle la compétition semble avoir disparu, seule demeure Imogene, vraie figure tragique.
L’intensité dramatique monte encore en puissance avec une cabalette d’une indiscutable autorité et des terrifiantes agilités parfaitement maîtrisées, l’artiste semblant se dépasser elle-même. Et c’est une immense ovation qui salue ce qui apparaît pour nous comme la naissance d’une grande tragédienne lyrique. Voilà celle qui aurait du incarner la Vestale pour sa recréation parisienne au Théâtre des Champs-Elysées.
C’est tout naturellement qu’une telle incarnation bellinienne s’est vue couronnée par le premier prix, une récompense amplement méritée.
Paris. Auditorium Landowski du Conservatoire à Rayonnement Régional, 24 octobre 2013. Troisième Concours International de Belcanto Vincenzo Bellini : Finale. Rossini, Bellini, Donizetti. Patrick Ivorra et Julien Mouchel, piano