lundi 15 avril 2024

COMPTE-RENDU, concert. PARIS, Philharmonie, le 22 mars 2018. BERNSTEIN : MASS. Sykes, Wayne Marshall, direction

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Leonard LeaningCOMPTE-RENDU, concert. PARIS, Philharmonie, grande salle, le 22 mars 2018. BERNSTEIN 2018 : MASS. La vague Bernstein prend des airs, en cette année de centenaire planétaire, de… revanche, surtout à Paris. De son vivant, la carrière du chef a toujours éclipsée celle du compositeur ; or malgré le succès incontestable de West Side Story (1957), l’auteur a souffert d’un manque de reconnaissance et d’estime, du public comme du milieu musical. Célébrations 2018 oblige, Leonard Bernstein comme c’est le cas de Debussy, est tout de même honoré a minima : service minimum en effet du côté des maisons d’opéras (quid de Candide, On the Town, Trouble in Tahiti, sur les grandes scènes lyriques nationales …?) ; on ne parlera pas des symphonies : transparentes, inaudibles dans les programmations en cours. A moins que la déclaration des nouvelles saisons 2018 – 2019, ne rééquilibre prochainement les choses. Quoiqu’il en soit, une oeuvre, éclectique, pléthorique, bigarrée, kaleidoscopique mais fraternelle, semble avoir suscité une adhésion massive de la part des programmateurs : MASS. Avant l’Orchestre national de Lille qui promet une clôture de sa saison 2017-2018 spectaculaire (29 et 30 juin 2018), voici donc cette oeuvre inclassable, entre la variété, le rock, la comédie musicale et l’oratorio, commandée par Jackie Kennedy, 3 ans après l’assassinat de son époux, pour inaugurer le Kennedy Center for Arts de Washington (1972), MASS est une oeuvre que l’on aborde de deux façons : un mixte délirant entre le musical et la transe collective, laïque et profane, ou une célébration plus spirituelle, voire subtile, pour le rapprochement des peuples et la fraternité pacifiste. Bernstein recycle les textes de la liturgie catholique régénérée à la sauce pop des seventies, serties de Meditations (3), « pauses » purement instrumentales et symphoniques, plus graves, sombres, aux ondes plus terribles (écho des guerres contemporaines dont celle du Vietnam)… La prolixité et ce mariage des genres créent des incongruités qui ont choqué le public : partition symphonique, jazz band, guitare électrique, chorale d’enfants, choeur adulte, chanteurs de Broadway… Où sommes réellement ?… C’est une MASS à y perdre son latin.
Car de plus de 1h30, sa durée pourrait convoquer l’overdose. Pourtant, dès les années 1970, nous voilà bien en présence d’une fresque métissée, miroir d’une société enfin réconciliée quoique troublée dans sa première partie, qui finalement assume sa diversité et chante la Paix universelle.
Il faut un baryton léger, ou un ténor barytonnant, pour relever les défis du récitant, personnage axial qui porte toute la philosophie active : à Paris, c’est Jubilant Sykes qui caractérise par sa couleur parfois rocailleuse de chanteur gospel, un rien crooneur, un chant proche du texte ; l’air structurant toute la partition et qui pose l’individu, sa vérité, sa sincérité dans sa vérité nue, dévoilée, au cœur du déroulement- le sublime air « A simple song », souligne combien le cœur et l’amour humains sont les piliers d’une œuvre fraternelle (au delà de l’éclectisme de sa forme). Rien que cette song, – épure ciblant l’essentiel, (comme dans la Messe en si, les airs avec simple continuos, sont les plus touchants), dévoile ce génie de Bernstein pour la mélodie et pour la prosodie, à travers une ligne vocale aux harmonies des plus subtiles où percent les timbres habilement choisis accompagnant la voix (harpe, flûte). La prière est l’hymne le plus bouleversant de la partition et dans l’oeuvre de Bernstein… heureusement reprise dans le finale et son appel à la paix fraternelle.
A ses côtés, choeurs ou solistes, chacun dans sa partie simultanée d’une virtuosité échevelée (dès le premier tableau sur bande enregistrée) brillent de la même vérité canalisée (chanteurs du chœur Aedes), où dominent manifestement la démesure et le sens du théâtre de la comédie musicale américaine. Belle complicité entre le baryton officiant / célébrant, et ses acolytes déjantés (chacun a son numéro soliste). D’autant que tous jouant sans partition, comme les enfants, soulignent l’énergie des déplacements, le jeu et le mouvement scénique, l’interaction, la prise à témoin du public, comme une célébration collective et spectaculaire, d’essence populaire, au sens le plus noble du terme.

 

 

 

Jazzy, Broadway, opératique,

MASS, rite et célébration populaire pour l’amour de l’Autre

 

 

 

BERNSTEIN-leonard-collection-deutsche-grammophon-62-cd-coffret-box-CLIC-de-CLASSIQUENEWS-review-account-ofPendant tout le rituel collectif, la baguette du chef américain Wayne Marshall, veste de velours parme, et toujours très concentré, prend à bras le corps cette oeuvre éruptive, protéiforme, gorgée de références dans tous les registres, et sait, sainte vertu, mesurer, nuancer, surtout soigner les équilibres et préserver coûte que coûte l’intelligibilité de chaque partie comme la finesse des intonations (les pianos sont pianos… ainsi surgit et se déploie enfin une finesse proche de l’opéra) ; c’est un travail d’orfèvre, de très grande sensibilité, qui évite ce que l’on entend souvent chez Bernstein : la dégoulinade crémeuse, la surenchère vulgaire, au nom de sa générosité débordante. Grave contre sens. Les Méditations (aux résonances sombres à la Chosta, véritable mémoires d’un siècle marqué par les atrocités de la guerre et de la barbarie inhumaine, avec dans la première l’orgue en son mystère inquiétant…), les choeurs recueillis habités par un souffle spirituel, convoquent cet Amour de l’Autre auquel nous invite ardemment le grand Lenny. Honneur à son esprit fraternel. La réalisation des chanteurs, du soliste, des choeurs et du chef est exemplaires.
Prochaine étape de la résurrection de ce sommet collectif profane hors normes… à LILLE, en clôture de la saison 2017 – 2018 de l’Orchestre National de Lille, les 29 et 30 juin 2018, sous la baguette bondissante, détaillée d’Alexandre Bloch. A suivre.

 

 

 

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COMPTE-RENDU, concert. PARIS, Philharmonie, grande salle, le 22 mars 2018. BERNSTEIN 2018 : MASS. Oratorio scénique, textes liturgiques romains, textes de Stephen Schwartz et du compositeur – Créé au Kennedy Center for the Performing Arts, Washington, le 8 septembre 1971.
Jubilant Sykes, baryton,
Ensemble Aedes (solistes) / Chef de chœur : Mathieu Romano
Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris / Chœur de l’orchestre de Paris / Chef de chœur : Lionel Sow / Orchestre de Paris. Wayne Marshall, direction

 

 

 

 

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VIDEO. REVOIR, JUGER SUR PIECES, jusqu’au 21 mars 2020 : MASS de BERNSTEIN par Aedes, Wayne Marshall, Jubilant Sykes, … à La Philharmonie de Paris :
https://www.arte.tv/fr/videos/081624-000-A/wayne-marshall-et-l-orchestre-de-paris-interpretent-mass-de-bernstein/

 

 

 

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