Pour les vacanciers et baroudeurs de juillet, Montpellier est avant tout la plage… Palavas-les-Flots, Carnon ou La Grande Motte attirent dans les pourtours méditerranéens. Et pourtant aussi Montpellier, c’est une ville-état médiévale, la Place Royale du Peyrou, la toute première université de Médecine, le Musée Fabre et, bien entendu, la musique. 30 ans sont passés vite pour le Festival de Radio France et Montpellier. Source de créations, de résurrections, de révélations, le Festival de Montpellier est devenu en trois décennies l’aorte musicale des étés Méditerranéens. Cette année, Montpellier accueillait à l’Opéra-Comédie et au Corum, la fine fleur des ensembles et des voix. Avec deux recréations du XIXème siècle et deux résurrections baroques, la 30ème édition a assuré les surprises.
Festival de Radio France et Montpellier : la trentaine florissante !
Le Rire. L’Opéra-Comédie accueillait la production de Don Quichotte chez la Duchesse de Joseph Bodin de Boismortier, dans une reprise des productions de Metz et de l’Opéra Royal de Versailles. Cette mouture, est la deuxième incursion de Corinne et Gilles Benizio dans l’opéra baroque après le fastueux King Arthur de Purcell, toujours avec le Concert Spirituel et Hervé Niquet. Ce couple venant du théâtre est plus connu par leurs sketches grimés en Shirley et Dino. Mythiques dans le panthéon populaire, Corinne et Gilles Benizio offrent une vision pointilleuse et légère du spectacle lyrique. Que l’on ne s’y méprenne pas, cette vision nous a semblé juste et aboutie, la potion magique dont avait sacrément besoin la fatuité de la scène opératique. Quand on parle de comédie, en France, souvent ça sonne faux aux oreilles des publics vieillissants et conservateurs. La comédie, n’en déplaise, n’est pas simplement l’apanage des longues tirades de Lope de Vega ou des facéties de Molière ou autres Goldoni voire Ionesco ou Fo. Le propre du comique est de grossir les traits et démontrer par le rire que la vie n’est qu’une suite de ridicules, voulus ou pas; la gravité est un acte manqué de la vie. Pour vivre en paix, il faut savoir rire, et surtout rire de soi.
Don Quichotte chez la Duchesse, avec un livret du grandiose Charles-Simon Favart, est une fable intéressante, issue du délirant chevalier de Cervantes. Favart et Boismortier ont fignolé un épisode efficace proche du théâtre de l’absurde. Ce génial tandem a créé un objet unique, qui nous offre l’opportunité de veiller à ne pas sombrer dans la folie du sérieux et rire de nous mêmes. Favart et Boismortier ont tiré les leçons essentielles du Don Quichotte de Cervantes, dans cette production Corinne et Gilles Benizio aussi. Ils ont accompli, avec respect, ce que d’autres membres de « l’establishment » lyrique auraient pu rendre lourd et pontifiant ; ils nous ont rendu le Quijote originel de Cervantes, celui qui brave le ridicule pour servir la cause de l’amour. Dans cette mise en scène, Corinne et Gilles Benizio nous ont fait sentir leur amour profond pour la musique lyrique. Merci à eux.
A leurs côtés, Hervé Niquet se prête au plaisir de divertir et de jouer un rôle plus que musical dans la production. Il interpelle tellement il joue bien. Musicalement, le Concert Spirituel déploie toutes les couleurs dignes de cette oeuvre, alliant l’exotisme, la parodie, l’enthousiasme et, quelque fois un héroïsme dramatique à la Française.
Côté voix, Emiliano Gonzalez Toro remplace François Nicolas Geslot. Il incarne un Quichotte lunaire, très à même de grimer la folie, ayant un sens du comique tout en subtilité. La voix est grande et belle, avec des moments de pure beauté qui mettent en avant la musique inspirée de Boismortier.
Chantal Santon, sublime en Virago et en enchanteresse déguisée. Sa voix pourfend telle une épée d’argent les difficultés semées par Boismortier et s’en tire avec de l’or patiné dans les graves, un torrent diamantin dans les aigus.
Les deux loufoques Sancho et Merlin, campés par Marc Labonnette et Joao Fernandes sont enivrants de drôlerie comme stupéfiants de talent dans les airs.
Camille Poul et Charles Barbier sont charmants ; ils ajoutent une belle cerise sur ce délicieux dessert lyrique.
Les danseurs de la Compagnie La Feuille d’Automne de Philippe Lafeuille ajoutent la grâce, l’humour et la beauté à cette production très complète.
Il est insoutenable de ne pas rire et d’apprécier ce Don Quichotte qui nous revient d’un extraordinaire voyage dans le temps. Mais pour les quelques détracteurs à la censure facile, nous répondrons la belle phrase de l’Ingenioso Hidalgo de Cervantes: « Sancho, los perros ladran, quiere decir que vamos avanzando. » (« Sancho, les chiens aboient, ça veut dire qu’on avance ».)
Compte rendu, concert. Montpellier, le 17 juillet 2015. Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse. Le Concert Spirituel, Hervé Niquet.
Don Quichotte – Emiliano Gonzalez Toro
Sancho Pança – Marc Labonnette
Altisidore/ La Duchesse/La reine du Japon – Chantal Santon Jeffery
Montesinos/Merlin / Le traducteur – Joao Fernandes
Le Duc / Le Japonais – Gilles Benizio (« Dino »)
La Danseuse espagnole – Corinne Benizio (« Shirley »)
Une paysanne, Une Amante, Le « Joli sapajou » – Camille Poul
Un Amant – Charles Barbier
Mise en scène – Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino)
Chorégraphie – Philippe Lafeuille
Décors – Daniel Bevan
Lumières – Jacques Rouveyrollis
Costumes – Charlotte Winter & Anaïs Heureaux
Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet
Cie La Feuille d’Automne