Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, Grand Théâtre, 7 juin 2018, Granados, Rodrigo, Chabrier, Bizet. Thibaut Garcia, Gergely Madaras. Intitulé « Danses espagnoles », il ne comportera que trois danses espagnoles de Granados, et celles des suites orchestrales de Carmen, de Bizet. C’est suffisant pour drainer un nombreux public, d’autant que le célébrissime Concerto d’Aranjuez figurait aussi au programme, confié à Thibaud Garcia, le guitariste dont tout le monde parle.
Granados, s’il a laissé un peu moins d’une dizaine d’ouvrages lyriques, surtout des zarzuelas, a essentiellement écrit pour le piano, souvent transcrit à la guitare. Son œuvre orchestrale ne compte que trois pièces, rares. Aussi, un pianiste catalan, fondateur des orchestres symphoniques de Barcelone et de Valence, Joan Lamote de Grignon, se chargea-t-il de transcrire ses plus grands succès du piano à l’orchestre, alors qu’il n’avait que vingt ans. Des Danses espagnoles de l’opus 37, nous écouterons tour à tour les numéros 2 (orientale), 5 (Andalouse) et 6 (Rondella aragonesa). La séduction est là, liée à une écriture où les timbres, ceux des bois, tout particulièrement, sont magnifiés. La direction, toujours attentive à chacun, sculpte les phrases, impose les respirations et la dynamique avec efficacité. Le geste est ample, précis, juste démonstratif, c’est techniquement et musicalement remarquable. Le climat de chaque pièce ou partie est rendu avec finesse, élégance. Certes le charme langoureux, attendri, comme les effusions, les accélérations habilement dosées ont un petit côté désuet, mais pourquoi bouder notre bonheur ? L’orchestre s’y révèle en tous points exemplaire.
Même s’il laisse une œuvre abondante, Joachin Rodrigo est, pour le grand public, le compositeur aveugle du fameux Concerto d’Aranjuez, qui a été arrangé sous toutes les formes imaginables et inimaginables. L’écouter dans sa version originale est toujours réjouissant. C’est peu dire que Thibaud Garcia sait faire sonner son instrument, lui donner toutes les couleurs, et, surtout, conférer au jeu polyphonique une lisibilité rare. L’entente avec l’orchestre est idéale, et les timbres se répondent à ravir. Dans l’adagio, le jeu est plein et délicat et l’orchestre au mieux de sa forme. La chaleur, la sensualité nerveuse de l’allegro gentile final sont d’autant mieux venus que l’on entend tout, y compris des détails que l’on découvre. C’est l’état de grâce, et le public fait un triomphe aux interprètes, ce qui lui vaut deux beaux bis, virtuose et chargé d’humour pour le premier, retenu et lyrique pour le second.
Chabrier orchestra sa Habañera trois ans après l’avoir écrite pour le piano. Œuvre mineure, certes, mais où toutes ses qualités – l’élégance, le charme, la sensualité discrète, la maîtrise harmonique – se retrouvent dans cette page rarement jouée. Ce soir, la fluidité le dispute à la rythmique, pour un équilibre séduisant. Le public attendait les deux suites de Carmen, universellement célèbres, et tel et tel ne s’interdisait pas de chanter si besoin était (le chef sollicita lui-même la salle pour la chanson du toréador). Même si l’ordre des pièces est indépendant de celui dans lequel elles apparaissent dans le drame, chacun s’y retrouve. Si le prélude et l’aragonaise sont très extérieurs, l’intermezzo est festif, bien enlevé, la séguedille plus vivante que jamais…Tous les numéros augurent bien de la Carmen promise, par l’Orchestre Dijon Bourgogne, en mai 2019, dans une nouvelle production, à l’Auditorium. La salle exulte, et les rappels se multiplient.
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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, Grand Théâtre, 7 juin 2018, Granados, Rodrigo, Chabrier, Bizet. Thibaut Garcia, Gergely Madaras. Crédit photographique © Luis Castilla Photo