COMPTE-RENDU, concert. BOUCHERVILLE (Québec), le 5 juin 2018. Festival Classica. Mozart, Neukomm (La Résurection, récréation). Temps fort de la 8è édition du Festival CLASSICA au Québec, le concert « fermé », dans l’église très élégante de Boucherville, au bord du Saint-Laurent. Le programme devait être dirigé par le chef Jean-Claude Malgoire, décédé brutalement en avril dernier, si grand artiste passionné par le défrichement et qui continue de marquer la redécouverte actuelle de Neukomm. C’est lui qui ressuscitait déjà la version du Requiem de Mozart, telle que la partition fut achevée par le compositeur autrichien (Libera me final). Neukom, bien que contemporain de Beethoven, reste hermétique aux excès expressifs du grand Ludwig. Il s’engage plutôt pour le dernier Mozart et sa diffusion ainsi au Brésil (lors d’un fameux séjour transatlantique réalisé de 1816 à 1821 : la célèbre mission française au Brésil). Sigismond (von) Neukomm (1778-1858), fut élève de Michael Haydn, avant de servir à Vienne, son frère Joseph, comme confident et disciple. De ce dernier, Neukomm apprit les rudiments de son métier, partageant avec le concepteur de la Création (1799), ce goût pour le travail élégant, mesuré, classique, pourtant d’un raffinement absolu servant un dramatisme toujours lumineux et nerveux. Dans les faits, alors que Beethoven révolutionne le genre symphonique, Neukomm cultive et prolonge le goût et l’esprit des Lumières avec un équilibre aristocratique. Ici la tempête impétueuse ; la l’élégance et le raffinement polissés. Il fut proche de La Restauration, écrivant un Requiem posthume pour Louis XVI (après le Congrès de Vienne en 1815, qu’il avait rejoint comme musicien particulier de.. Talleyrand). Les dernières années de la vie de Neukomm se déroulent à Paris où il meurt en 1858, non sans avoir traversé tout le siècle romantique, et laissé in loco près de … 2000 oeuvres : un trésor aujourd’hui déposé à la BNF où Jean-Claude Malgoire avait déniché la partition autographe, la rendant exploitable grâce à l’aide de son fidèle assistant Vincent Boyer.
Même s’il existe une version attestée en anglais, l’oratorio La Résurrection (Christi Auferstehung) vit ce soir sa recréation en langue allemande. Et même sa création tout court en Amérique du nord. Datée de 1828, la partition présente de nombreux atouts qui la rendent particulièrement séduisante aujourd’hui. Son architecture, du grave et lugubre au début, jusqu’à la lumière éclatante de la fin, soit de l’ombre à la lumière : tout indique une intelligence musicale qui sait élaborer un vrai drame selon l’esthétique des Lumières. La finesse de l’orchestration où percent souvent la clarinette, mais aussi le fruité noble et majestueux des trombones, souligne la noblesse solennelle de l’inspiration, complétée par des séquences chorales exaltées, et les airs de solistes proprement dits, lesquels sont des monologues dont la forme libre suit et articule le sens du texte. Les solistes en comprennent l’enjeu expressif et surtout poétique, car ici, chaque aria dont le plus développé demeure réservé au baryton, amplifie la profondeur méditative de ce drame de chambre. Les trois chanteurs qui fusionnent en fin de partition dans un trio tendre et rayonnant de sérénité enfin recouvrée, abordent leur partie respective avec la sobriété requise.
Lauréate du récital-concours de mélodies française organisé pour sa première édition l’an dernier (juin 2017) dans le cadre du Festival CLASSICA, la soprano Laetitia Grimaldi-Splitzer affirme une plénitude vocale ronde et grave dans un air qui évoque Weber à maints endroits ; morceau de bravoure et d’éloquence intérieure, le grand arioso dramatique défendu par le baryton Marc Boucher (également directeur du festival CLASSICA) saisit par sa justesse humaine, aux lueurs hallucinées et profondes : la voix dépouillée de tout artifice, cible l’essentiel, médite la leçon transmise par le Christ sacrifié et bientôt ressuscité : tout est là, dans cette déploration présente et cet irrépressible miracle de la résurrection finale.
Belle prestation en mesure, intériorité et noblesse qui nous invite aussi à célébrer la générosité rayonnante de Jean-Claude Malgoire auquel la soirée est dédiée comme un hommage légitime et naturel : le chef français a longtemps participé au Festival CLASSICA, – lui-même comme on a dit, premier défricheur de Neukomm, et mentor comme partenaire du chanteur Marc Boucher.
Percutant et mesuré lui aussi, le ténor Antoine Bélanger, développe ce goût propre à Neukomm pour la ferveur rentrée, introspective dans le sillon aussi des oratorios nerveux mais souples de CPE Bach. Malgré quelques décalages que le chef commis pour remplacer Jean-Claude Malgoire, peine à réparer, la structure de cette œuvre puissante captive de bout en bout. La finesse de son écriture, l’évolution de l’oratorio méditatif, d’abord sombre puis éclatant attestent d’une pensée compositionnelle de premier plan ; pourtant son contemporain, Neukomm s’écarte de facto de la furià humaniste d’un Beethoven, pour prolonger le climat élégantissime de son maître, Joseph Haydn, jusqu’à la fin des années 1820.
Le choeur requis pour cette recréation jubile, déclame avec une superbe qui défend constamment et avec justesse là encore, la majesté et la solennité du compositeur autrichien. Sa parenté avec Mozart, le génie du siècle, paraît naturel : il y a dans cette Résurrection, de nombreuses séquences proches du Requiem mozartien, une pièce que Neukomm connaissait bien pour l’avoir analysée et donc achevée.
Si Neukomm aime creuser l’introspection individuelle, Mozart son ainé de 22 ans, ne laisse aucune place au doute comme à la langueur dans sa Messe du Couronnement, une partition qui file droit, riche en exclamation collective à la doxologie triomphante et solaire, très vite, affirmée par le duo premier, entre soprano et ténor (Kyrie). Aux trois artistes présents dès le Neukomm, se joint la mezzo québécoise Caroline Gélinas. Là encore c’est la sûreté du chœur qui pose l’architecture d’une oeuvre certes circonstantielle mais touchée en maints endroits par la grâce et la tendresse comme l’effusion collective. Ampleur du Gloria, la fermeté du Credo prépare au moment tant attendu, l’Agnus Dei pour soprano solo : Laetitia Grimaldi préserve l’intensité de la projection comme la clarté et la couleur rayonnante de cet air sublime car il est capable de fusionner la tendresse fervente et l’exaltation conquérante. Martin Dagenais, invité in extremis à piloter ce programme, dirige La Petite Bande de Montréal depuis 2013, parfois avec une fermeté dure voire un rien précipitée, qui aurait mérité davantage d’attention à la clarté et l’explicitation des nuances. On attend déjà la reprise de ce programme Neukomm / Mozart à Tourcoing et à Versailles début 2019. Passionnant programme dont les interprètes devraient encore nuancer leurs apports pour les 2 concerts en France à venir.
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COMPTE-RENDU, concert. BOUCHERVILLE (Québec), le 5 juin 2018. Festival Classica. Mozart (Messe du Couronnement), Neukomm (Christi Auferstehung / Résurrection du Christ) , récréation et première nord-américaine). Avec l’Orchestre de chambre de la Montérégie (OCM) et le chœur La Petite Bande de Montréal. Solistes : Laetitia Grimaldi, soprano, Caroline Gélinas, mezzo-soprano, Antoine Bélanger, ténor, et Marc Boucher, baryton. REPRISE : CONCERT repris les 11 janvier 2019 à Tourcoing / Atelier Lyrique (20h), puis à Versailles, Chapelle royale, le 13 janvier 2019 (17h30)
http://www.atelierlyriquedetourcoing.fr/spectacle/la-messe-du-couronnement-la-resurrection/