Claudio Monteverdi
Le Couronnement de Poppée, 1642
Mezzo
Mardi 27 mai 2008 à 20h30
Opéra (2000, 2h45). Réalisation: Vincent Bataillon. Enregistré en direct du Festival d’Aix en Provence en Août 2000, cette production réunit deux maîtres: Klaus Michael Grüber et Marc Minkowski, autour d’une brillante distribution, Anne Sofie von Otter et Mireille Delunsch dans le rôle-titre.
Au souci d’efficacité dramatique voire d’exacerbation de la tension, à un instrumentarium nourri, le duo Minkowski/Grüber ajoute sa vision propre des caractères : infantilisme pervers du couple principal Néron/Poppée contre lequel personne, ni l’épouse (Octavie), ni le maître à penser (Sénèque) ne peuvent s’élever. Voici donc une allégorie superbe de la passion dévorante qui soumet l’ordre moral et le devoir mais surtout les protagonistes eux-mêmes : l’Incoronazione stigmatise la brûlante sensualité des êtres qui ne s’appartiennent plus. Que peuvent sentiments, force morale et caractère, dignité et sagesse, face au désir? Incontestables, Mireille Delunsch (Poppée) et Anne Sofie von Otter (Néron) expriment la fragilité maladive de leur personnage. Alors qu’aujourd’hui, le choix d’un contre-ténor pour le rôle d’Othon est plus que légitime, Minkowski préfère la contralto Charlotte Hellekant : option malheureuse, son chant monotone et sans imagination finit par ennuyer. Parfaitement investis par la noblesse sombre de leur rôle, Denis Sidov (Sénèque) et Sylvie Brunet (Octavie) donnent à voir l’autre versant de cette humanité antique conçue par Monteverdi et son librettiste Busenello : le premier attend la mort comme une délivrance, la seconde, dans son ultime scène d’adieu, dévoile la démesure de son talent d’actrice tragique, digne et blessée, dont le chant, comme son voile, est d’un noir abyssal.
A ce quintette principal, correspondent des seconds rôles parfaitement tenus. Lucain frénétique de François Piolino ; l’Arnalta de Jean-Paul Fauchécourt est une nourrice de Poppée pimentée à laquelle le ténor travesti offre sa cocasserie pragmatique ; gracieuse Allison Cook (Fortuna et Valletto), surtout, débuts remarqués de Cassandre Berthon qui campe un Amour protecteur (scène du sommeil de Poppée à l’Acte II), déité convaincante, surgissant de la nuit avec son arc fluorescent.
Au sein de la fresque funèbre où c’est donc le rouge d’Eros qui tend sa toile de fond (Grüber a choisi d’évoquer le rouge cinabre de la Villa des Mystères de Pompéi comme décor récurrent), on se laisse aussi captiver par la beauté de ces arbres de Toscane dont les silhouettes dessinées évoquent les peintres de la Renaissance. Serait-ce de la part de Grüber et de son peintre décorateur Gilles Aillaud, un secret rappel conforme aux intentions de Monteverdi et de Busenello : sur la scène du théâtre, le couronnement de Poppée célèbre le triomphe du vice, du désir amoral. Indigne effet des passions face à l’harmonie céleste. Ici, dérèglement des hommes ; plus haut, ordre souverain de la Nature …
Claudio Monteverdi: L’Incoronazione di Poppea, dramma in musica en un prologue et trois actes sur un livret de Gianfrancesco Busenello. Mise en scène : Klaus Michael Grüber. Avec : Mireille Delunsch, Poppea ; Anne Sofie von Otter, Nerone ; Sylvie Brunet, Ottavia ; Denis Sedov, Seneca ; Charlotte Hellekant, Ottone ; Jean-Paul Fauchécourt, Arnalta ; Nicole Heaston, Drusilla/Virtù ; Cassandre Berthon, Damigella/Amore ; Allison Cook, Valletto/Fortuna ; François Piolino, Soldato II/Lucano. Les Musiciens du Louvre-Grenoble, direction : Marc Minkowski. Lire notre critique complète du dvd L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi par Minkowski/Grüber
Illustration: Sabina Poppea, portrait présumé vers 55-60 avant J.-C. (Paris, Louvre, département des Antiquités Romaines)