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Claudio Monteverdi: Le couronnement de Poppée, 1642 Arte, Lundi 10 novembre 2008 à 22h45

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Claudio Monteverdi

Poppée
, 1642
Le Couronnement de Poppée

Arte,

Lundi 10 novembre 2008
à 22h45

Princes pervers
Dans cette production
aixoise, tout oeuvre à l’accomplissement d’un couple de jeunes princes
pervers, Nerone et Poppea, victimes d’un amour irrépressible, dévorant,
destructeur. Folie terrifiante que celle des hommes livrés à leur
passion incontrôlée. La mise en scène de Grüber insisite sur cette
horreur à l’oeuvre.
Si
le Couronnement de Poppée fait les beaux jours des maisons d’opéras
depuis quelques mois, voici une version qui devrait s’imposer
comme une première référence. Première parce que le propos des
concepteurs, le chef Minkowski et le metteur en scène Grüber, présente
une lecture que certains trouveront discutable et qui doit donc être
complétée par une autre, moins « expurgée » : ici, nombreuses coupures
(scène collective du couronnement de Poppée), surtout suppression pure
et simple d’un rôle « mineur », celui de la nourrice de l’Impératrice
Octavie, afin « d’accentuer la solitude de l’épouse répudiée par Néron
». Certes, comme nous le rappelle maestro Minkowski, chaque nouvelle
interprétation du « Couronnement » impose de choisir entre deux
versions parvenues jusqu’à nous, manuscrit de Venise ou copie de Naples
: sources divergentes exigeant de l’interprète d’opérer un choix et
d’adapter donc comme ici, de trancher. N’omettons pas non plus, la
délicate restitution de l’orchestre montéverdien : intimiste selon les
sources historiques donc réduit à l’essentiel (ce qu’a réalisé par
exemple chez Archiv, Sir John Eliot Gardiner) mais qu’ignore
volontairement Marc Minkowski, qui a choisi d’étoffer l’effectif
instrumental selon les dimensions du théâtre de l’Archevêché et « du
plein air aixois ».

Brûlante sensualité
Au souci d’efficacité dramatique voire
d’exacerbation de la tension, à un instrumentarium nourri, le duo
Minkowski/Grüber ajoute sa vision propre des caractères : infantilisme
pervers du couple principal Néron/Poppée contre lequel personne, ni
l’épouse (Octavie), ni le maître à penser (Sénèque) ne peuvent
s’élever. Voici donc une allégorie superbe de la passion dévorante qui
soumet l’ordre moral et le devoir mais surtout les protagonistes
eux-mêmes : l’Incoronazione stigmatise la brûlante sensualité des êtres
qui ne s’appartiennent plus. Incontestables, Mireille Delunsch (Poppée)
et Anne Sofie von Otter (Néron) expriment la fragilité maladive de leur
personnage. Alors qu’aujourd’hui, le choix d’un contre-ténor pour le
rôle d’Othon est plus que légitime, Minkowski préfère la contralto
Charlotte Hellekant : option malheureuse, son chant monotone et sans
imagination finit par ennuyer. Parfaitement investis par la noblesse
sombre de leur rôle, Denis Sidov (Sénèque) et Sylvie Brunet (Octavie)
donnent à voir l’autre versant de cette humanité antique conçue par
Monteverdi et son librettiste Busenello : le premier attend la mort
comme une délivrance, la seconde, dans son ultime scène d’adieu,
dévoile la démesure de son talent d’actrice tragique, digne et blessée,
dont le chant, comme son voile, est d’un noir abyssal.

A ce
quintette principal, correspondent des seconds rôles parfaitement
tenus. Lucain frénétique de François Piolino ; l’Arnalta de Jean-Paul
Fauchécourt est une nourrice de Poppée pimentée à laquelle le ténor
travesti offre sa cocasserie pragmatique ; gracieuse Allison Cook
(Fortuna et Valletto), surtout, débuts remarqués de Cassandre Berthon
qui campe un Amour protecteur (scène du sommeil de Poppée à l’Acte II),
déité convaincante, surgissant de la nuit avec son arc fluorescent.

Au
sein de la fresque funèbre où c’est donc le rouge d’Eros qui tend sa
toile de fond (Grüber a choisi d’évoquer le rouge cinabre de la Villa
des Mystères de Pompeï comme décor récurrent), on se laisse aussi
captiver par la beauté de ces arbres de Toscane dont les silhouettes
dessinées évoquent les peintres de la Renaissance. Serait-ce de la part de Grüber et de son peintre
décorateur Gilles Aillaud, un secret rappel conforme aux intentions de
Monteverdi et de Busenello : sur la scène du théâtre, le couronnement
de Poppée célèbre le triomphe du vice. Indigne effet des passions face
à l’harmonie céleste. Ici, dérèglement des hommes ; plus haut, en un ailleurs désormais inacessible, ordre
souverain de la Nature …

Claudio Monteverdi: L’Incoronazione di Poppea, dramma in
musica en un prologue et trois actes sur un livret de Gianfrancesco
Busenello
. Mise en scène : Klaus Michael Grüber. Avec : Mireille
Delunsch, Poppea ; Anne Sofie von Otter, Nerone ; Sylvie Brunet,
Ottavia ; Denis Sedov, Seneca ; Charlotte Hellekant, Ottone ;
Jean-Paul Fauchécourt, Arnalta ; Nicole Heaston, Drusilla/Virtù ;
Cassandre Berthon, Damigella/Amore ; Allison Cook, Valletto/Fortuna ;
François Piolino, Soldato II/Lucano. Les Musiciens du Louvre-Grenoble,
direction : Marc Minkowski.

Illustrations: Denis Sidov en Seneca, Sabina Poppea (buste romain), portrait présumé de Claudio Monteverdi par Bernardo Strozzi (DR)

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