L’opéra français avant Lulli
Sur les traces du lullyste Prunières auquel on doit vers 1913, un étude pionnière sur l’opéra en France avant Lulli, « CJN » (Claude-Jean Nébrac) analyse sous couvert d’une narration romanesque et dialoguée, l’oeuvre des acteurs, qui avant l’éclosion du premier drame lyrique français (Cadmus et Hermione de Lulli, 1673,) favorise la conception de l’opéra français. Ainsi la matière dramatique du texte convoque de façon très vivante, Pierre Perrin (premier rôle) et Robert Cambert, mais aussi Lully, Louis XIV, Granouilhet de Sablières, Molière, Alexandre des Rieux, marquis de Sourdéac, entrepreneur bien peu scrupuleux flanqué de son double patibulaire, toujours inspiré à s’approprier et exploiter les idées d’autrui…, Pierre Moreau, imprimeur si inventif… Perrin obtient avant Lully, en juin 1669, le privilège pour l’établissement des académies d’Opéra en vers français… ( et ce pour 12 ans): un privilège qui fait de lui au début des années 1670, le promoteur de l’opéra entièrement chanté en français. Sa pastorale comprenant airs et ballets en témoigne (Pastorale d’Issy, avril 1659, musique de Cambert)…
Mais auparavant, moult aventures arrivent au héros, et ce dès son mariage (1653) avec la veuve La Barroire, une sexagénaire dotée et portée sur la bagatelle, heureuse de se remarier avec un jeune homme de… 27 ans. Mariage, source d’endettement et de bien d’autres soucis pour ce dernier (qui croyait s’être trouvé ainsi une solide et tenable position: c’est tout l’inverse qui accable sa vie durant Pierre Perrin harcelé par le fils La Barroire, parlementaire procédurier, avide de récupérer son bien…
Les amateurs et historiens de l’opéra y apprendront que le premier drame chanté en français fut cette pastorale de bergers (Le triomphe de l’amour) composé par Michel de La Guerre, musique de Charles de Beys, représentée en décembre 1654, repris au Louvre dans l’appartement de Mazarin en janvier 1655. En tant que poète et librettiste, Perrin débute une carrière fulgurante à partir de sa rencontre avec le quinqua Etienne Moulinié, composieur du Duc d’Orléans (fin 1655)…
Le tableau est riche et vivant: on y croise à l’époque où Louis XIV cesse de danser, les nouveaux acteurs et promoteurs d’un drame entièrement chanté en vers français, à l’instar de l’Italie et des pays germaniques: Perrin et Cambert avec leur Pastorale Pomone (mars 1671), mais aussi Molière qui capitalise tout ce qui lui reste de volonté (et de deniers) dans la tragi-comédie Psyché (1671); ce sont aussi Guichard et Sablières (Diane et Endymion, novembre 1671) ou Gilbert et Beauchamps, auteurs remarqués des Peines et Plaisirs de l’Amour (février 1672)… On voit bien que dans les années 1670 se précise un nouveau spectacle lyrique dont Lully recueille tous les bénéfices en rachetant à Perrin, endetté et emprisonné, contre une rente inespérée… son privilège royal. Molière mort, Perrin écarté, c’est Lulli le grand gagnant de l’affaire: il pourra dès lors imposer au royaume sa propre conception d’un théâtre lyrique hexagonal… lui qui jusque là n’avait jamais cru à l’avenir en France, d’un opéra national: le français se prêtant très mal selon lui, à être mis en musique, contrairement à l’italien!
En donnant la parole à Molière, Lully, Colbert, Louis XIV et bien d’autres, sous forme de témoignages et de rencontres rapportées, l’auteur ressuscite avec esprit et justesse l’une des pages les plus essentielles du premier baroque Français.
Claude-Jean Nébrac: Pomone ou la naissance de l’opéra français. Mémoires imaginaires de Pierre Perrin et de quelques autres (1645-1675). Parution: septembre 2011. Books on demand éditions. ISBN: 978 2 810622429