L’intérêt de ce film de 52 minutes inédit est son apport sur le plan musical en particulier technique. Les éléments de la biographie sont replacés dans une trame surtout interprétative que défend devant la caméra l’un des lauréats du Concours Chopin de Varsovie (1er Prix en 1970), le pianiste Garrick Ohlsson. Ce dernier analyse l’écriture de Frédéric Chopin, évoque les clés de son esthétique musicale, l’inscrit non sans raison, dans son approche picturale et nuancée du son: Chopin n’aimait pas la puissance mais l’infinie douceur évocatoire, comme les contrastes saisissants grâce à un jeu digne d’un immense interprète pour le clavier. Génie de l’écriture comme de la technique pianistique qui fut admiré par les plus compositeurs tels Berlioz, surtout Schumann et Liszt, tous deux créateurs et interprètes comme Chopin.
Gerrick Ohlson, pianiste américain né à Brinxville en avril 1948, commente les images d’archives qui fixe le souvenir de son Prix obtenu à Varsovie dans le Concerto pour piano n°1 (entre autres)… Il démêle les difficultés du jeu pianistique qu’exige l’écriture de Chopin en prenant pour exemple les 12 Etudes opus 10 inspirée de la technique « époustouflante » du violoniste Paganini. En fait, le pianiste démontre comment les Etudes révolutionnent la technique pour le pianoforte (car Chopin jouait outre sur son pianino, sur les pianoforte que lui fournissait le fabricant Camille Pleyel): les compositions de Chopin repoussent très loin la palette des possibilités digitales de l’interprète, n’hésitant pas à des torsions compliquées des mains comme dans l’Etude en la mineur opus 10 où après un exercice d’arpège préalable, le compositeur exige à la main droite, de faire chanter sur les 3 doigts les plus faibles, la mélodie quand le pouce et l’index jouent un accord en pizzicato. Une seule main doit réaliser 2 effets différents…
Sur le plan biographique, le téléspectateur apprend que Chopin est né d’une mère aristocrate et d’un père français (Nicolas). A 7 ans, l’enfant qui s’est pris de passion pour le piano en écoutant jouer sa mère, a déjà composé sa première danse polonaise. Né le 1er mars 1810, il est reconnu en juin 1829, tel un génie musical par le directeur du Conservatoire de Varsovie. Or l’élève surdoué, qui poursuit son apprentissage musical (harmonie, contrepoint) est un rebelle et un anticlassique: ses dons imposent aussi un esprit libre et indépendant qui va bientôt inventer la littérature du piano moderne… La Pologne est alors sous domination russe et le frère du Tsar, Constantin, l’invite en son palais pour écoute le jeune prodige. Il y a chez Chopin, un son résolument princier (perceptible dans l’esprit stylé et raffiné des Polonaises) mais aussi une redécouverte de la rusticité des campagnes dont témoignent les Mazurkas. Arthur Rubinstein explique (en français) combien les Mazurkas sont l’âme polonaise: Chopin se ressource et affirme l’origine polonaise de son identité dans les Mazurkas. Avec d’autant plus d’intensité que le pianiste compositeur a choisi de quitter Varsovie dès octobre 1830 lors d’un concert d’adieux où il joue sa dernière composition le Concerto pour piano (joué dans le documentaire par un autre lauréat du Concours de Varsovie, Kryztian Zimerman qui semble par son allure fine et racée ressusciter l’élégance et la poésie du jeu de Chopin, son compatriote).
Chopin quitte sa terre natale suscitant le désarroi de ses professeurs, de sa famille et de son entourage alors que la Pologne se soulève contre l’occupant russe. Formidable élan révolutionnaire qui sera bientôt mâté dans le sang d’une répression forcenée…
Arrivé à Paris fin 1831, Chopin ne devait plus quitter la France : il meurt dans la capitale en 1849. Les 18 années parisiennes qui comptent aussi sa liaison légendaire avec l’écrivain George Sand à Nohant (Berry) sont celles de l’accomplissement artistique et de la maturité triomphale. A Paris, capitale musicale hors norme et donc indépassable, Chopin enrichit sa culture propre (il découvre et applaudit avec passion les opéras de Bellini et de Meyerbeer entre autres…)… A Paris, Chopin, au contact des plus grands musiciens pour le clavier (Kalkbrenner ou le déjà nommé Liszt…) trouve son style, réalise son esthétique sonore et rencontre Camille Pleyel dont les instruments lui permettent d’avancer, de chercher, de trouver… Plus on s’intéresse à l’oeuvre du musicien, plus sa modernité et sa conception sonore nous éblouissent. Ce n’est pas les témoignages des grands interprètes présents dans le film qui nous contrediront: Rubinstein Zimerman, Argerich, Pollini… Il sont tous là, chacun unanimes et convertis. Comme nous.
L’art de Chopin. Documentaire. Arte. Lundi 1er mars 2010 à 20h35. Réalisation: Gérald Caillat (2010, 52 mn).