De France et d’Angleterre… Deux cultures, deux mondes musicaux, où jaillit cependant la voix réconciliatrice d’une diseuse exceptionnelle, tempérament et élocution juste du verbe: Chantal Santon. La soprano française a précédemment dévoilé l’étendue de ses dons vocaux ailleurs, dans d’autres voies, elles aussi exigeantes sur le plan de l’articulation, celles des Romantiques Français. Interprète familière pour le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, la jeune cantatrice a récemment relevé le défi de deux prises de rôles: Velléda dans la cantate éponyme de Dukas, recréée à Venise et avec quelle flamme, en avril 2011, puis Eve pour la recréation tout aussi majeure de l’oratorio de Théodore Dubois, Le Paradis Perdu (1878), oratorio événement de l’été 2011 et prochain enregistrement discographique à paraître courant 2012. Deux défis superbement relevés qui ont confirmé cette disposition naturelle pour l’incarnation éloquente et la caractérisation toute en subtilité des héroïnes musicales. Du romantisme au classicisme, et jusqu’aux lointaines rives baroques, la soprano défend avec une égale constance, ce souci du mot doublé d’une conscience musicale idéalement maîtrisée.
Diseuse enchanteresse: Chantal Santon
Pour Sablé, partenaire de la claveciniste Violaine Cochard, Chantal Santon explore avec ce même feu raffiné, la rhétorique baroque des compositeurs anglais et français; comment unir la prière amoureuse, la gravité passionnelle de Byrd, Purcell et Charpentier, avec la diction chantante plus légère d’un Lambert? Par l’unité et la cohérence d’une voix rare, dont l’alliance de la ciselure du mot et de la précision naturelle de la coloration selon les affects du texte, constituent toute l’éclatante valeur. Dans ce programme enchanteur, qui convoque les meilleurs poètes britanniques et les premiers mélodistes français, Chantal Santon déploie un dire captivant où elle paraît à la fois dominatrice et victime des vertiges amoureux, entre ombre et lumière, ténèbres d’un Charpentier inouï, éclairs triomphaux et badins d’un Lambert amusé, volage et tendre.
L’interprète au port de princesse ou de noble allégorie sans effets calculés ni artificiels, rétablit le frisson de la vie, l’emportement des sens déréglés dans chaque pièce, aussi intense et contrastés qu’un petit opéra. Econome et sobre, la chanteuse jamais en défaut d’intonation ou de puissance, sait ouvrager l’arête du verbe avec une intelligence délectable. Voici assurément un tempérament parmi les plus intéressants de la scène lyrique actuelle: on imagine déjà l’écouter dans les grands rôles lyriques et dramatiques à l’ambivalence expressive captivante, sachant dépasser le volume de l’orchestre: ce que réalise aujourd’hui une Véronique Gens, avec l’aplomb que l’on sait, chez les tragiques français, entre classicisme et romantisme. Demain Chantal Santon ferait une Aricie idéale chez Rameau…
Entre airs de cour et songs elizabethains, le clavier tout autant articulé et suggestif de Violaine Cochard rétablit l’arc poétique et dramatique d’une palette sonore particulièrement expressive: nuances, secrètes allusions, intonations réglées et millimétrées avec un style irréprochable: le récital de Sablé reste un modèle dans le genre chambriste et baroque. L’accord souverain de l’instrumentiste et de la cantatrice demeure préservé du début à la fin. Chantal Santon: retenez bien ce nom, c’est une diva en devenir dont la simplicité et la sincérité laissent présager de futurs accomplissements, désormais à suivre pas à pas.
Chapelle d’Aligné. 33ème Festival de Sablé, le 27 août 2011. Airs de cour et songs, de France et d’Angleterre: Dowland, Lambert, Couperin, Purcell, Charpentier… Chantal Santon, soprano. Violaine Cochard, clavecin.