dimanche 15 juin 2025

Cecilia Bartoli: Maria Malibran (2/4) Dossier (suite)

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Furia flamenca

Evidemment, à l’évocation de Maria Malibran, figure légendaire du
théâtre vocal romantique, l’on ne saurait se passer des héroïnes
qu’elle a marqué: bien sûr, les errances coupables et blessées d’Amina
(La Somnambula), d’Elvira des Puritani, et surtout Norma dont Casta
Diva
est l’offrande la plus emblématique de cet album dédié à l’idéal
romantique du chant. Bartoli ajoute une coloration spécifique à l’air
désormais célèbre depuis Callas, un hymne pour la paix dont elle restitue le cantabile originel, que son timbre
mezzo colore de façon remarquable, entre le murmure et la plainte la
plus habitée.
Fulgurante, Bartoli s’inscrit au firmament aussi grâce
à ses prises fantasques et flamboyantes, comme nous l’indique sans
réserve, et même avec l’irrévérence du génie le plus talentueux, « Yo
que soy contrabendista
« , extrait d’El poeta calculista de Manuel
Garcia, le père et le professeur de chant de Maria Malibran. La
mélodie, véritable tube de l’époque, était chantée par Maria avec sa
soeur Pauline Viardot, et même intercalée dans l’opéra (pour la scène
de la leçon de musique) quand Maria chantait le Barbier de Séville de
Rossini. Comment ne pas être saisi par l’étendue de la tessiture,
voisinant avec l’alto dans l’air de la reine Semiramide: « E non lo
vedo… Son regina »
, extrait de La Figlia dell’aria du même Manuel
Garcia?

Maria/Cecilia

Comme les précédents coffrets thématiques nous l’ont montré,
Cecilia Bartoli choisit avec soin chacun de ses nouveaux programmes. Sa
rencontre avec Maria Malibran ne date pas d’hier: il s’agit d’une
expérience personnelle qui l’accompagne depuis ses premières années de
chanteuse. Filiation et même identification: en Maria, Cecilia a trouvé
un modèle, une source constante pour sa quête d’excellence, comme
chanteuse atypique, douée d’un type particulier de voix dans le registre mezzo-soprano. Le
présent album paraît à point pour célébrer le double centenaire de la
naissance de l’étoile du chant, née à Paris, le 24 mars 1808. Torche
vivante sur les planches, « harpe vivante », « Reine des arts », sublimant chacun de ses rôles, « La Malibran »
est emportée à l’âge de 28 ans, alors qu’elle était enceinte, en 1836, après une mauvaise chute de
cheval…

Le la à 430hz

Soucieuse de vérité autant vocale qu’instrumentale, Cecilia Bartoli
a choisi pour compagnons dans cette aventure « Malibranesque », les
instrumentistes de l’Orchestra La Scintilla (la formation sur
instruments anciens de l’Opéra de Zurich) qui sous la direction d’Adam
Fischer redoublent d’éloquence chambriste, de précision dans couleurs,
dynamiques, intonations et accents. Rappelons nous que c’est là, dans
cette fosse lyrique que Maestro Harnoncourt révolutionnait au milieu de
années 1970, le théâtre baroque, dans une Trilogie Montéverdienne
désormais légendaire. L’orchestre réglé au la à 430hz, suit l’exigence
de la diva dans chaque air sélectionné. La tessiture choisie respecte
donc la hauteur d’époque, plus basse que celle des orchestres actuels
(capables de jouer jusqu’au la à 443hz, hauteur incorrecte et
irrespectueuse de la couleur d’origine, celle de Bellini lorsqu’il écrivait les airs pour « ses » divas, Malibran et Pasta). La
restitution des climats ajoute à l’excellence de l’approche: quelques
exemples?
Ecoutez ce tapis feutré et aérien de la flûte ancienne
introduisant la cavatine de Norma, mais aussi la restitution du duo
voix/violon de l’air de concert de Mendelssohn, déjà cité et par lequel
s’inscrit allusivement le chant d’amour de Maria Malibran et de Charles
de Bériot… Cecilia Bartoli évoque encore un autre aspect du génie de
son modèle, son activité de compositrice écrivant sur les traces de son
père et pour elle-même, plusieurs airs (circa 50 connus à ce jour),
Maria Malibran chantait l’air alternatif d’Adina de L’Elisir d’amore de
Donizetti, ou encore ce redoutable « Rataplan » chanté en français dont
les cascades de « r » décochés avec vélocité et précision, dévoilent
davantage le feu ardent de la compositrice Maria, grâce au feu et à
l’abattage superbement inspirés de Cecilia l’interprète.
Rossini
parlait de fulgurance; Chopin l’adulait, et Vigny la pleura comme nul
autre, lui dédiant à sa mort, une stance lacrymale célèbre. Tout en
nous dévoilant l’art légendaire et le tempérament de Maria Malibran,
Cecilia Bartoli réussit son pari: rendre vivant et plus palpitant que
jamais, le sublime héritage vocal de la chanteuse romantique. D’une
mezzo-soprano à l’autre, ce nouvel album, en miroir, nous touche
infiniment par la justesse de sa réalisation. Le plus bel hommage d’une
cantatrice d’aujourd’hui à une étoile qui l’a précédée. Sublime.

« Maria Cecilia Bartoli »
Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Maxim Vengorov, violon. Celso Albelo, ténor. Luca Pisaroni, baryton. International chamber Soloists, Jürg Hämmerli, chef de choeur. Orchestra La Scintilla. Adam Fischer, direction (1 cd Decca 475 9077. Durée: 1h19mn). Le disque sort tout d’abord dans une édition limitée, « de luxe » comprenant un remarquable livret où Cecilia Bartoli explique et illustre son projet musicologique. Aux arguments historiques, l’interprète ajoute de nombreuses photos des objets ayant appartenu à Maria Malibran. La collection de Cecilia Bartoli, des partitions et bijoux de scène liés à la vie et à la carrière de La Malibran sera exposée en un musée mobile qui accompagne la tournée de la Diva. Parution: lundi 17 septembre 2007
.

Lire la suite de notre dossier Cecilia Bartoli: Maria Malibran. Découvrez la riche actualité de la diva romaine, en tournée en Europe de septembre 2007 à mars 2008, de la Suisse à la France, de Londres, Amsterdam, Hambourg, Berlin et Paris où Cecilia Bartoli donnera opéra, récital et soirée de gala, en une seule journée, le 24 mars 2008, date anniversaire du bicentenaire de la naissance de Maria Malibran (le 24 mars 1808 à Paris).

Crédit photographique
Cecilia Bartoli © U. Weber Decca 2007

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