chante Maria Malibran
à Barcelone
Arte
Jeudi 25 décembre 2008 à 19h
Maestro. Récital. Réalisation: Michael Sturminger. 2008, 45mn. Florilège des grands chantés par Maria Malibran, réinterprétés par Cecilia Bartoli lors de ce récital événement à Barcelone, édité au dvd par Decca. Rien n’égale la magie du chant de Cecilia Bartoli… Enchantement garanti pour les fêtes de Noël. Merci qui? Merci Arte!
Programme
Mendelssohn: Infelice, scène pour voix, violon et orchestre
Rossini: La Cenerentola, Otello
Hummel: Air à la tyrolienne, avec variations
Garcia: Yo soy contrabandista (El Poeta Calculista)

Voici assurément l’aboutissement d’un projet musical parmi les plus
réussis dans la carrière déjà riche de la mezzo contemporaine Cecilia Bartoli. « Maria« ,
que l’on connaissait sous sa forme audio grâce à un formidable album
discographique décliné en plusieurs versions (normale, éditor, « de
luxe », édité chez Decca en septembre 2007), revient par l’image. Ce dvd
complète l’enregistrement pour le disque, en offrant les images de la
tournée des récitals que la cantatrice romaine a réalisée depuis
septembre 2007 et jusqu’au 24 mars 2008, jour anniversaire de la
naissance de Maria Malibran, née à Paris. Etape essentielle de sa
tournée, la concert parisien donné à Paris, Salle Pleyel, (en fait la
journée exceptionnelle « Maria Malibran », le 24 mars 2008) couronne un
long cheminement musical. Plus qu’un hommage, c’est une consécration et
la preuve d’une maturité éclatante.
Comme nous vous l’avions dit pour son album discographique, jamais
Cecilia Bartoli n’a si bien chanté. Aux qualités d’implication
dramatique, de facilité et de justesse vocale, de prouesse techniques,
l’interprète quadragénaire ajoute ce supplément si rare: le coeur et
l’âme.
Dans le concert de Barcelone (octobre 2007), réalisé pendant sa tournée
européenne, où elle chante une sélection des airs enregistrés pour le
disque, la mezzo Bartoli captive moins par bravoure que par vérité.
La subtilité d’émission, la complicité aussi avec les instrumentistes
de La Scintilla opèrent une sublimation du chant. Aucune vistuosité
gratuite, pas l’ombre d’une acrobatie artificielle: tout ici, est
suprêmement dit, ciselé, articulé sur le souffle de la voix. Soulignons
d’ailleurs, combien dans le souci d’équilibre et de fusion
voix/orchestre, la disposition de la cantatrice, placée au coeur de
l’orchestre, sur un podium, tel un instrument soliste porte ses fruits.
Dans nos entretiens vidéo avec Cecilia Bartoli,
la mezzo romaine avait précisé ce qui lui importait beaucoup à présent
dans chacune de ses performances scéniques, théâtrales ou en récital,
l’équilibre chambriste entre chant et orchestre. La voix est ici
traitée en instrument supersoliste. La démonstration de ce pari réussi
nous est offerte à Barcelone. Ajoutons d’ailleurs que cette
configuration de la diva, dans sa robe rouge géranium, brodée comme la
parure d’une princesse, lui donne des airs d’automate magicienne: sur
son estrade centrale, la diva, nouvelle Olympia plus vraie que la
vérité, n’en finit pas de nous séduire, déployant sans compter, l’art
indicible de son chant miraculeux.
Instinct tragique, profondeur tendre, ivresse et énergie
irrépressibles, la palette émotionnelle est vaste, et toujours
maîtrisé, constamment ouvragée, avec le style et cette nuance nouvelle
et subtile, la délicatesse. En fidèle admiratrice de Maria Malibran,
Bartoli chante son répertoire. En particulier les rôles centraux de
Rossini, surtout Desdemona. Et aussi Bellini, dont un air de la
Sonnambula, où d’un désespoir mélancolique et solitaire, de caractère
lunaire, le chant change de registre pour s’envoler sur les crêtes de
la jubilation amoureuse la plus jubilatoire. Etonnante échelle des
sentiments, qui voisinent aussi avec la pure vocalità, libérée,
opulente, dégainant ses perles vocalisés, tels les deux airs de Hummel
(chant rustique tyrolien) et le pétaradant Rataplan (chanté en
français, le chant juvénil d’un tambour à la guerre nous touche par son
ardeur et sa franchise) et composé par La Malibran soi-même! Réentendre
même La Bartoli dans l’air de Cendrillon « Nacqui all’affanno… Non più
mesta », reste tout autant un moment de grâce accomplie. Et pour le
public catalan, l’artiste fine et complice, conclue avec l’air écrit
par son père Manuel Garcia, en espagnol « Yo que soy contrabandista« ,
hymne enflammé qui porte tous les hispanismes flamenco les plus
ardents, pour lequel Cecilia Bartoli s’est assuré le concours du
guitariste Daniel Casares.
Dans le dvd 2, le documentaire signé Michael Sturminger ne
cache rien de l’approche musicologique qui sous-tend l’hommage de
Cecilia Bartoli à Maria Malibran. Pour connaître la diva romantique,
diva des divas, première « star » du lyrique, figure adulée à son époque
par des foules en liesse, la cantatrice mène une longue enquête,
visitant les lieux qu’a connu Maria, rerouvant ses objets et
accessoires de scène (qui forme aujourd’hui sa collection
personnelle)… Ce long métrage remarquablement écrit, offre un
complément jubilatoire au récital barcelonais. Du travail, de la
recherche, et au bout de l’approche, cette finesse bouleversante qui
porte aujourd’hui au sommet, l’une des divas contemporaines les plus
captivantes de l’heure. Bravissima!
« Maria, Cecilia Bartoli« . 2 dvd Decca. Dvd 1: « The Barcelona concert ». Orchestre La Scintilla. Premier violon et direction: Ada Pesch (1h19mn)
Point historique. Maria Malibran est née le 24 mars
1808 à Paris, au 3, de la rue de Condé. Fille du célébrissime ténor
Manuel Garcia (en fait baryténor car il était capable de chanter
Almaviva du Barbier de Rossini, comme Don Giovanni de Mozart) et de la
cantatrice Joaquina Sitches, Maria adopte avec passion l’art vocal qui
est l’affaire de la famille. Même le frère de la chanteuse, Manuel
(1805-1906) sera et professeur réputé et baryton estimé. Quant à sa
soeur, la non moins célèbre Pauline (future Viardot) (1821-1910), elle
s’imposera avec éclat comme interprète de Mozart entre autres, sur la
scène parisienne. Formé à la dure par son père, Maria débute à Paris,
dès 1824, dans le Barbier de Rossini et le Crociato in Egitto de
Meyerbeer. En 1825, elle épouse à New York, son époux Malibran,
négociateur plus âgé qu’elle… Mais le couple bat de l’aile et en
femme libre et émancipée, Maria rejoint Paris où dès 1828, à 20 ans,
elle devient la reine du Théâtre Italien. Henri Decaisne le portraiture
en Desdémone (Otello de Rossini), un rôle qui lui assure un triomphe
sans égal, la jeune artiste qui ne tarde pas à s’engager aux côtés des
révolutionnaires pendant les événements de 1830. En plus de bien
chanter, Maria est une actrice exceptionnelle dont les excès choquent
Mérimée et Delacroix. Sa tessiture embrasse 3 octaves, car elle est à
la fois, soprano et même alto. A Venise, elle permet au Théâtre qui
porte aujourd’hui son nom, de se relever de la faillite: tous ses
récitals sont donnés à guichets fermés. Phénomène atypique de la scène,
torche vivante, Maria Malibran s’éteint à la suite d’une chute de
cheval, à Manchester, le 23 septembre 1836. Elle n’a que 28 ans: le
mythe fait place à la carrière fulgurante d’une chanteuse actrice,
morte trop tôt.