CD, événement. Frederica von Stade, the complete Columbia recital albums (18 cd Sony classical). SOMBRE VELOURS D’UNE DISEUSE FRANCOPHILE. Mezzo irradiée – ce qui la destine aux emplois sombres et tragiques, la jeune musicienne fait son voyage à Paris où alors qu’elle échouait à devenir pianiste, elle éprouve comme une sidération inexplicable, le choc du chant et de la voix en assistant à un récital de la soprano allemande Elisabeth Schwarzkopf alors diseuse hors paires dans les lieder de Hugo Wolf. Il y a chez Von Stade qui a beaucoup douté de ses capacités artistiques réelles, une ardeur intérieure, une hypersensibilité jaillissante qui a rappelé dès ses premiers grands rôles, les brûlures tragiques et graves d’une Janet Baker.
AU DEBUT DES 70’S… Jeune tempérament à affiner et à ajuster aux contraintes et exigences de la scène, Frederica Von Stade est engagée dans la troupe du Met de New York par Rudolf Bing (1970) : elle n’est pas encore trentenaire ; très vite, elle prend son envol comme soliste, avec l’essor augural des opéras baroques (elle chante Penelope de l’Ulysse monteverdien). Mais la diva est une diseuse qui se taille une très solide réputation chez Mozart (Cherubino qui sera son rôle fétiche, et Idamante) et Rossini dont elle maîtrise la virtuosité élégante et racée grâce à des vocalises précises et des phrasés ciselés (Tancredi, Rosina, la donna del lago: surtout le chant noble mais désespéré de Desdemona dans Otello…). La Von Stade est aussi une bel cantiste à la sûreté musicale impressionnante.
Le timbre sombre, essentiellement tragique colore une suavité qui est aussi pudeur et articulation : la mezzo s’affirme de la même façon chez Massenet (Charlotte de Werther, Chérubin là encore et aussi Cendrillon. ..), et Marguerite embrasée par un éros qui déborde (La Damnantion de Faust), et Béatrice (Beatrice et Benedicte d’après Shakespeare) chez Berlioz dont elle chante aussi évidemment les Nuits d’été (de surcroît dans ce coffret, sous la direction de Ozawa lire ci après).
COFFRET MIRACULEUX… Qu’apporte le coffret de 18 cd réédités par Sony classical ? Pas d’opéras intégraux, mais plusieurs récitals thématiques où scintille la voix ample, cuivrée, chaude d’un mezzo dramatique et suave, plus clair que celui de Janet Baker, aussi somptueux et soucieux d’articulation et de couleurs que Susan Graham (sa continuatrice en quelque sorte)… C’est dire l’immense talent interprétatif et la richesse vocale de la mezzo américaine Frederica von Stade née un 1er juin 1945, qui donc va souffler en ce début juin 2016, ses 81 ans. Le coffret Columbia (the complete Columbia recital albums) souligne la diversité des choix, l’ouverture d’un répertoire qui a souvent favorisé la musique romantique française, la fine caractérisation dramatique pour chaque style, une facilité expressive, une élasticité vocale, – dotée d’un souffle qui semblait illimité car imperceptible, et toujours une pudeur presque évanescente qui fait le beauté de ses rôles graves et profonds. Les 18 cd couvrent de nombreuses années, en particulier celles de toutes les promesses, et de la maturité, comme de l’approfondissement des partitions, soit de 1975 (CD où règne la blessure et le poison saignant de la Chanson perpétuelle de Chausson, déjà l’ivresse ahurissante de son Cherubino mozartien, ce goût pour la mélodie française : très rare Le bonheur est chose légère de Saint-Saëns, ou la question sans réponse de Liszt d’après Hugo : « Oh! quand je dors S 282, récital de 1977, cd3) ; jusqu’aux songs de 1999 et même 2000 (Elegies de Richard Danielpour, né en 1956, avec Thomas Hampson).
Dans les années 1970 et 1980, la mezzo Frederica von Stade chante Mozart, Massenet, Ravel avec une gravité enivrée
VELOURS TRAGIQUE
Salut à la France… La mesure, le style, une certaine distanciation lui valurent des critiques sur sa neutralité, un manque d’engagement (certaines chansons de ses Canteloube)… Vision réductrice tant la chanteuse sut dans l’opéra français exprimer l’extase échevelée par un timbre à la fois intense, clair d’une intelligence rare, à la couleur précieuse, à la fois blessée, éperdue, brûlée : un exemple ? Prenez le cd 2 : French opera arias (de 1976 sous la direction de John Pritchard) ; sa Cavatine du page des Huguenots de Meyerbeer ; sa Charlotte du Werther de Massenet (noblesse blessée de « Va, Laisse couler mes larmes »), l’ample lamento grave de sa Marguerite berlozienne (superbe D’amour l’ardente flamme, au souffle vertigineux), ne doivent pas diminuer l’éclat particulier de la comédienne plus amusée, piquante, délurée chez Offenbach (Périchole grise ; Gerolstein en amoureuse déchirée : voyez le récital totalement consacré à la verve du Mozart des boulevards : Offenbach : arias and Overtures, 1994, cd14), d’un naturel insouciant et douée de couleurs exceptionnellement raffinées pour le Cendrillon de Massenet, surtout Mignon d’Ambroise Thomas, notre Verdi français. La pure et fine comédie, la gravité romantique, le raffinement allusif : tout est là dans un récital maîtrisé d’une trentenaire américaine capable de chanter l’opéra français romantique avec un style mesuré, particulièrement soucieuse du texte.
Italianisme. Bel cantiste par la longueur de son legato et un souffle naturellement soutenu, aux phrasés fins et finement ciselés, Von Stade fut aussi une interprète affichant son tempérament tragique et sombre, d’une activité mesurée toujours, chez Pénélope de Monteverdi (Le Retour d’Ulysse dans sa patrie), chez Rossini où sa distinction profonde fait miracle dans Tancredi et Semiramide (airs et aussi récitatifs merveilleusement articulés / déclamés, cd4, 1977)… Evidemment son métal sombre et lugubre va parfaitement aux lieder bouleversants de Mahler (cd5, 1978 : Lieder eines Fahrenden gesellen, Rückert lieder) ; mais la passion vocale et l’étendue de son velours maudit, comme blessé mais si digne et d’une pudeur intacte ne se peuvent concevoir sans ses prodigieux accomplissements dans le répertoire romantique et post romantiques français : Chants de Canteloube avec Antonio de Almeida (2 albums, de 1982 et 1985, où l’ivresse mélodique s’accompagne d’une volupté comme empoisonnée à la Chausson… le timbre enivré de la mezzo américaine s’impose par sa volupté claire et son intensité charnelle ; exprimant tout ce que cette expérience terrestre tend à l’évanouissement spirituel,… une Thaïs en somme : charnelle en quête d’extase purement divine). Ces deux recueils sont des must, indémodables (même si pour beaucoup sa partenaire et contemporaine Kiri te Kanawa a mieux chanté Canteloube, sans « s’enliser »).
Berliozienne et Ravélienne, Von Stade a exprimé son amour à la France. Même style irréprochable dans ses Nuits d’été de Berlioz d’après Gautier de 1983 sous la direction de Ozawa ; et aussi Shéhérazade, Mélodies et Chansons de Ravel à Boston avec Ozawa toujours en 1979…
Avec son complice au piano, Martin Katz, la divina s’expose sans fards, voix seule et clavier dans plusieurs récitals qui ne déforment pas son sens de la justesse et de la musicalité allusive d’une finesse toujours secrètement blessée : deux cycles sont ici des absolus eux aussi, le récital de 1977 comprend Dowland, Purcell, Debussy Canteloube dont il faut écouter Quand je dors S 282 de Liszt sur le poème d’Hugo : maîtrise totale du souffle et du legato avec une articulation souveraine : quel modèle pour les générations de mezzos à venir. Plus aucune n’ose aujourd’hui s’exposer ainsi en concert. Puis le récital de 1981 se dédie aux Italiens, de Vivaldi, Marcello, Scarlatti à Rossini sans omettre évidemment Ravel et Canteloube
Sur le tard, Stade, appelée affectueusement « Flicka« , sait aussi se réinventer et goûte selon l’évolution de sa voix, d’autres répertoires, d’autres défis dramatiques : comme le montrent les derniers recueils du coffret Columbia : après celui dédié à la comédie encanaillée mais subtile d’Offenbach (Offenbach arias & Overtures, Antonio de Almeida,1994), les cd 15 (Elegies et Sonnets to Orpheus de Richard Danielpour), cd 18 (Paper Wings et Songs to the moon… de Jake Heggie) soulignent la justesse des récitals (de 1998 et 1999) : celle d’une voix mûre qui a perdu son agilité mais pas sa profondeur ni sa justesse expressive… CONCLUSION. Pour nous, française de coeur, Frederica Von Stade laisse un souvenir impérissable dans deux rôles chez Massenet qu’elle a incarné avec intensité et profondeur : Cendrillon (cd16, 1978) et Cherubin (cd17, 1991), sans omettre son Mignon de Thomas (Connais tu le Pays, cd2, 1976). Bel hommage. Coffret événement CLIC de mai 2016.
CD, coffret événement. Frederica von Stade : the complete Columbia recital albums (18 cd, 19975-2000). Extraits d’opéras, mélodies, songs, lieder de Massenet, Thomas, Ravel, Mahler, Schuebrt, Berlioz, Bernstein… CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2016.