CD. Dvorak : Symphonies et concertos (Jiri Belohlavek, 2012-2013, Decca). Né à Prague en 1946, Jiri Berohlavek fut assistant de Celibidache (1968) et se distingua lors des Concours des jeunes chef tchèques (1970) puis Herbert von Karajan (1971). Il devient directeur musical du Prague Symphony orchestra (1977) puis en 1990, directeur musical de la Philharmonie Tchèque. En 1994, il fonde la Prague Philharmonia et réalise ses nombreux engagements comme chef invité en particulier au sein de l’Orchestre symphonique de la BBC (en particulier pour les Prom’s, 2006-2012). Chef lyrique (Russalka de Dvorak récemment dirigé à l’Opéra de Vienne en 2014), Belohlavek sait marquer les esprit par son sens de l’architecture, la grande fluidité de son geste et des tempi volontiers ralentis, avec un sens délectable de la sonorité, à la fois vive, expressive, très détaillée, toujours opulente et généreuse. Ses phrasés originaux révèle une imagination fertile au service de l’activité instrumentale où jaillit l’éclat des bois et des cordes.
Le coffret Decca réunit un cycle d’enregistrements réalisés entre 2012 et 2013, témoin de la dernière manière du chef lyrique et symphonique, familier depuis toujours des compositeurs tchèques dont évidemment Dvorak, mais aussi Janacek. Les caractères de sa vision équilibrée, parfois carrée et solennelle, mais riche en détails et articulation se manifestent surtout dans les Symphonies opus 88 et opus 95 soit les n°8 de 1889 et n°9 (du Nouveau Monde) : la direction sait ciseler de façon très vivante les motifs écrits, détaillant, rendant perceptibles d’infimes détails de timbre, le tout dans un cadre parfaitement structuré, – les détracteurs diront un rien emplombé parfois, trop atténué, d’une retenue qui confine à une distanciation désengagée. C’est écarter l’indiscutable sensibilité du maestro dans la résolution des dialogues des pupitres des bois particulièrement, le chant toujours très investi et de façon organique des seules cordes, la caractérisation rythmique (grazioso de la 8 ; clarté et vivacité du furiant en phrases décalées du Scherzo de la n°6), l’élégante personnalité de ses carrures chorégraphiques qui affirment le tempérament dansant de ses finals (allegro ma non troppo de la même 8 : où rayonne aussi l’éloquence généreuse des cuivres).
Dvorakien de grande classe
La 9ème en son début brumeux, volontiers nostalgique fait valoir les mêmes qualités : relief instrumental et retenue introspective qui contraste avec l’appel des cuivres d’une évidente majesté : autant de vagues alternées et opposées agencées en un bain palpitant où s’impose surtout, essentiellement le chant des bois, la danse des cordes, la majesté des cuivres, la solennité d’un cadre idéalement structuré. Jiri Belohlavek fait tout entendre avec une grande élégance de ton, un naturel organique qui en reliant tous les épisodes assure la grande cohérence de l’ensemble. Le largo développe la prière du hautbois sur une extension optimale du tapis des cordes et des bois… L’activité des instruments et la clarté des plans sonores enrichissent comme peu la noblesse de l’épisode axial (le plus développé de la symphonie, soit plus de 12 mn), où Belohlavek fait couler un pur climat d’enchantement – osons dire Parsifalien. La sensibilité pudique et intérieur du maestro praguois est saisissante ici. Même galop de grande classe (articulation et clarté des dialogues de timbres : cordes / cuivres – puis cordes / harmonie dominé par la flûte) dans l’excellent et trépidant Scherzo. Toute la science millimétrée du maestro se déploie dans l’ample portique de l’Allegro finale, d’une exaltation superlative, gorgé de saine clarté et aussi d’ampleur sereine, de leurs diverses et profondes, humainement investie qui laisse envisager de multiples clés d’approche et de compréhension : cette richesse sonore, respectueuse pourtant du flux organique qu’il rend toujours très clair, porte définitivement la marque du chef : attentif, hypersensible, mesuré, clairvoyant, d’une suractivité à l’équilibre souverain. A chaque mesure reste perceptible la pensée et la vision qui les soustend. L’approche est scrupuleuse autant que personnelle : voilà qui rend chaque symphonie et les deux -plus connues et spécifiquement ambitieuses- littéralement passionnantes.
On ne peut que constater la maturité du chef et sa largeur de vue dans un cycle symphonique porté avec passion, scrupule, amour. Le cycle symphonique dans son ensemble est magistralement rétabli : deux premières symphonies composée à 24 ans (1865) sous influence schumannienn entre autres, avec quelques couleurs empruntées à Janacek et Richard Strauss (n°2). Le wagnérisme assumé de la n°3 (1873) avec citation à peine masqué de son opéra favori d’alors, Tannhäuser est parfaitement compris. Le chef porte tout autant les n°5, surtout la complexité dansante de la 6è, composée en 1880 (hommage à son soutien principal à Vienne Brahms dont il cite la 2ème Symphonie au début du Finale), sans omettre l’éloquence sombre et grave de la 7ème écrite en 1885 pour la Société Philharmonique de Londres.
Le coffret complète le legs symphonique de Dvorak, soulignant la grande imagination sur le plan des timbres et des couleurs, portés par une orchestration à la fois coulante, (organique) et riche en détails (finement caractérisée sous la direction affûtée du chef) : Concerto pour piano écrit en 1876 (contemporain de l’inauguration du premier Ring à Bayreuth, mais surtout dans l’écriture de l’oeuvre de Dvorak de sa 5è Symphonie, du Stabat Mater (miroir des tragédies intimes, celles du père endeuillé) ; Concerto pour violon de 1879 (au lyrisme tchèque nettement explicité) dédié à l’ami de Brahms, le violoniste Joseph Joachim (quoique celui ci refusa toujours de jouer une œuvre trop moderne). Le Concerto pour violoncelle remonte à la dernière année du séjour américain (écrit à l’hiver 1894-1895). Créé en 1896, Dvorak l’enrichit de thème chéri par sa belle sœur Josefina (dont il avait été amoureux quelques trente ans auparavant), mélodie tendre en guise de prière pour un rétablissement espéré qui ne se réalisera pas : l’aimée malade s’éteint quand Dvorak rejoint sa chère auréolée de gloire américaine : l’âpreté parfois trop appuyée, moins chantante qu’expressive mais d’une aridité brûlée de la soliste (ici, Alisa Weilerstein) n’empêche pas la direction fine et ciselée de Jiri Belohlavek qui prend ce plaisir élégantissime à détailler et colorer chaque climat du Concerto, l’un des mieux aboutis sur le plan des couleurs et du caractère. L’apport pour Dvorak est somptueux : servi par l’un de ses interprètes récents les plus personnels, inspirés, d’une fertile intelligence, d’une imagination juste et remarquablement investie.
Antonin Dvorak (1841-1904) : Intégrale des Symphonies et des Concertos. Alisa Weilerstein (violoncelle), Frank Peter Zimmermann (violon), Garrick Ohlsson (piano). Cezch Philharmonic. Jiri Belohlavek, direction (6 cd Decca 2012-2013).
Jiri Belohlavek © K.Ridley