CD, critique. WAGNER : Tristan und Isolde (Bayreuth 2009, Schneider). Alors que sur scène pour ceux qui l’ont vue, la mise en scène de Christoph Marthaler (créée in loco, à Bayreuth, en 2005) se voulait nostalgie refroidie de l’ordre communiste style RDA année 1950, comme restitution d’une société sclérosée, statique, corsetée, la réalisation musicale de ce Tristan du Bayreuth 2009, était confiée au chef Peter Schneider.
Bayreuth 2009
Un Tristan sans vertiges
et d’une tenue honnête
La distribution vocale est globalement convaincante. Robert Dean Smith impose un chant solide et charpenté qui sait dans son monologue solitaire et impuissant du III, d’une infinie souffrance langoureuse, émouvoir et même exprimer les fondations de la souffrance humaine : aimer c’est souffrir.
Alter ego de son spleen extatique irréversible, l’Isolde d’Irène Theorin partage cette solidité vocale que campe les femmes de caractère, ainsi qu’elle aborde les débuts du personnage à l’acte I : promise au Roi Marke, la fiancée qu’escorte le beau Tristan lui rappelle ce jeune homme blessé qu’elle soigna et probablement aima quand il se faisait appelé « Tantris ». La soprano danoise exprime avec aisance et sincérité le doute qui l’assaille et bientôt cette âme taillée pour s’immerger dans le grand vertige amoureux inexorable du II. Mais celle qui fut coachée par Birgit Nilson- wagnérienne légendaire pour Karajan et Solti…, ne peut écarter une certaine froideur qui adoucit et lisse son engagement global… Lequel pourtant s’achève en sacrifice ultime (comme Brünnhilde).
Dommage car la servante et le témoin conquis de ce couple maudit, Brangaine / Brangäne, est superbement chantée par la sud africaine Michelle Breedt. Chant onctueux et juste et même d’une finesse qui va en se bonifiant, la mezzo bouleverse par son humanité.
Plus patriarche et comme emmuré dans un personnage pétrifié, le roi Marke du vénérable Robert Hall emplombe chaque situation où il paraît. C’est noblement chanté certes mais monotone et presque ennuyeux : cf son grand monologue de l’Acte II (« Tatest Du’s wirklich »).
Parfois rustre et outré, le Kurwenal du finnois Jukka Rasilainen déconcerte souvent non par un style hors de propos mais par un surinvestissement qui sonne parfois faux ; pour autant on n’oubliera pas de sitôt, « Endlich leben o leben » au III qui le rend lunaire, crépusculaire intensément poétique (avant de mourir)
S’il creuse avec nervosité et précision, l’agitation des femmes au I (inquiétude, instabilité psychique de Isolde et de Brangäne qui usent du philtre d’amour pour que s’accomplisse ce que toutes deux espèrent sans mots dire), le chef Peter Schneider expédie l’extase de l’acte II en un pulsation trop allante à notre goût pas assez suspendue, éperdue, enivrée… cependant l’orchestre de Bayreuth, idéalement / naturellement calibré pour les équilibres orchestraux, – si sublimes dans Tristan, reste superlatif, soulignant combien l’orchestre est le cœur de la machine musicale, à la fois sensuelle et envoûtante, voire vénéneuse. Grâce à l’esthétique souhaitée par Wagner, l’océan instrumental dans sa plénitude orchestrale, produit sous la scène, une manière de tapis sonore sur lequel les voix projettent avec naturel ; avec les instruments, envelppés par eux, et non contre l’orchestre situé comme souvent, devant les chanteurs (au risque de les couvrir et donc les forçant à hurler). Or le chant wagnérien (cf Karajan) est l’un des plus chambristes qui soient, proche du lied (mais oui !). Hélas, Peter Schneider semble l’avoir oublié ici qui avance certes, mais sans détailler les infinies nuances que la partition plus psychique que dramatique, développe à l’infini. La tenue générale de cette production est donc honnête, et à défaut d’être allusive et subtile, ne suscite pas un immense enthousiasme.
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CD, critique. WAGNER : Tristan, Bayreuth 2009, Peter Schneider
TRISTAN UND ISOLDE
Live du 9 août 2009
Robert Dean Smith
Irène Theorin
Michelle Breedt
Jukka Rasilainen
Peter Schneider