jeudi 28 mars 2024

CD, critique. PEDRO RUIMONTE EN BRUSELAS (2 cd Lauda Musica / La Grande Chapelle / Albert Recasens 2017)

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ruimonte-pedro-bruselas-la-grande-chapelle-albert-Recasens-cd-programme-cd-review-la-critique-cd-par-classiquenewsCD, critique. PEDRO RUIMONTE EN BRUSELAS (2 cd Lauda Musica / La Grande Chapelle / Albert Recasens 2017). Voici un double cd qui souligne combien l’avènement de nouveaux souverains (Habsbourg espagnols) à la tête des provinces néerlandaises : l’infante Isabelle Claire Eugènie et son futur époux, l’archiduc Albert VII d’Autriche en 1599, – à l’initiative de Felipe II d’Espagne (père de l’Infante), modifia la vie de cour, en particulier, favorisa enfin l’essor d’une intense activité musicale (inédite in loco). Le couple venu pacifier les états néerlandais en guerre ouverte contre leurs suzerains ibériques, sut affirmer un prestige politique auquel le maestro de musica, Pedro Ruimonte associa une somptueuse parure musicale, – spécifiquement espagnole, comme en témoigne le faste artistique développé pour l’entrée solennelle du couple à Bruxelles. La politique de l’Infante porta ses fruits et en signant la trêve de Douze ans (1609-1621), la paix put se renforcer pendant plus d’une décade, permettant à l’art de reprendre des couleurs. Les Flandres purent en particulier développer une nouvelle industrie du luxe. Mais la reconquête s’appuie surtout sur l’exaltation de la foi de souverains étrangers, ultra-catholiques.
En place au sein de la chapelle archiducale jusqu’en 1614, Ruimonte (aux côtés de Peter Philips, John Bull avec le maître de chapelle Géry de Ghersem) livre l’ordinaire liturgique et la parure des événements spectaculaires destinés à assoir l’éclat du décorum de la contre-réforme. Bruxelles peut donc se targuer de connaître sous les Habsbourg, un âge d’or auquel en accord avec la musique, la peinture permit aussi un regain de splendeur, grâce à Rubens, maître souverain de la séquence (avec Otto Venius, Frans Francken, Brueghel l’Ancien, sans omettre le portraitiste Pourbus, qui passera ensuite en France…). La période dorée prit fin avec le décès d’Isabelle en 1633. Le premier tiers du XVIIè marque donc à Bruxelles, un développement exceptionnel des arts. Albert Recasens, directeur artistique de La Grande Chapelle, nous livre ici un éclairage inédit sur une période pourtant passionnante de l’histoire bruxelloise, à l’époque du premier baroque européen.

ESSOR DU VILLANCICO à BRUXELLES

Isabella_Clara_Eugenia_of_Spain_-_Frans_Pourbus_II cd review critique cd par classiquenews CLIC de classiquenews de mai 2018Bruxelles à l’heure d’Isabelle entretient un style éclectique et international comme en témoigne la Fantaisie du Bruxellois Pieter Cornet qui outre sa virtuosité toute italienne, affirme une parfaite assimilation de l’art des virginalistes anglais, dont celui de John Bull, présent à Bruxelles justement autour de 1613 (cd 1, plage 5). Le programme conçu par Albert Recasens poursuit une approche extrêmement pertinente et documentée sur la période : l’intérêt de ce nouveau disque est d’éclairer le style de Pedro Ruimonte en l’inscrivant dans le contexte artistique de son temps : y figurent ainsi les pièces contemporaines de Philips (oeuvres sacrées), du déjà cité Cornet (pièces pour clavecin) ; mais aussi Romero, Dering (anglais devenu catholique, auteur pour la consort music), jusqu’à Frescobaldi (Canzon, plage 6)… dans le cd 2 : l’Italien publie son Livre I de madrigaux à Anvers avant de rejoindre Rome où il sera maestro de capella (Capella Giulia).

Dans ce creuset européen, Ruimonte accompagne l’évolution du choix général de textes français pour l’italien (essor du madrigal), mais affirme de son côté, l’espagnol comme langue poétique mise en musique : ainsi son Parnasso espanol (1614, dédié au Duc de Lerma) dont sont extraits les Villancicos abordés ici ; cependant il ne sera pas suivi par ses confrères. Ainsi et c’est le sujet principal de ce programme, Ruimonte défend le madrigal espagnol (et aussi le villancico) pour 4, 5 et 6 voix ; La Grande Chapelle développe un soin particulier pour chaque pièce, afin de favoriser l’articulation donc l’intelligibilité de chaque texte dont on peut raisonnablement penser qu’ils firent la délectation particulière des nobles d’Espagne, sans omettre les Souverains Habsbourg eux-même en terres flamandes et Bruxelloises.
Ainsi dans chacun des 5 Villancicos retenus (en première mondiale, tous dédiés soit à la Vierge soit à la Passion), La Grande Chapelle insuffle la souplesse nécessaire pour bien distinguer dans la tenue des effectifs requis, l’enchaînement de ses 3 composantes (estrebillo pour 1, 2 ou 3 voix) ; responsion, développement de la première strophe du 1, par le groupe vocal complet ; enfin, copla finale (même effectif que le 1).
Distinguons aussi un travail exemplaire porté par les deux groupes de chanteurs, dans le rare motet (en latin) : Sancta Maria (8 voix), où l’expressivité chorale proche du texte enflamme cette prière descendante (pleine d’humilité recueillie) et pourtant aussi très incarnée, palpitante.

Le geste respecte l’énoncé surtout syllabique (moins madrigalesque) d’oeuvres qui frappent par leur caractère suspendu, intérieur, comme distancié… emblèmes parfois énigmatiques d’un pouvoir qui s’est rêvé, universel et omnipotent aux Pays-Bas Espagnols. Ce qu’il fut concrètement jusqu’en 1633. La qualité des textes et des manières ainsi révélés méritait bien ce double témoignage absolument nécessaire. Fidèle à sa réputation, Albert Recasens sait nuancer et habiter chaque séquence avec un feu mesuré et très homogène. On ne peut guère attendre dans un tel répertoire, à la fois solennel et recueilli, meilleure compréhension des pièces choisies.

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CLIC_macaron_2014CD, critique. PEDRO RUIMONTE EN BRUSELAS, musica en la corte de los archiduques Alberto e Isabel Clara Eugenia (2 cd Lauda Musica LAU 017 / La Grande Chapelle / Albert Recasens, direction – enregistrement réalisé à Anvers en janvier 2017). Saluons la notice extrêmement bien documentée, illustrée avec discernement, qui souligne le travail scientifique d’envergure dont le coffret de 2 cd est le prolongement éloquent. Rare aujourd’hui, crise du cd oblige et frilosité des directeurs de salles et de festivals, les programmes d’une telle ampleur, ambition, valeur. Bravo à Albert Recasens et ses équipes. Pour un témoignage vidéo et plus d’informations : visiter le site du label LAUDA MUSICA

http://www.laudamusica.com/index.php

et

http://www.atlas-news.com/agencia-internet/cultura/Ruimonte_en_Bruselas-pedro_Ruimonte-Siglo_de_Oro-Albert_Recasens-La_Grande_Chapelle-Fundacion_BBVA_3_1116518346.html

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