CD, critique. OFFENBACH : Maître Petronilla (2 cd Pal Bru Zane / collection Opéra français, 2019). Maître Péronilla d’Offenbach tint l’affiche une cinquantaine de représentations après sa création aux Bouffes-Parisiens le 13 mars 1878 ; puis disparut comme il était apparu. Sa résurrection par le disque, fixant sa recréation en 2019 est-elle justifiée ? Tenons nous là un nouveau joyau de l’opéra romantique français ? Qu’en pensez ? Offenbach fait évolué son style après la Chute du Second Empire et l’avènement de la IIIè République, dans le contexte nationaliste des années 1870 et plutôt antiboch comme en témoigne la création de la Société Nationale de musique, destinée à promouvoir les créateurs français.
Tout cela n’allait pas empêcher la wagnérisme de prendre racines en France et surtout à Paris grâce à l’activité du chef exemplaire Charles Lamoureux au début des années 1890…
Plus concentrée et redoutablement efficace, la plume d’Offenbach a gagné en épaisseur voire en noirceur alors ; deux ans avant sa mort (1880), Offenbach voit grand à l’égal de son grand œuvre inachevé Les Contes d’Hoffmann : ici Péronilla renouvelle la leçon des ensembles de Rossini, nécessite 16 solistes pour 26 rôles (avec un excellent finale au II). Après Carmen de Bizet (1875), portée aussi par Manet en peinture, l’Espagne inspire les artistes et Offenbach cède à la sirène ibérique (en témoigne la fameuse et inoubliable trouvaille musicale de la malagueña) ; le compositeur renouvelle une vieille ficelle héritée du buffa le plus classique : une femme acariâtre (Léona), jalouse de sa (belle) nièce (Manoela) force cette dernière à épouser le vieux Don Guardona. Mais la belle Manoela aime le bel Alvarès. Aidée de Ripardos et Frimouskino, Manoela parvient à épouser aussi Alvarès ; l’héroïne est bigame. La situation réserve quelques belles scènes et quiproquos dans le pur esprit boulevard, cocasse voire égrillard. Mais s’affirme Péronilla, maître chocolatier à Madrid qui endosse la robe d’avocat, son ancien emploi, défend sa fille et son époux de coeur (Alvarès) : les deux jeunes amants seront reconnus mari et femme, et Leona épousera le vieillard Guardona.
Comme chez Rossini, il faut particulièrement soigner le choix des solistes et réussir la galerie de portraits hauts en couleurs, ici réunie. Faux naïf bienveillant, Péronilla (Eric Huchet) sonne juste en défenseur (un rien tardif) de sa fille et d’Alvarès ; la Leona de Véronique Gens (plus connue comme tragédienne blessée et aristocratique) fait valoir ses saillies hispaniques plutôt cocasses, en duègne qui a des visées sur le jeune Alvarès… Cependant, les deux chanteurs peinent à atteindre cette élégance délirante que requiert l’invention d’Offenbach. Ils contrastent néanmoins à souhaits avec la tendresse de Manoela (Anaïs Constans). Distinguons aussi l’impeccable Frimouskino d’Antoinette Dennefeld ; le Ripardo, bien chantant et le mieux articulé du baryton Tassis Christoyannis tandis que François Piolino, professionnel du double registre, sait préserver au rôle de Guardona, sa finesse bouffonne. Plusieurs profils percutant dans la veine grotesque et délirante sont idéalement incarnés, tels Philippe-Nicolas Martin (Felipe, Antonio, deuxième juge), ou le ténor ailleurs parfait rossinien, Patrick Kabongo (en Vélasquez major, descendant direct du peintre baroque !), sans omettre Yoann Dubruque (Don Henrique) et Jérôme Boutillier (le Corrégidor, entre autres…). Voilà qui accrédite davantage l’inspiration parodique, sarcastique avec une pointe d’humaine tendresse cependant propre à Offenbach. Du Daumier riche en fantaisie et complicité. Ce Péronilla, qui troque le chocolat sévillant pour la robe noire, offrant un croustillant tableau au Tribunal (là on pense au talent mordant du caricaturiste), mérite évidemment d’être ainsi ressuscité.
Tapis orchestral surdimensionné pour ce qui devrait être une délicieuse fantaisie, l’Orchestre national de France associé à l’excellent Chœur de Radio France, peinent à respirer, colorer, en demi mesures et nuances. Le son est souvent épais et trop dense, allouant à la comédie des prétentions d’opéra. D’autant que le chef Markus Poschner, étranger aux subtilités et réglages de l’opéra comique français, manque de légèreté. Ceci n’ôte rien à la valeur de la réecréation et l’on rêve déjà d’une autre distribution, jeune et rafraîchissante, portée évidemment par un orchestre sur instrument d’époque.
CD, critique. Offenbach : Maître Péronilla, enregistré à Paris, Théâtre des Champs-Elysées, en juin 2019 – Éditions Palazzetto Bru Zane – Livre 2 cd