Cd critique. LISZT : « O LIEB! », lieder. Cyrille Dubois, ténor / Tristan Raës, piano (1 cd APARTE, oct 2018). Focus légitime et opportun que celui qui ici dévoile les lieder de Liszt, – si peu connus, composés dans le prolongement des transcriptions de ceux de Schubert ; mais à la sensucht schubertienne, langueur nostalgique ineffable, Liszt reste, proche de sa propre sensibilité émotionnelle, passionné voire captivé par l’extase amoureuse ; un état d’hyperconscience, de solitude, d’ivresse, de volupté absolues, où l’on retrouve pour les lieder allemands, la fusion de la nature (communion magique avec le Rhin entre autres), de l’abandon, du rêve. Les connaisseurs du piano de Liszt y retrouvent ce goût des harmonies rares et aventureuses, toutes inféodées étroitement à l’itinéraire des textes poétiques. La part du piano revendique d’ailleurs, un chant double, égal, qui n’accompagne pas, mais dialogue avec la voix et commente ce qu’elle dit : au piano (Steinway D 225, au chant complice, fusionnel), le jeu de Tristan Raës se montre irrésistible. Mais le sommet du lied lisztéen demeure indiscutablement le lyrisme mesuré et nuancé de Die Loreley, qui comme l’Erlkönig de Schubert, que Liszt connaissait évidemment, condense le pouvoir de l’hallucination jusqu’à la mort, l’attraction de la nymphe voluptueuse capable d’envoûter le batelier trop contemplatif et naïf jusqu’au fond des eaux mouvantes.
D’une manière générale, l’affinité du timbre et du style de Cyrille Dubois, que l’on n’attendait guère dans la langue de Heine ou de Schiller (entre autres), s’affirme dans l’imaginaire des lied romantiques du plus spirituel et passionné des compositeurs romantiques. Son articulation, son intelligence prosodique dépouillée de tout artifice, creusent l’arête des mots.
Souveraine, la noblesse schumanienne du premier lied « Hohe liebe »), qui convoque la rêverie et la plénitude extatique. Intonation et projection hallucinée, enivrée aux aigus parfois durs, métalliques, mais clairs, brillants se déploient sans entrave, au service de la finesse poétique des textes. Même naturel et évidence, dans le second lied (« Jugendglück de 1860), plus déclamatoire, expressif, pointu, qui convient au timbre très droit du ténor français dont on se délecte aussi de l’infinie tendresse de phrasés enivrés : cf. « Schwebe« , 1ère version posthume (14).
Les 4 mélodies françaises (d’après Victor Hugo) ajoutent évidemment l’impact poétique du verbe français, aux évocations naturelles et végétales, teinté d’un érotisme filigrané (épisode printanier de « S’il est un charmant gazon », 1844)…
La sûreté des hauteurs, l’élégance du style se déploient plus encore dans les 3 mélodies suivantes de 1859 (dans leur seconde version respective). « Enfant si j’étais roi », altier, conquérant et fier ; « Oh quand je dors » se fait pure prière, appel à l’onirisme le plus évocateur, telle une berceuse au balancement exquis, hypnotique, d’essence surtout amoureuse car Hugo y dépose les miracles d’une âme traversée par le saisissement éperdu : le timbre angélique et tendre, brillant et sans fard, d’une sincérité juvénile de Cyrille Dubois convainc totalement. D’autant que le piano de Trsitan Raës éblouit lui aussi par son sens des nuances.
L’accomplissement se réalise dans le dernier « Comment, disaient-ils », mélodie en forme de rébus ; au dramatisme à la fois inquiet (des hommes) et mystérieux, rêveur (des femmes énigmatiques qui leur répondent). Les passages en voix de tête sont idéalement réalisés, indiquant comme il le fait chez les Baroques, (Rameau dont un Pygmalion récent), un vrai tempérament taillé pour le verbe ciselé, évocateur. Un diseur doué d’une intelligence qui écoute les secrets du texte comme de la musique.
Dans les ultimes mélodies d’après Pétrarque, le « Benedetto sia’l giorno » (22), indique dans la tenue impeccable de la ligne, l’extension souple et tendue de la phrase, la pureté de l’articulation, la précision des mélismes, la franchise solaire des aigus, des vertus… belcantistes – c’est à dire orthodoxes ici, rossiniennes et belliniennes, que le diseur aurait bénéfice à cultiver dans le futur. Le ténor est capable d’exprimer le ravissement et l’extase amoureuse fantasmé, vécu par Liszt à l’épreuve de Pétrarque. Quel autre ténor dans cette candeur naturelle, et cette franchise est capable d’un tel accomplissement aujourd’hui ? Formidable interprète. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019.
Cd critique. LISZT : « O LIEB! », lieder. Cyrille Dubois, ténor / Tristan Raës, piano (1 cd APARTE, oct 2018).