CD, critique. Dmitri LISS : Wagner, Tchaikovsky (Symphonie n°4) – 1 cd Fuga Libera (2017). Le couplage Wagner / Tchaikovsky ici réalisé ne manque pas de nous séduire. Chef principal et directeur artistique de l’Orchestre Philharmonique de l’Oural, Dmitri Liss retrouve dans ce programme biface, le South Netherlands Philharmonic / Philharmonie Zuidnederland, dont il est le chef principal depuis 2016. De toute évidence, sous sa direction, l’orchestre néerlandais redouble de nerf et de caractérisation, en particulier dans la 4è de Tchaikovski dont il réalise une version passionnante (n’écoutez que le relief et la vitalité schizophrénique du Scherzo).
Le Wagner cultive une opulence sonore, un hédonisme qui nous semble propre aux orchestre nordiques, comme s’il étaient définitivement marqués chez Wagner par la suspension de la « brume » orchestrale. Peu de détails instrumentaux (comme ce chant de la clarinette du Liebestod… que savait articuler comme personne un Karajan subjugué). Liss, sans vouloir faire de jeu de mots, préfère quant à lui « lisser » la texture wagnérienne, sans cependant rien lui ôter de sa brillance et de son mystère. Le mystère achève dans un murmure suspendu le Vorspiel ; quand au Liebestod, il est tout entier aspiré par l’appel des cîmes, par la sublimation d’une conscience autre que celle du réel. Si Wagner cible la transcendance et la métamorphosen Tchaikovski lui dans la 1ère Symphonie ne parvient pas à se défaire d’une destinée contraire, comme maudite, empêtrée dans un nœud de conflits qui le laisse impuissant, démuni, solitaire.
Wagner lissé
Tchaikovsky schizophrénique
Dmitri Liss se montre moins vaporeux et plus tranchant, dramatique ici ; tout pénétré par la tragédie intime d’un Tchaikovsky dépassé par sa propre condition, le chef montre une réelle appétence pour l’orchestre tchaikovskien dont il sait détailler les milles facettes du désespoir. Ainsi l’appel des fanfares du premier mouvement, parfaitement équilibré et résonnant comme une symphonie de Bruckner mais avec ce sens déjà du fatum, d’un théâtre tragique, marque le caractère surtout grave et définitif de l’ample portique de plus de 18 mn (Andante sostenuto): l’orchestre s’implique dans ce grand dessein du désarroi avec un nerf et une belle clarté des pupitres. La lisibilité polyphonique convainc. Mais Liss articule les épisodes plus chantants, eux aussi éperdus, auxquels il sait apporter une pudeur investie réellement prenante : les forces de l’esprit et de la transcendance contre la tension du Fatum. Sa direction hédoniste ne manque pas de force ni de profondeur. Il y a de la grandeur, un sens réel de la sonorité ; une articulation qui donne de la sincérité à la direction, une vision très élaboré sur le plan du continuum et de l’architecture. Un esthète au cœur de la tempête Tchaikovsky, en somme Liss sait ciseler cet éclat spécifique de la dépression (la marche échevelée, ivre, entre cordes chauffées à blanc et cuivres somptueusement lugubres… qui clôt le sublime Andante initial / comme la souple ondulation intérieure du mouvement sui suit, le second Andantino in modo di canzona, c’est à dire énoncée comme une chanson italienne mais frappée du sceau d’une langueur maudite). Les Pizz du Scherzo sonnent comme la résonance épurée de la dépression qui s’est déployée dans les mouvements précédents : la tension là encore est magistralement mesurée, avec une échelle de nuances serties dans l’écoute intérieure ; les respirations de l’harmonie qui suit font écouter cette même compréhension intime de la partition, … schizophrénique dans la succession des climats mentaux enchaînés (l’une des plus autobiographiques de Piotr Illiytch ?) Liss est une baguette noble, articulée et souple douée d’une concentration profonde : intérieure, grave sans pathos. Bel équilibre. CLIC de CLASSIQUENEWS, en particulier pour le Tchaikovsky : on rêve de disposer demain d’une intégrale ciselée par Liss.
________________________________________________________________________________________________
CD, critique. Dmitri LISS : Wagner, Tchaikovsky (Symphonie n°4) – 1 cd Fuga Libera (2017) – Enregistrements réalisés en mars et décembre 2017. CLIC de CLASSIQUENEWS de janvier 2019.