CRITIQUE CD événement. CAMPRA : L’EUROPE GALANTE, 1697 (Les Nouveaux Caractères, D’Hérin, novembre 2017 – 2 CD Château Versailles Spectacles). Campra dut-il décamper ? Le 24 oc 1697, le compositeur employé de l’Archevèque de Paris, n’avait pas souhaité voir mentionné son nom sur les affiches et le livret car son patron n’aurait pas vu d’un bon œil la conception d’un ouvrage à la sensualité et aux références érotiques scandaleuses… Dans les faits, Campra revendiquera officiellement la paternité de l’Europe Galante, puis du Carnaval de Venise de 1699, après s’être libéré de ses engagements d’avec l’Archevêché de Paris en octobre 1700. Le Ballet selon la terminologie du XVIIè (et non pas « opéra-ballet » comme il est dit aujourd’hui par les musicologues), séduit immédiatement par la sensualité séduisante de son écriture, la fine caractérisation des actes selon le lieu concerné et le style « ethnographique » évoqué.
Campra amoureux et sensuel
à l’époque où le Turquie faisait l’Europe Galante…
Campra marque l’histoire de la musique dramatique à l’époque de la France Baroque car il renouvelle sensiblement le genre chorégraphique, offrant une nouvelle définition d’un spectacle chanté, dansé, joué, à partir du genre hybride du divertissement, séquence constituante de l’opéra légué par Lully, et qui sollicite tous les acteurs sur la scène : chanteurs, choeur, danseurs et évidemment orchestre. L’imagination très attractive et poétique de Campra se distingue nettement de celle de ses contemporains… en dépit de son intrigue morcelée, L’Europe Galante traverse diverses contrées européennes et présente les divers visages de l’amour, en France, en Espagne, en Italie, et en … Turquie (!).
A notre époque où l’intégration dans la communauté européenne de nos amis turcs pose toujours problème, voilà qui ne suscitait aucune réserve de la part de Campra et de son librettiste et par extension de leurs contemporains en ce début du XVIIIè.
La réussite de Campra et de son librettiste La Motte est d’offrir et de ciseler ainsi 4 tableaux dont la finesse d’inspiration et la couleur égalent le génie d’un Watteau ; la force réaliste de l’opéra nouveau revenant au sujet proprement dit : plusieurs intrigues amoureuses dans le style contemporain (soit du Marivaux ou du Beaumarchais avant l’heure, mais sans aucun sentiment ironique ni parodique et cynique : le temps est à l’abandon et à la sensualité). Ainsi la sensibilité amoureuse et le tempérament séducteur de chaque nation est épinglée, dans sa singularité contrastante : le Français, dans un intermède pastoral et berger, est « volage, indiscret et coquet » ; l’Espagnol, en une sérénade divertissante, « fidèle et romanesque », l’italien, inventeur du masque et du bal vénitien, est « jaloux, fin et violent » (un vrai méditerranéen en somme) ; enfin le Turc, en ses écrins colorés et sensuels, à la fois « souverain » et « emporté ».
La réalisation présentée par le Château de Versailles, est diversement convaincante. Distinguons quelques séquences emblématiques. Dans l’Italie : l’Olimpia de Caroline Mutel est trop courte et instable (vibrato envahissant et mécanique, voire systématique, aigus pincés) : quel contraste avec le français parfait et naturel de l’Octavio si délectable de Anders Dahlin (au verbe ciselé, languissant, tendre, d’une ivresse nostalgique).
La Turquie, s’ouvre en chaconne sombre et presque mélancolique sur le lamento qui montre l’impuissance de Zaide (somptueux mezzo intelligible d’Isabelle Druet). C’est l’un des épisodes les mieux incarnés : verbe clair et naturel, orchestre souple et onctueux même. Du grand art. Soulignons la cohérence expressive de l’air pour les Bostangis (plage 21, cd2) : truculence et délire orientalisant, plein de panache et de verve parodique : somptueuse réalisation. Saluons l’édition de cette nouvelle collection discographique sous le pilotage du Château de Versailles : Notice de présentation documentée, publication du livret intégral… Voilà qui change des publications hasardeuses, éditorialement faibles. A suivre (car l’institution versaillaise annonce de nombreuses enregistrements à venir, toute en liaison avec la riche histoire du Château de Versailles).
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Autre cd Château de Versailles Spectacles, critiqué sur CLASSIQUENEWS :
CD, critique. ROUSSEAU : Le devin du village (Château de Versailles Spectacles, Les Nouveaux Caractères, juil 2017, cd / dvd). “Charmant”, “ravissant”… Les qualificatifs pleuvent pour évaluer l’opéra de JJ Rousseau lors de sa création devant le Roi (Louis XV et sa favorite La Pompadour qui en était la directrice des plaisirs) à Fontainebleau, le 18 oct 1752. Le souverain se met à fredonner lui-même la première chanson de Colette, … démunie, trahie, solitaire, pleurant d’être abandonnée par son fiancé… Colin (« J’ai perdu mon serviteur, j’ai perdu tout mon bonheur »). Genevois né en 1712, Rousseau, aidé du chanteur vedette Jelyotte (grand interprète de Rameau dont il a créé entre autres Platée), et de Francœur, signe au début de sa quarantaine, ainsi une partition légère, évidemment d’esprit italien, dont le sujet emprunté à la réalité amoureuse des bergers contemporains, contraste nettement avec les effets grandiloquents ou plus spectaculaire du genre noble par excellence, la tragédie en musique. EN LIRE PLUS