CD, critique. BERNSTEIN : Symphonies 1, 2, 3 (Orch. Acad. Santa Cecilia, Pappano – 2 cd Warner). Le doute, la question existentielle exacerbés par le sens de la foi au XXè : tels sont les questionnements qu’éprouve et exprime Leonard Bernstein dans chacune de ses 3 symphonies, si personnelles, voire autobiographiques (au point qu’on les a tenues pour bavardes et « oiseuses » ; mais pouvons nous en dire autant des Symphonies de Mahler ?) ; en particulier, à travers la 2è, ou « Age of anxiety » dont il fait un Concerto pour piano avec une transposition très virtuose et presque fantaisiste de la forme variation. Evidemment qu’on ne s’y trompe pas, sous l’éclectisme parfois fanfaronnant de la forme (ce côté hollywoodien, souvent démonstratif – « râcoleur » diront les mauvaises langues), il y a bien une question fondamentale qui est posée ; celle de « la ferveur » chez un compositeur non croyant, un homme du XXè. Dans Mass, de 1972, le compositeur savait déconstruire et reconstruire un rituel liturgique, parodiant sermon, hymnes choraux, avec toujours ce questionnement affûté, insolent et même blasphématoire (le choeur de rue) qui optimisait dans le genre comédie musicale, toutes les objections énoncées face à la loi et l’autorité autoproclamée du dogme (à travers le personnage clé de son prêcheur).
Antonio Pappano s’engage corps et âme, dévoilant sans filtres, la chaleur et la sincérité des larmes de Jérémie, dans la Symphonie n°1 (1942), qui contexte historique oblige, recueille le traumatisme né de la Shoah : comment Dieu a t il permis que se réalise cette barbarie qui demeure une faute pour l’esprit, contre l’humanité ?
Dieu existe-t-il ? Comment justifier la notion même de guerres, meurtres, massacres, génocides… ? Jérémie se lamente ainsi face à Jérusalem : c’est Bernstein qui prophétise et se lamente lui aussi sur les dérives et la course du monde à son époque.
Révolté, Bernstein l’est totalement, contre la société du XXè, contre son père aussi ; sa quête est celle d’une identité à conquérir, qu’il ressent comme refusée. Dans sa chair, dans l’intimité de son milieu familial. Bisexuel et juif, le citoyen du monde et l’humaniste qu’est Bernstein interrogent dans la 3è, « Kaddish », l’humanité dévoyée, qui a perdu son humanisme; le compositeur s’est intéressé comme nul autre à peindre le portrait d’une humanité non humaine, c’est à dire dans son état de barbarie « ordinaire »… sur fond de choeur (liturgie restituée), Bernstein devenu orant, prêcheur critique, questionne directement Dieu, le somme d’expliquer pourquoi l’humanité s’écarte de l’humanisme.
Carrée, directe, la direction du britannique Antonio Pappano recherche surtout l’efficacité et la puissance du discours. On regrette cependant de la finesse et cette suggestivité tendre que savait cultiver l’auteur lui-même avec il est vrai des solistes autrement plus engagées (Ludwig pour Jeremiah / la volubile et inquiète Caballé dans Kaddish : deux enregistrement signés Bernstein chez DG). De sorte que pour son centenaire, Bernstein reste indépassable dans l’interprétation de ses symphonies. Pappano a le courage d’affronter la ferveur selon Bernstein, mais en éludant la profondeur au service de l’expressivité immédiate. A écouter en second choix. Le premier choix restant Bernstein par Bernstein.
CD, critique. BERNSTEIN : Symphonies 1, 2, 3 (Orch. Acad. Santa Cecilia, Pappano – 2 cd Warner)