CD, compte rendu critique. VOLTS. Quatuor TANA (1 cd Paraty 717246, 2017). Avec VOLTS, le Quatuor Tana fait évoluer notre perception de la forme instrumentale et marque un jalon dans l’histoire du genre quatuor. Les instrumentistes n’ont pas hésité à faire fabriquer leurs propres instruments capables de relever les défis d’un programme riche en surprises, en dépassements techniques, en renouvellement expressif et sonore. Les 5 compositeurs exploitent jusqu’à leurs extrêmités techniques et acoustiques, les « Tana Instruments », trouvant un équilibre précieux entre défrichement tous azimuts et néanmoins cohésion du parcours sonore. Chacune des pièces évapore les frontières séparant acoustique et électronique, ou explore les ressources des nouveaux instruments. Un monde sonore se dévoile dans cet album aussi expérimental que visionnaire. Quel sera demain le son du quatuor ? Les Tana répondent sans ambiguïté à la question, révélant les qualités d’une nouvelle syntaxe désormais fascinante.
Dès le premier opus signé Fausto Romitelli « Natura Morte con fiamme » pour quatuor et bande électronique (1991) s’impose le travail spécifique sur le son acoustique émis, auquel répond, dialogue, ou s’électrise son double électronique produit en résonance. Un certain hédonisme sonore diffuse de la série de longues phrases sur lesquelles glissent les notes des cordes en son réel. L’auteur sait cultiver atmosphères énigmatique suspendues, puis en contrastes expressifs, saccades, sons fouettés, percussions serties dans la bande électronique qui tout en enrichissant la matière sonore, favorisent surtout les gestes fragmentés ; il en découle un éclatement progressif de la forme, où se déploie une nouvelle série de chuintements courts qui redéfinissent la notion même de phrases musicales. C’est une sorte d’apologie du fragment et de la syncope, plus proche de la pulsion plutôt que du développement musical. La précision et l’intensité du geste de chaque instrumentiste assurent la réussite de l’ensemble.
Smaqra de Juan Arroyo est une pièce au caractère à la fois réaliste et onirique, pour pratique et sonorité mixte, acoustique et électronique (« hybride »), de 2015 . Les accents secs qui claquent et les à-coups sur les cordes mordent l’espace comme des griffes qui abolissent la notion de frottement continu ; à la fois « tambours » et aussi « cloches », les instruments nouveaux imaginés par les Tana (ayant leur propre haut parleur dans la caisse de résonance) tissent un nouveau champs de vibrations sur des rythmes entraînants auxquels répond une série d’accords amplifiés. Espace et temps fusionnent comme une jungle florissante, en extension, à la fois grouillante, fascinante, inquiétante. La diversité des sons acoustiques et leurs doubles électroniques (transformés, retraités en temps réel) s’imbriquent et dialoguent créant un espace en circulation permanente. La collection de sons qui est produite, propose un nouveau bestiaire musical, véritable vivier du timbre, interrogeant et remodelant chaque note dans sa hauteur, sa profondeur, son émission. Déflagration, résonance, réponses…l’imaginaire de l’auditeur est excité par la grande plasticité des instruments capables de couleurs et de nuances inédites (l’effets d’arcs électriques en fin de cycle, combiné au tissu grouillant, à la fois disparate et resserré, demeure fascinant).
Audacieux, défricheurs, pionniers…
les TANA inventent le Quatuor du XXIè
Remmy Canedo dans « Clusterfuck » de 2016 affirme immédiatement une plénitude sonore dans toutes les directions de l’espace et du temps qui mêle l’acoustique sec et le son électronique, frotté, pincé, en glissando ; son écriture elle aussi électrisée, tisse un magma en formation ou en permanente métamorphose … Avec traits distinctifs, l’incise millimétrée de phénomènes soucieux de la plénitude sonore, alternant passage en tutti résonnant, en murmures plus énigmatiques, voire inquiétant et agressifs. Le compositeur prend soin de ménager des « espaces sonores mouvants » à la fois très identifiables et aussi mêlés… les possibilités acoustiques et musicales des instruments nouveaux démontrent un champs d’action et de production sonore, totalement inédit. Sous tension, en une suractivité âpre et mordante, bondissante et nerveuse, la partition récente cultive une dramaturgie impressionnante parfois spectaculaire, avec des sons râpés, déchirés, alternant avec des séquences très denses, où les cordes frottés déploient un arsenal sonore expressif, souvent radical, en longues phrases soutenues pour la conclusion.
« Dissidence 4 » de Christophe Havel de 2016 est l’une des 3 partitions les plus développées de l’album, et qui offre à notre sens le spectre sonore le plus manifestement construit, exhibant d’emblée, dès son développement, une dramaturgie sonore très convaincante. Au début, jouant des effets de résonance des pizzicati, le développement s’impose par une série d’accords préalables plus construits, dessinant une entrée en matière déterminée, percutante, qui ouvre un espace résolu et plus stable (notes tenues remarquablement car subtilement amplifiées) que les partitions précédentes où l’esprit de césure et de syncope et la tension fragmentée étaient permanentes. Ici de longs rubans sonores se déroulent, jusqu’à la section en très courtes séquences à 3’45, où des éclairs, flammèches, associés à un effet de sirène, composent un nouveau paysage expressif en état de fusion voire « d’ébullition électrique » (donc très en rapport avec le titre de l’album « VOLTS »), tableau étiré, parcouru d’éclats sous tension. Là encore, les instruments acoustiques sont très bien exploités (coups d’archets percussifs, fouettés comme déchirant le spectre sonore, associés à une série d’arches tenues en decrescendo…). La versatilité des instruments, les climats contrastés qu’ils engendrent forment ainsi cette fabrique musicale et instrumentale, porteuse d’expérimentation et d’exploration sans limites. Les nouveaux instruments fabriqués par les quatre instrumentistes du Quatuor Tana (les « Tana Instruments »), renouvellent considérablement les champs expressifs et donc la palette sonore en question ; outre le jeu et la pratique, c’est aussi dans le dialogue qui s’instaure avec les luthiers, une nouvelle source d’enrichissement qui fait évoluer la lutherie.
Préparant et portant le tutti final d’une rare intensité en résonance, lignes mêlées, percussions, accents et nuances dialoguées nourrissent un véritable performance expressive au spectre très riche, tout à fait emblématique de ce bestiaire sonore permis par les “Tana instruments”. Les 30 dernières secondes de la pièce tissent un parcours sonore aussi inouï que flamboyant. Bel accomplissement. Certainement la séquence la plus convaincante de cet album, riche en pépites sonores inédites. En précurseurs, les Tana prophétisent les nouveaux sons du Quatuor moderne.
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CD, compte rendu critique. VOLTS. Quatuor TANA (1 cd Paraty 717246, 2017) – Durée : 1h05mn – CLIC de CLASSIQUENEWS, octobre 2017 – parution le 11 novembre 2017.
Programme :
1- Fausto Romitelli, « Natura Morte Con Fiamme », pour quatuor à cordes et bande électronique, 1991 08:56
2- Juan Arroyo, « Smaqra » pour TanaInstruments (hybride), 2015 08:06
3- Remmy Canedo, « Clusterfuck » pour TanaInstruments (hybride), 2016 17:23
4- Gilbert Nouno, « Deejay », pour quatuor à cordes et électronique, 2014, 18:07
5- Christophe Havel, « Dissidence 4 », pour TanaInstruments( hybride), 2016 13:08
Quatuor TANA
Antoine Maisonhaute (violin / violon)
Ivan Lebrun (violin / violon)
Maxime Desert (viola / alto)
Jeanne Maisonhaute (cello / violoncelle)
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Approfondir
LIRE notre grand entretien avec le Quatuor TANA, à propos du cd VOLTS (propos recueillis en octobre 2017)
LIRE notre annonce dépêche présentant le cd VOLTS du Quatuor TANA – dépêche du 8 octobre 2017