jeudi 18 avril 2024

CD, compte rendu critique. KISSIN : Beethoven – Lives 2006 -2016 (2 cd Deutsche Grammophon).

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kissin evgeny beethoven 3 cd Deutsche grammophon review critique cd par classiquenewsCD, compte rendu critique. KISSIN : Beethoven – Lives 2006 -2016 (2 cd Deutsche Grammophon).
Rien ne remplace la tension et les conditions « sans filets » du live : le concert et le récital offrent ici un écrin stimulant pour l’inventivité sensible du pianiste Kissin qui publie pour Deutsche Grammophon, 2 cd exclusivement dédiés au génie libertaire, révolutionnaire, inclassable, – prométhéen-, du grand Ludwig. Le cd 1 fait valoir la saisissante ductilité du toucher de Kissin, sa qualité à varier, caractériser, investir chaque séquence, malgré une vertigineuse diversité de rythmes comme d’atmosphères. La n°3 opus 2.3 (Séoul, 2006), diffuse une expressivité facétieuse, enjouée entre Mozart et le premier Beethoven (effervescence et électisation de son finale : Allegro assai).

Plus encore fougueux dans une ivresse et radicalité aux contrastes parfois violents et râgeurs, les 32 Variations de 1807 (Montpellier, 2007), accroche constamment l’écoute et l’attention par leur frénésie ivre et vertigineuse, où le toucher ose toutes les émotions, vrai creuset de sentiments et humeurs les plus variés : Kissin met sa formidable implication et éloquence digitale au service des 32 séquences qui montrent l’étendue de l’imagination beethovénienne. Sidérant. Enregistrée plus récemment à Carnegie Hall en 2012, La Clair de lune (1801), en prise plus lointaine et presque diluée et fantomatique enchante par la souplesse caressante, infiniment nostalgique de ses tempi, dès le premier épisode (Adagio sostenuto) et sa rêverie à la fois hallucinée et blessée. L’Allegretto et le Trio qui composent le second mouvement captivent par leur juvénilité et leur insouciance, nettoyées de toutes tension. Puis le Presto agitato, abordé stricto sensu, impose un rythme endiablé à l’irrépressible précipitation, – une urgence inextinguible, -vraie course délirante dont la motricité laisse déconcerté par la charge violente qui s’est libérée soudainement sous les doigts fabuleux du pianiste habité. La pensée de l’interprète dessine des cheminements absolument fascinants, assumés, et même terrifiant par le extrême intensité. Magistral.

 

Le cd2 est emblématique de la fureur articulée toujours éminament méditative et intérieure dont est capable le Kissin d’aujourd’hui, jamais épais ni large, malgré sa filiation avec l’école russe de piano ; mais d’une vibrante sensibilité, sachant fusionner articulation et puissance. Très récente (Concertgebouw Amsterdam, 2016), l’Appassionata (1805), crépite, se tend, bondit, – véritable félin, plus guépard muscles saillants que lutin enchanteur, Kissin moderne affirme
une énergie radicale qui réinvente totalement la puissance architectonique de la Sonate Beethovénienne. Il en traverse et en exprime toutes les perspectives et audaces avec une fureur à peine masquée, mais ô combien maîtrisée, toujours colorée, galbée avec un esprit crépusculaire, hautement romantique : vif argent, à la volonté et à l’ambition exacerbées. D’une radicalité à la fois expérimentale et révolutionnaire. Beethoven se dresse alors en guide, visionnaire, agent, acteur d’un nouveau monde. Ligne et cri à la fois, Kissin fait surgir hors de la partition toute la force d’un génie qui fait exploser le cadre. Magistrale hauteur de vue (Allegro assai initial). Bâtisseur et non destructeur, l’autorité poétique qui pilote et conduit l’Andante con moto frappe par sa largeur de vue là encore.

 

 

10 années d’analyse Beethovénienne livrent aujourd’hui ce
BEETHOVEN INCANDESCENT
sous les doigts prophétiques, vif-argent du prométhéen Evgeny Kissin

 

 

 

kissin-betthoven-deutsche-grammophon-2-cd-review-critique-par-classiquenews-kissin201707008a_1503389101_1503390254_1503390254.jpgLe pianiste moscovite, naturalisé anglais et israélien (2013), né en 1971, force l’admiration par l’autorité d’un jeu qui sait construire, voit grand, frémit de nuances soujacentes littéralement captivantes. Et comme une lave nerveuse, féline encore, le flux impétueux du dernier mouvement Allegro ma non troppo se gorge d’une vitalité primitive qui réactive la force d’un commencement du monde ; Kissin trouve par une digitalité fluide, éruptive, incandescente, le jaillissement premier d’une aube où se love la promesse d’une ère nouvelle. Crépitements, espoirs, scintillements et cris : la palette du pianiste ose tous les contrastes rétablissant dans ce finale en forme de course et de tumulte, l’énergie première, préalable à une reconstruction salvatrice. Le pianiste quadragénaire semble y vaincre toutes les forces contraires, redessinant les frontières d’un nouvel espace. Volonté, imagination, autorité, extrême précision : l’interprète a tout. Dans ce combat de titans, émane une énergie souvent irrésistible. 10 ans auparavant, Les Adieux (1810), au Musikverein de Vienne (2006), ont déjà ce goût pour le risque, les vertiges abrupts, le crépitement sinueux mais d’une claire intention motrice qui affirme un tempérament doué d’une extrême clairvoyance. Le Beethoven de Kissin est exalté, autoritaire, d’une infaillible expressivité, jamais bavard ni narratif ; vrai et sincère. Les Adieux en leur premier mouvement, installe une hypersensibilité presque inquiète et frémissante qui s’avère parfaitement cohérente au titre. Puis le mouvement suivant « L’Absence » résonne d’une douleur secrète et sourde, énoncée comme une tendre réitération d’un séjour bienheureux et perdu : Kissin se fond dans le labyrinthe intime d’un Beethoven qui souffre, saigne mais demeure pourtant d’une pudeur inaltérable. Nuances, phrasés enchantent s’il n’était évidemment, – live oblige-, les toux et nuisances multiples du public. Le jeu du pianiste impose un tout autre monde, une conscience qui déjà s’inscrit dans une métaphysique de la rédemption (l’amertume y est recyclée en force absolue). Le Retour confirme la totale victoire, l’exaltation irrépressible d’un coeur comblé, éperdu, d’une joie échevelée. Kissin, génial, fait de cette trilogie, un opéra du cœur, un drame aux rebondissements, éclairs, scintillements d’une volubilité là aussi stupéfiante de fluidité comme d’éloquence. La dynamique requise « Vivacissimamente », unique dans la catalogue poétique de Ludwig exige un talent … prométhéen, qui jongle climats et caractères avec une insolente et bouleversante continuité. Tout le talent du Kissin enchanteur et profond est là, dans ce Retour d’une ineffable joie spirituelle.

 
 
 

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CLIC D'OR macaron 200CD, compte rendu critique. EVGENY KISSIN : BEETHOVEN. Sonates n°3, n°14 « Clair de lune », n°23 « Appassionata », n°26 « Les Adieux », n°32. 32 Varations en ut mineur. Evgeny Kissin, piano (Lives, 2006-2016). 2 cd Deutsche Grammophon – CLIC de CLASSIQUENEWS.COM de septembre 2017.

 

 

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