vendredi 29 mars 2024

CD compte rendu critique. HAENDEL / HANDEL : OTTONE (Cencic, Snouffer, Petrou, 2016, 3 cd DECCA)

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CLIC_macaron_2014CD compte rendu critique. HAENDEL / HANDEL : OTTONE (Cencic, Snouffer, Petrou, 2016, 3 cd DECCA). On attendait beaucoup de ce nouvel enregistrement orchestré par le duo Cencic et Petrou. Le contre ténor confirme un goût sûr pour le théâtre de Haendel dont il sait exprimer l’intelligence dramatique voire la profondeur psychologique. Ici rayonne le diamant sombre d’Ottone, éblouit la vitalité émotionnelle de sa fiancée Teofane (vrai cristal de l’oeuvre), que manipulent et maltraitent les lombards, Gismonda et son fils, Adelberto…

Cencic dévoile le diamant Ottone de HandelOTTONE, DRAME MAJEUR MECONNU… Créée par charte royale en 1719, la Royal Academy of Music a pour vocation la production d’opéras italiens à Londres. Handel en est nommé « maître de l’orchestre » : il fournit les opéras et engage en Italie, et en Allemagne les chanteurs pour les interpréter. Véritable directeur, producteur, Haendel recrute alors à Dresde, la soprano Margherita Durastanti (qui avait chanté pour lui à Rome et à Venise, en 1707–1709) et la basse Giuseppe Maria Boschi (qui avait chanté pour lui à Venise, ainsi que dans son premier opéra londonien, Rinaldo, en 1711). A Dresde toujours, le compositeur engage alors son castrat fétiche Senesino, mais aussi assiste à la Teofane de Lotti (septembre 1719) : l’oeuvre découverte le marque, il achète le livret de Pallavicino et recyclera des airs de Lotti dans ses opéras à venir. Le prétexte historique en est le mariage à Rome en avril 972 du Germain Otton II (empereur du Saint-Empire romain) avec la byzantine, princesse de Constantinople, Theophanu. Pallavicino traite donc de l’histoire romaine et germanique, mais en brodant autour, en imaginant les intrigues auxquelles doivent faire face les deux futurs époux, avant leur mariage. A Londres, Haym adapte le texte pour Haendel qui propose son nouvel opéra au cours de la 4è saison de la Royal Academy of Music (1722-1723). Après plusieurs remaniements déjà (11 airs et duo, pourtant écrits sont au final abandonnés pour être remplacés), Haendel crée l’ouvrage au King’s Theatre, sur le Haymarket, le 12 janvier 1723. En une continuité de Lotti à Haendel, soit de Dresde à Londres, 3 chanteurs incarnent les mêmes personnages, assurant ainsi une compréhension profonde des enjeux du drame : Senesino (Ottone), Durastanti (Gismonda) et Boschi (Emireno). Gaetano Berenstadt (Adelberto) complète, en 2è castrat, la distribution ; enfin, la prima donna Francesca Cuzzoni (Teofane) – arrivée en décembre 1722, faisait ainsi ses débuts à Londres. C’est elle que Haendel faillit défenestrer car elle s’était plaint de la faiblesse de son air (Falsa imagine, son premier aria au I). Signe révélateur de la toute puissance des divas à une époque où avec les castrats, les chanteurs tendaient à imposer la loi de leurs caprices. Haendel se défendit en affirmant subtilement que si la Cuzzoni était diablesse, lui était alors Belzebuth, le chef des diables. Haendel avait conçu un air non pas brillant et virtuose comme l’aimaient les solistes friands de démontrer, moins de jouer, mais profond et « psychologique ». C’est le moment où la princesse venue à Rome épouser celui qui lui est destiné (Ottone), rencontre un inconnu (le lombard Adelberto) qui se prétend Ottone… Diplomate, Haendel ménagea cependant les souhaits fracassants de sa prima donna en lui accordant de nouveaux airs de bravoure dans la suite du drame. Les jeux sont déjà bien précisés : Haendel est un auteur d’une rare finesse psychologique et tous ses opéras aux côtés de leur souffle dramatique, sont des huits clos émotionnels dont il sait ciseler les gouffres et vertiges intérieurs (l’apothéose du pathétique étant ici la sublime lamentation d’Ottone, “Tanti affanni” (III, scène 2). La version retenue par Cencic privilégie globalement celle de la première, enrichie des airs de Teofane, créés lors de la soirée en l’honneur de la Cuzzoni, quelques jours après la première (“Spera sì, mi dice il core”, “Gode l’alma consolata” ou “Spera sì”). Complet, Cencic ajoute aussi trois nouveaux airs composés pour le rôle-titre lors de la reprise de 1726 (avec Senesino toujours) sous la direction de Haendel. Lequel montrait alors sa facilité à modifier le caractère d’un personnage, la couleur d’une situation, quitte à changer à l’inverse, le schéma préalable. Tout cela démontre le soin du compositeur et la grande valeur d’Ottone qui en découle, passé sous silence, dans l’ombre des grands ouvrages qui ont suivi Giulio Cesare, Tamerlano… Pourtant l’opéra de 1723 indique avec finesse, le souci du dramaturge, l’éloquence et le raffinement avec lesquels Haendel est capable d’exprimer le désarroi intérieur ou l’espoir irrépressible qui portent ses personnages.

CENCIC_Max_emanuel-Ann_hallenberg-presentation,-cd-review,-cd-critique-par-CLASSIQUENEWS_CLIC-de-CLASSIQUENEWS-de-mai-2017__OTTONE_2017_03SUBLIME THEATRE DE HAENDEL. L’engagement des interprètes et la grande cohésion sonore et expressive (amplitude des dynamiques et des nuances de l’orchestre sur instruments anciens de Geroge Petrou) font toute la différence avec les versions antérieures dont celle de McGegan en 1992). Chanteur et producteur, Cencic sur les traces d’Haendel soigne voire cisèle le profil psychologique des caractères et l’enjeu des situations / confrontations. Il souligne combien Ottone est une partition dont la construction dramatique et la conception des airs (plus intérieurs que de seule bravoure) sont proches du théâtre. La jeunesse et l’innocence de Teofane, princesse amoureuse en terre étrangère, manipulée et trompée par le duo des Lombards, particulièrement pervers : la mère ambitieuse (Gismonda), son fils, langoureux et passif (Adelberto)… Même Ottone, pourtant fier guerrier vainqueur, aime s’abandonner dans plusieurs airs nostalgiques voire sombres. En définitive, le goût de Haendel pour l’opera italien n’a rien de factice ni de superficiel. C’est un moyen pour exprimer l’indicible vérité des sentiments : tout cela mènera à la noirceur sublime et tragique d’Alcina (1735), sommet de cette intelligence dévoilant l’impuissance.

CENCI ET PETROU soulignent un Haendel psychologique

Beaucoup ne verront dans cette lecture qu’une nouvelle approche habile, engagée, efficace. Les producteurs vont au delà : ils savent exprimer sous la musique, l’éloquence du théâtre, le surgissement des individus. En Ottone, Max Emanuel Cencic trouve le ton juste entre gravité et lassitude d’exister (un comble car l’Empereur est jeune, il va quand même se marier) ; la couleur grave servie par un medium de mieux en mieux assis et chaud, sert l’image d’un politique déjà fatigué et sage (par ses conquêtes trop nombreuses?) : a contrario du visuel de couverture du coffret DECCA, c’est moins le général conquérant, servant l’idéal impérial romain, qu’un homme qui doute et temporise, écarte l’action pour la réflexion voire la distance psychologique. On aime ce Haendel sans pompe ni effets flatteurs : révélé dans le repli d’une vérité humaine qui est proche du silence et de la solitude. En cela, la vision défendue par Cencic et Petrou reste très intéressante; l’Adelberto de Sabata est un peu mince, souvent maniéré et toujours sur le même ton, languissant, plaintif. Les femmes rehaussent davantage l’éclat d’une partition construite comme une pièce de théâtre : Ann Hallenberg demeure onctueuse et articulée dans un rôle de marâtre, frustrée, ambitieuse (véritable harpie dominatrice), tout à fait crédible et passionnante à suivre dans les détours de ses intrigues et petits agissements; saluons le relief de la piquante Lauren Snouffer qui sur les traces de la Cuzzoni, relève le pari d’un caractère à la fois virtuose et profond. Si la soprano peine parfois dans ses airs LAUREN_SNOUFFER-2147_V2-6-500x330finaux (actes II et III), le sens du drame, le souci de clarté renforcent l’impact de sa prestation. C’est bien elle au final, à la fois proie mais intelligence amoureuse, qui est le pilier de l’histoire. George Petrou nuance, cisèle, sait battre le fer et caresser les sentiments d’un drame qu’il est urgent de revoir sur la scène lyrique. Focus réussi sur un drame oublié, qui est mieux qu’un opera italien de second rang. CLIC de classiquenews de juin 2017. En concert à Beaune, le 7 juillet 2017 (mais sans le chant palpitant de la soprano américaine Lauren Snouffer en Teofane). Illustration : Lauren Souffre (DR).

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CD compte rendu critique. HAENDEL / HANDEL : OTTONE (Cencic, Snouffer, Petrou, 2016, 3 cd DECCA).

OTTONE, RE DI GERMANIA de 
George Friedrich Haendel – HANDEL / 1685-1759
Opéra en 3 actes, créé le 10 janvier 1723 au King’s Theatre, Haymarket de Londres
Livret de Nicola Francesco Haym, d’après “Teofane” de Stefano Pallavicino

Ottone: Max Emanuel Cencic, contre-ténor
Gismonda: Ann Hallenberg, mezzo-soprano
Teofane: Lauren Snouffer, soprano
Emireno: Pavel Kudinov, basse
Adalberto: Xavier Sabata, contre-ténor
Matilda: Anna Starushkevych, contralto

Ensemble sur instruments anciens IL POMO D’OR
GEORGE PETROU, direction

 

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