CD, compte rendu critique : Antoine-Esprit Blanchard : Magnificat à la Chapelle royale. Les Passions. Jean-Marc Andrieu (1 cd Ligia Digital). Voici un très bon document qui reste une sérieuse réalisation au service d’une évidente révélation. Blanchard, maître méconnu à la Chapelle royale de Versailles sort définitivement de l’oubli. Bon choix ardent, expressif, au médium riche et cuivré : le baryton (basse-taille selon la nomenclature baroque française) Alain Buet que l’on connaît depuis des années par son engagement musical toujours probe, efficace (bientôt un excellent cd Clérambault avec de solides partenaires Cyril Auvity et Jean-François Piolino à paraître chez Paraty le 21 octobre 2016) assume ici avec panache chacun de ses airs plein d’allant et de certitude déclamatoire (Et exultavit, Suscepit Israël…du Magnificat, 1741), et surtout le fabuleux récit dramatique digne de l’opéra, véritable vent de tempête de Mare vidit et fugit de l’excellent Motet, de loin le plus convaincant des trois de ce programme : In exit Israël (1749) : … quand les eaux de la Mer Rouge se séparent pour faire passage au peuple en fuite… D’ailleurs la noblesse recueillie du Quid est tibi mare (pour dessus et choeur) offre l’autre versant de l’épisode : dignité, majesté et tendre recueillement hérités des premiers Motets versaillais de Lully à De Lalande. D’emblée, toute la science portée vers l’opéra et la virtuosité italienne caractérise ici la main de Antoine-Esprit Blanchard, compositeur à la Cour de Versailles sous Louis XV, parfait épigone de Rameau pour son instinct dramatique, de Mondonville en particulier car comme ce dernier, les 3 Motets ici recréés attestent avec éclat le succès du Concert Spirituel des années 1740, effets et contrastes volontiers exacerbés (cf le choeur tremblé A facie Domini du même Motet dont la tenue dramatique rappelle évidemment le choeur des trembleurs d’Atys de Lully).
Toute la grammaire du Grand Siècle, revivifié au XVIIIè sous les ors de la Chapelle de Louis XIV, s’expose ici sous la plume d’un maître riche en expertise dans un genre très prisé par l’audience parisienne, mais coloré par une verve dansante « provençale » proche de son confrère Campra (cf. allant pétillant du second Non nobis Domine, surtout la conclusion du dernier choeur du De Profondis de 1740 – joué ensuite pour les funérailles de la Reine en 1768-, lequel malgré son sujet de déploration et d’invitation ultime à la paix bienheureuse, semble hésiter constamment entre marche et danse allègre, en particulier éclatante pour le Lux perpetua, d’une lumière scintillante et volontaire). Ce tempérament joyeux et même vainqueur se manifeste aussi dans l’ouverture d’In Exitu Israel (avec ses piccolos conquérants et déclaratifs).
Le programme par sa valeur musicale et la facilité indiscutable de l’écriture justifie amplement cet enregistrement : l’engagement des Passions reste méritant, et le geste plein de panache du chef Jean-Marc Andrieu sait emporter son collectif dans la vitalité requise, l’expression d’une foi théâtrale et hautement dramatique. Dommage cependant que certains solistes accusent des limites parfois difficiles à écouter (justesse aléatoire, usures, aigus tirés et voilés… en particulier du côté du haute-contre). Le chœur se bonifie en cours de concert (atteignant une cohérence renforcée et une précision fervente dans le second Non Nobis Domine déjà cité).
Non obstant ces faiblesses, l’enregistrement se révèle passionnant, révélant le style séduisant, flamboyant d’Antoine-Esprit Blanchard (1696-1770), documentant désormais la suite des Rameau et Mondonville dans le genre du Grand Motet français, partition fervente, surtout spectaculaire et dramatique, plus proche de l’opéra que de l’église. Reste que Blanchard après avoir occupé des fonctions à responsabilité à Besançon, Rouen, est nommé après la mort de Campra en 1744, et à la succession de ce dernier, Maître des Pages de la Chambre, puis Maîtres des Pages de la Chapelle en 1748, après la mort de Madin. Blanchard devait ensuite diriger avec Gauzargues, la Chapelle royale de Versailles après sa réorganisation en 1761… Saluons cet oubli réparé grâce à la détermination des Passions et de leur chef, Jean-Marc Andrieu… Toulousains impliqués, parfaits ambassadeurs de cette verve propre aux compositeurs provençaux.
CD, compte-rendu critique. d’Antoine-Esprit Blanchart (1696-1770) : Trois Grands Motets. Magnificat (1741), De Profundis (1740), In exit Israel (1749). Anne Magouët, dessus – François.Nicolas Geslot, haute-contre – Bruno Boterf, taille – Alain Buet, basse-taille. Les Eléments. Les Passions. Jean-Marc Andrieu, direction (1 cd Ligia Digital, enregistrement réalisé en juillet 2016 au Festival Radio France et Montpellier.