CD, coffret. Compte rendu critique. Charles Dutoit – The Montréal Years / Decca sound (35 cd Decca). Symphonisme canadien des 80’s. Quelle tradition symphonique au Canada dans les années 1980-2000 ? Ce coffret compose un legs symphonique de premier plan : le suisse Charles Dutoit né à Lausanne en octobre 1936 (80 ans en 2016) cultive une connaissance spécifique de l’orchestre, ayant été avant la direction, passionné par le violon… qu’il joue excellement. Il a toujours et de façon pionnière défendu le répertoire romantique et post romantique français : à l’époque où le bénéfice des instruments d’époque n’était pas encore aussi reconnu et légitimement sollicité, le chef a ciselé un travail particulier sur l’équilibre des pupitres, jusqu’à un hédonisme sonore alliant sensualité et détail, – mais aussi plaidé pour une architecture explicite, analytique et dramatique dans les Symphonies de Berlioz, Bizet et Franck, surtout plénitude sonore pour Saint-Saëns (Symphonie avec orgue). Pas moins de 4 cd Ravel (Daphnis et Chloé – partition célébrée qui marque aussi le début de la collaboration…, Boléro, Alborada del Gracioso, La Valse, Rhapsodie espagnole, Concertos pour piano avec Pascal Rogé, Menuet antique, Ma Mère l’Oye, Valses nobles et sentimentales….), 3 cd Debussy (Images, Nocturnes, La mer, Jeux, Le martyre de saint-Sébastien, Prélude à l’après midi d’un Faune, Children’s corner, La Boîte à joujoux…) ; l’élégance de Dutoit se dévoile chez Suppé (ouvertures), Fauré (Requiem avec les solistes, Kiri Te Kanawa et Sheril Milnes) ; symphoniste dans l’âme, artisan de la texture orchestrale à Montréal, Charles Dutoit se dédie aussi pour les russes : Moussorgski et Rimsky, Stravinsky (le Chant du Rossignol, L’Oiseau de feu, Scherzo fantastique…), sans omettre Respighi (Pins et Fontaines de Rome…), Mendelssohn, mais aussi Bartok (Concerto pour orchestre), Orff (Carmina Burana), Holst (The Planets). Pour saisir le soin du détail et du flux organique global, il faut se reporter à son album Ibert (Escales…). Les choix de répertoire sont finalement étendus mais cohérents.
Collaboration chef/orchestre/label… Le coffret 35 cd illustre de façon exhaustive une collaboration chef/orchestre/label, amorcée au début des années 80, entre Charles Dutoit, l’Orchestre Symphonique de Montréal et Decca. Soit près de 25 années d’une entente artistique semée de réalisations comme d’accomplissements. A mesure que les jalons de cette sensibilité surtout française romantique s’est précisée et nuancée, Decca ciselait aussi ses modes d’enregistrement (le fameux son Decca des années 1980, prenant naissance en particulier à Paris, lors de sessions mémorables à l’église Saint-Eustache). Nommé premier chef d’orchestre du Symphonique de Montréal en 1977, Charles Dutoit devait ainsi marquer en profondeur l’histoire de l’orchestre canadien jusqu’en 2002, soit 25 ans d’une coopération passionnante, qui connaît alors ses heures de gloire à partir de 1980, quand le maestro signe un contrat exclusif avec Decca Londres. Amorçant un cycle discographique universellement salué (comme Karajan chez Deutsche Grammophon), avec Daphnis et Chloé de Ravel (1981), le chef dirige son orchestre dans le monde entier, lors d’une tournée mondiale (Japon, Hong Kong, Corée du nord, Amérique du Sud, Europe…) assurant au duo maestro/orchestre, une notoriété international et une très solide réputation. Le coffret Decca sound regroupe les meilleures réalisations symphoniques, hors les deux intégrales lyriques qui ont connu elles aussi un très grand succès (Pelléas et Mélisande, 1991 ; et Les Troyens de Berlioz, 1994, également enregistrées par Decca).
Boulimie fatale… Le chef accepte en parallèle, la direction du Symphonique du Minnesota (1983), la direction estivale du Philhadelphia Orchestra (1990), mais aussi plusieurs engagements comme premier chef invité du National de France (1991-2001), et aussi la direction du NHK Symphony (1998-2003)… mais trop de fonctions ici et là prises au sacrifice d’une intégrité artistique réellement sereine et dédiée, l’obligent à remettre sa démission auprès du OSM (Orchestre Symphonique de Montréal), le 11 avril 2002 : ainsi se clôturait une entente qui était arrivée au bout de ses possibilités au début du XXè. Les relations d’un chef et des musiciens qui composent « son » orchestre, relèvent le plus souvent d’une histoire de couple : les enregistrements Decca évoquent deux décennies de travail où le chef et le Symphonique de Montréal ont donné leur maximum, réalisant des enregistrements devenus des classiques du genre (Ravel, Stravinsky…). 35 cd d’une odyssée orchestrale passionnante.
CD, coffret. Compte rendu critique. Charles Dutoit – The Montréal Years / Decca sound (35 cd Decca). Sortie le 5 février 2016.