vendredi 19 avril 2024

CD, coffret, compte rendu critique. Bruckner : the complete Symphonies. Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (9 cd Deutsche Grammophon, Vienne-Berlin, 2010-2012)

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Bruckner--The-Complete-SymphoniesCD, coffret, compte rendu critique. Bruckner : the complete Symphonies. Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (9 cd Deutsche Grammophon, Vienne-Berlin, 2010-2012). Tout chef qui « ose » la démesure partis brutal et éruptive de Bruckner, se confronte à l’échelle du colossal symphonique. Or Daniel Barenboim captive par son sens de l’architecture et du détail instrumental. Avec la Staatskapelle de Berlin, Daniel Barenboim déjà légendaire pour ses Mozart (il joue les Concertos pour piano et dirige depuis le clavier) s’est lancé dans une intégrale des 9 symphonies de Bruckner, épique, ciselée. C’était en septembre 2016 et récemment en janvier 2017 (tout au moins dans le cadre d’une tournée européenne, pour ses étapes parisiennes… à la Philharmonie).

 

 

Anton-Bruckner-001Voici le coffret des enregistrements live, réalisés à Berlin dès juin 2010 (Symphonies 4 à 9), puis à Vienne en 2012 (Symphonies 1 à 3). D’emblée c’est la vision très complète qui frappe ; une compréhension ample qui sait fouiller dans le détail, une sonorité somptueuse ; de fait la complicité et l’entente du chef avec les instrumentistes berlinois époustouflent dans leur fonctionnement et le résultat sonore de ce travail exemplaire, en complicité et écoute collective. D’autant que malgré les dimensions colossales de l’effectif, le chef fourmille d’idées expressives, de visions, de conceptions spatiales, d’accents et de fini instrumentaux… autant de qualités d’une imagination particulièrement fertile. L’expérience wagnérienne de Barenboim profite à cette lecture : le chef révèle dans la fine caractérisation du tissu orchestral, tout ce que Bruckner doit au maître de Bayreuth, – qui en outre était son idole. La clarté du geste de l’architecte dévoile aussi combien le schéma de chaque symphonie est une réflexion finalement archaïsante de la forme sonate ; alternance de blocs en dialogue, parfois affrontés parfois percutants, compactés par pupitres.
La conception du chef s’affirme de symphonie en symphonie comme autant de jalons d’une prodigieuse faculté à penser la musique. Barenboim force l’admiration car il procède non par effets ni idées gadgets, mais organise, unifie, particularise, adepte du détail comme du souffle général. Voilà un maestro bâtisseur à l’échelle du colossal et soucieux de chaque timbre, dont le résultat est d’autant plus éloquent qu’il s’agit ici de prises live. Or la cohérence et la brillance de l’orchestre sont saisissantes.

Que penser dans le détail de cette intégrale récente ?
Daniel Barenboim sublime ElgarOpulence éthérée. Saluons la cohérence sonore des cordes qui appelle aux cimes célestes ; et la brillance des tutti où rugissent et se gonflent les fabuleux cuivres quitte parfois à ronronner de façon ronflante. Mais toujours, le son rond très cotonneux se déploie : le chef sait ailleurs détailler chaque phrase des instruments solistes inscrivant le mystère dans l’expression du magma en activité. C’est un chaudron magicien qui saisit par sa fièvre épique comme l’acuité de solistes de chaque pupitre.
D’une façon générale également, le superbe allant assure à chaque symphonie sa très solide avancée dramatique, assurant aussi la clarté de l’architecture ; sur le plan expressif, Barenboim cisèle la présence omniprésente du fatum et détaille tout autant la lutte pour s’en détacher : de ce point de vue ce qui parait à certains, « bavardage » et « répétitions, devient éléments d’un langage construit et progressif. Nous distinguons l’apport du maestro et de ses instrumentistes berlinois dans les deux opus extrêmes : Symphonie 1 et 9, au début et à la fin du cycle.

SYMPHONIE n°1. Acuité expressive, sens de la narration orchestrale, vitalité du discours instrumental.. sont quelques une des qualités indéniables, laissant dans l’excellent mouvement premier de la Symphonie n°1, le sentiment d’une activité superbe et maîtrisée, soucieuse d’équilibre comme de couleur et d’éloquence instrumentale.

 

 

 

Daniel Barenboim, sublime architecte de la spiritualité brucknérienne

 

 

La base ample et grave des cordes exalte un somptueux souffle qui laisse s’exprimer l’aspiration spirituelle du chant symphonique. L’éther là encore en est la nourriture familière grâce à un unissons des cordes d’une rare transparence : voile plutôt que ligne ; la grandeur qui s’invite inévitablement dans toute symphonie de Bruckner y est heureusement tempérée par un sens des phrasés, des nuances maîtrisées. C’est ici que s’accomplit l’exceptionnelle imagination du chef. Y compris dans le Finale certes un rien « bavard » (diront les plus réservés) et qui semble faire du surplace tant il ne résout rien des forces et des blocs instrumentaux cordes / cuivres en présence. Mais le feu et ce travail du détail instrumental en écartant les boursouflures, reste continûment captivant car le chef a à nous dire sous couvert d’un orchestre straussien et wagnérien ; porteur d’une compréhension secrète, introspective du langage brucknérien, il en sculpte le chant trépidant d’un orchestre qui malgré l’ampleur des effectifs sait palpiter.

bruckner1SYMPHONIE n°9. A l’extrémité du corpus, s’affirme la clarté impressionnante de l’ultime massif symphonique, ici triptyque dans la version Leopold Nowak, révisée en 1951 ; soit une 9ème dont les rugissements phénoménaux de la fanfare convoquent le destin lui-même (échelle préalable dès le début du premier mouvement aux dimensions pharaoniques), comme la conscience de toute une expérience terrestre. Ce travail formidable sur la sonorité et cette pâte sonore comme « solarisée » tant elle aspire à une état de fusion incandescente dans la grandeur et une certaine solennité, sont colorés par Barenboim dans l’expression d’une majesté née du mystère primordial comme le soleil naît de l’aurore. Le chef apporte au texte brucknérien son épaisseur mystérieuse, son intériorité en activité, comme un formidable volcan agile et parfois impétueux.
Les séquences plus intimistes, aux cordes, respirent, exaltant un vrai parfum d’extase évanescente, songe intime où se précise une sensualité opulente, à la fois sacralisée et spiritualisée (très probablement inatteignable) où s’inscrit aussi un sentiment de ferveur sincère. Entre bois de l’harmonie et onde flottante des cordes s’accomplit aussi le mystère Brucknerien qui fait tendre la 9 ème et ultime symphonie vers une pure abstraction, développement formel et expression d’une mystique musicale qui porte en elle les forces de résolution : les constructions colossales suscité par l’orchestre deviennent socle d’une prière ardente, toute tendue vers le renoncement, aspirant à l’innocence primordiale, c’est à dire vers une sérénité ultime, qui sait vaincre toute fatalité : on sait combien Bruckner eut à souffrir dans sa vie personnelle comme dans sa carrière d’organiste, contraint, asservi, jamais reconnu pour ses dons de symphoniste postwagnerien de son vivant. Presque 24 mn pour le premier mouvement : l’immense portique qui en découle est saisi en une succession de paysages amples, au souffle introspectif idéalement calibré.

Dans cette suggestion des cimes, l’échelle du colossal s’écoule ainsi dans le Scherzo qui suit, plus léger, dont le fluc n’en décharge pas moins des secousses chtoniennes proches d’un tremblement de terre.

Ce sont les deux derniers mouvements qui sont les plus intenses (Scherzo puis Adagio, lequel se déploie sur plus de 25mn!, comme l’expression d’un testament spirituel) ; tous les deux sont construits tels des rampes d’accès à l’universel et l’éternité. Daniel Barenboim trouve et épanouie une sonorité transcendante habilement équilibrée entre des cuivres impeccables en rondeur, chaleur, noblesse ; et des cordes qui accomplissent leur soutien dans la calrté et la transparence de plus en plus murmurée, arachnéenne, presque immatérielle (les dernières mesures).
Les applaudissements finaux qui suivent indiquent l’état de ravissement produit grâce à cet hédoniste sonore qui sait analyser en un souffle olympien l’architecture globale des épisodes et le sens de leur enchaînement (admirable gestion du silence dans le quatrième et dernier ) comme il sait aussi colorer, nuancer, détailler le scintillement individuel des instruments solistes idéalement caractérisés (notamment le cor final, en sa note tenue, planant sur la mer des cordes vaporeuses). Après avoir fait rugir toute la fanfare comme s’il souhaitait se convaincre dans la grandeur et le vacarme de la présence divine, Bruckner rejoint ici Mahler dans cet accomplissement du renoncement, tel un adieu spirituel au monde en un dernier murmure vital.
La compréhension du geste est indiscutable et la volupté sonore comme l’intelligence de la construction saisissent et convainquent de bout en bout. Si Barenboim est le grand wagnérien que nous connaissons, ici s’affirme l’immense Brucknerien, aux côtés des Wand, Jochum ; mais Barenboim affirme comme dans ses Edgar récents (LIRE nos comptes rendus des Symphonies d’Elgar par Daniel Barenboim), un équilibre exceptionnel entre l’ampleur de la pâte et la justesse des couleurs instrumentales. Magistrale intégrale.

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200Bruckner--The-Complete-SymphoniesCD, coffret, compte rendu critique. Bruckner : the complete Symphonies 1 à 9. Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (9 cd Deutsche Grammophon, Vienne-Berlin, 2010-2012). CLIC de CLASSIQUENEWS de janvier et février 2017.

 

 

 

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