BERNSTEIN 2018. Bilan sur les dernières parutions discographiques éditées à l’occasion du centenaire Leonard Bernstein 2018.
Coffret The sound of Leonard Bernstein (3 cd Warner classics). Même s(il paraît bien sur la couverture en de nombreuses occurrences dans le livret (succint) qui accompagne le triple coffret, Bernstein est ici le compositeur (et non le chef), interprété par ses confrères maestros (Rattle, Prévin, Sado, Tilson Thomas…). Les cd 1 et 3 suscitent notre enthousiasme : au sommaire du premier cd, l’ébourriffante ouverture de Candide par les britanniques déboutonnés, ivres de fanfaronade (le smusiicens du LSO London Symphony Orchestra, sous la baguette nerveuse, ronflante d’André Prévin. Puis, la narration plus électique encore de « Facsimile », partition fleuve, par ses contrastes cultivés avec soin par un Bernstein, démiurge capable de tout : parfois grave, rien que virtuose, le piano sourd et agile dialogue sans réel dessein avec un orchestre suractif, parfois bavard et pompeux : du pur Bernstein (Wayne Marshall, piano, avec Paavo Järvi et le City of Birmangham SO) : peu profonde, hyperactive, la partition tient ses défis, ceux d’une page orchestralement dansante et vivace, idéale pour sa destination chorégraphique. Immersion dans l’univers déjanté et rétro américain, l’ouverture de Wonderfull Town par la fanfare du Birmangham contemporary Music Group, électrisé par Rattle (plage 19 : onctuosité, bavardage et surenchère expressive proche de l’hystérie…). Plus intéressant encore « Prelude, fugue et Riffs », improvisation jazzy pour clarinette et piano avec ensemble de jazz (Paavo Järvi) : porté par une urgence et une tension rythmique qui semble brûler les musiciens de l’orchestre… l’ensemble alterne crépitements et langueur sirupeuse dans lequel la sublime clarinette, velours et ligne ondulante de Sabine Meyer apporte une nonchalance enchantée.
CD3 : le fleuron de la dernière galette demeure la Symphonie Kaddish (1963, révisée en 1977) qui porte les questionnements intérieurs du Bernstein fervent, celui que taraude l’identité juive et la notion de sens et de direction de la prière. Comme MASS, l’opus est une libre et très personnelle proposition spirituelle (plus que sacrée et religieuse) selon la sensibilité polymorphe et toujours inquiète de Bernstein. Du reste,sous couvert de personnalité, l’oeuvre n’en manque pas, mais surligné par la voix régulière du récitant, elle confine parfois au bavardage (défaut à peine réparé avec sa révision de 1977 où Bernstein coupe nombre de paroles et de texte pour davantage d’unité et d’intensité sans dilution, cette fois pour un récitant homme ou une récitante femme / en 2003, une nouvelle version du texte Dialogue avec Dieu du poète Samuel Pisar, sollicité par Bernstein avant sa mort, est créée). La tension qu’entretiennent le choeur et les cuivres, résonne du contexte de guerre froide propre aux années 1960 : la menace nucléaire est omniprésente dans les titres de l’actualité déjà hystérique et catastrophiste. Bernstein a milité contre le nucléaire (marche de Washington, mars 1962). Elle réactive l’ombre du grand satan fasciste et antisémite : l’anéantissement étant un thème récurrent chez Bernstein. Mais le compositeur dans les textes récités ici, cite aussi sa propre relation contradictoire au père ; lien du fils à Dieu, pressions, incompréhension, conflits propre à toute famille et qui s’adoucissent avec le temps et le vieillissement de l’un et l’autre.
La partition est une commande de la fondation Koussevitsky, pour Charles Munch alors directeur du Symphonique de Boston. Au final, le compositeur alors chef du Philharmonique de New York, écrit lui-même le texte inspiré par le kaddish, hymne hébraïque de louange à Dieu, récité dans les cours religieux des Synagogues mais aussi au moment des funérailles, car c’est aussi la prière des endeuillés. Ce qu’exprime parfaitement le texte de la soprano (kaddish l’istesso tempo / plage 2), véritable instant de pacification suspendue. Bernstein dépose dans cette oeuvre touchante et sincère, sa propre profession de foi pour un monde réconcilié, pour des hommes redevenus humains, c’est à dire prêts à aimer et non se battre. Fraternité plutôt que violence et destruction. Le Finale, aux cordes suintantes, âpres, d’une spiritualité creusée à la manière d’un Mahler, grand modèle pour Bernstein le chef, conclut dans l’inquiétude voire l’angoisse cette ample réflexion sur le devenir et l’identité humaine. Il y a certes des éclairs et nuées lumineuses, ascensionnelles, mais l’urgence et l’activité menacée de l’orchestre et des choeurs en fin de parcours, indiquent l’ombre du déclin, inéluctable, inexorable… Avec des solistes d’une aura planétaire, tels que Yehudi Menuhin en récitant (!), et surtout le soprano cristallin, humain de Karita Mattila (sublime), l’oeuvre symphonique créée en 1963, ne pouvait ainsi à Paris en 1977 (Philhar de Radio France dirigé par Yutaka Sado), de meilleurs interprètes.
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MASS (Nézet-Séguin, 2 cd Deutsche Grammophon, 2017). C’est une partition éclectique, expérimentale, déjantée, foncièrement populaire d’un Bernstein plus inclassable que jamais. MASS est une partition unique, délirante, provocatrice voire déjantée dont la forme pluridisciplinaire associant choeur, solistes, danseurs, orchestre classique et guitare électrique, renseigne évidemment sur le génie généreux, gourmand et gourmet d’un Bernstein qui fusionne populaire et savant. Les textes sont empruntés à l’ordinaire de la messe en latin, et par Bernstein et l’auteur pour Broadway Stephen Schwartz. La commande en revient à Jacqueline Kennedy, le 8 septembre 1971 pour l’inauguration à Washington du John F. Kennedy Center for the Performing Arts. Conspuée, dénigrée par les critique américains, l’oeuvre attend toujours une juste évaluation quand le public l’a toujours apprécié, sensible à son accessibilité polymorphe, son entrain, ses ruptures et ses rythmes contrastés. Le noble, le populaire : Bernstein gomme les rites, repousse les frontières, réinvente l’idée même d’une messe, célébration, transe collective. Une prière pour le vivre ensemble, pour toutes les époques. L’architecture de l’oeuvre, ample fresque sociale et collective résonne des heurts et dysfonctionnements des sociétés humaines : les dissonances, les tensions et les cris, les confrontations sur scène entre les divers groupes en présence illustrent ce chaos qui menace en permanence l’ordre du monde…
Ainsi Bernstein organise sa Messe atypique autour d’un Celebrant, d’un choeur adulte et d’un choeur d’enfants, de chanteurs populaires (Street singers), véritables acteurs qui interpellent, animent, rythment le déroulement de ce rituel collectif, quand il est mise en scène (ce que souhaitait aussi Bernstein).
Yannick Nézet Séguin a la verve et la tension nécessaires pour réussir une lecture unitaire malgré la menace de dispersion. Tout converge après des épisodes chaotiques vers cette fin de réconciliation fraternelle (ultime « Sing God a Secret Song ») en dépit des oppositions et conflits exposés précédemment.
Vivant, palpitant, naviguant entre oratorio sérieux, transe populaire collective, panache et délire du Music Hall et de la variété, le chef laisse toute sa place au fond critique de l’oeuvre. Mass interroge le sens de la messe, la place de Dieu, la destinée et le sens de l’humanité.
La vision suit l’inéluctable fin qu’a conçue le compositeur, celle d’une paix salvatrice : «The Mass is ended; go in peace » . La Messe est finie, allez en paix.
Chanteurs engagés, orchestre versatile, expressif, le chef saisit la singularité d’une pièce orchestrale et dramatique, spectaculaire, et pourtant intime. Voilà un bien bel hommage à Leonard Bernstein qui aurait eu cent ans : le 25 août 2018. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2018.
LIRE notre présentation de MASS de Bernstein :
http://www.classiquenews.com/paris-la-philharmonie-affiche-mass-loratorio-dejante-de-bernstein/
AGENDA
L’Orchestre National de Lille affiche l’oeuvre inclassable du compositeur américain les 29 et 30 juin 2018 : concert événement qui clôt la saison 2017-2018 de l’ONL et demeure le temps fort de l’année Bernstein en France
LILLE, MASS de Leonard Bernstein
Vendredi 29 (20h) et Samedi 30 juin 2018 (18h30)
Lille, Nouveau Siècle
Récitant, choeur et ensembles
Orchestre National de Lille
Alexandre Bloch, direction
Pour clore sa saison 2017-2018, l’Orchestre National de Lille réalise Mass de Bersntein,
oeuvre hors normes, au format instrumental, textuel, référentiel unique en son genre.
Une partition inclassable à la mesure du génie délirant, poétique de son auteur…
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BERNSTEIN ON BROADWAY (1 cd DG Deutsche Grammophon). Le CLIC s’impose pour cet unique cd qui fait une éloquente et irrésisitble entrée en matière au génie mélodique du Bernstein capable de renouveler le musical de Broadway et donc revivifier l’écriture dramatique américaine. Outre West Side Story par Bernstein, version 1982, opératique, absolue, désormais légendaire (avec José Carreras / Te Kanawa, Horne, et Tatiana Troyanos), saluons les extraits de autres absolus, d’une facétie subtile et délirante : ON THE TOWN, avec les excellents et pétillants (Tyne Daly / Kurt Ollmann), l’ineffable tragédienne larmoyante (« Carried away » par la sublime Frederica von Stade dans un emploi où elle excelle) ; citons aussi « Lucky to be me » par Thomas Hampson, noble et amoureux : le pétaradant et collectif (Ya got me et son orchestration sublimant un mambo endiablé ; version Michael Tilson Thomas et le LSO). Enfin la version royale de CANDIDE par Bernstein lui-même et les impeccables Niccolai Gedda (d’une finesse savoureuse dans ce jeu entre frivolité et profondeur), June Anderson (son « Glitter and be gay », est à jamais inusable), sans omettre Christa Ludwig (« I am easily assimilated », parodie d’accent latino à la clé). Le cd en 18 plages réunit de sublimes pages, l’essentiel d’un Bernstein délicat, raffiné, facétieux, voire fanfaronnant : vrai génie du théâtre déjanté, poétique, délirant. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2018.
LIRE aussi notre grand dossier BERNSTEIN 2018, avec l’intégrale des oeuvres de Bernstein édité par Deutsche Grammophon, élu coffret événement de l’année BERNSTEIN par la Rédaction de classiquenews …
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CD, COFFRETS
CD, coffret. LEONARD BERNSTEIN : THE COMPLETE RECORDINGS ON DEUTSCHE GRAMMOPHON & DECCA. C’est un monstre devenu sacré parmi les chefs d’orchestre et compositeurs du 20e siècle qui ont indiscutablement compté ; Leonard Bernstein a marqué la scène musicale de son temps comme peu d’autres musiciens, en particulier dans la seconde moitié du siècle : il aura contribué comme chef, entre autres à la révélation des symphonies de Gustav Mahler (à la suite de Bruno Walter) ; comme pédagogue inspiré, il sait sensibiliser un très vaste public, dont les jeunes générations, en dirigeant le Symphony of the Air Orchestra à la télévision lors de la célèbre série d’émissions Omnibus. Ainsi de 1958 à 1972, il présente les Young People’s Concerts permettant la compréhension de la musique classique, en particulier symphonique à une très vaste audience… ; comme compositeur, touchant à tous les genres, en particulier à l’écriture lyrique, Bernstein aura en 1957, révolutionné et renouveler considérablement le genre de la comédie musicale, avec une tendresse et un esprit tragique peu communs (West Side Story, au souffle légendaire et au succès planétaire)… L’année suivante dès 1958 et jusqu’en 1969, Bernstein acquiert un statut de légende de la baguette en devenant directeur musical du Philharmonique de New York. LIRE notre présentation complète du coffret BERNSTEIN DG / DECCA 2018
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Cd événement, critique. BERNSTEIN: A quiet place (Nagano, OSM 2 cd Decca, 2017). Ce pourrait être tout simplement le premier nouvel enregistrement CHOC de l’année Bernstein 2018 (pour son centenaire), avec certainement MASS (chez DG, édité au début de cette année anniversaire et dirigé par le québécois Yannick Nézet-Séguin). Directeur musical de l’OSM Orchestre Symphonique de Montreal, KENT NAGANO éblouit littéralement dancette version chambriste inédite, première au disque, où scintille l’intelligence du chant dialogué, l’équilibre d’un orchestre complice et suractif mais jamais couvrant, et un plateau superlatif de solistes qui savent dessiner avec beaucoup de finesse comme d’humanité, le profil de chaque protagoniste, dont surtout la famille des proches : Sam le père et ses deux enfants, la fille Dede et Junior le garçon “atypique”… De sorte qu’au début, la mosaïque sociale bruyante et bavarde, devient conversation intime, d’une sincérité déchirante, un théâtre dépouillé … Parution, juin 2018. CD CLIC de CLASSIQUENEWS de l’été 2018. EN LIRE +