mardi 16 avril 2024

CD. Berg / Schoenberg : Resonanz, Jean Guihen Queyras (Harmonia Mundi)

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berg schoenberg queyras resonanz cd harmonia mundi cd clic classiquenewsCD. Berg / Schoenberg : Resonanz, Jean Guihen Queyras (Harmonia Mundi). Deux partitions jalons de la musique viennoise : deux expériences amoureuses radicales… Le talentueux violoncelliste Jean-Guilhen Queyras et son ensemble chambriste  » Resonanz » mettent en parallèle deux partitions marquées par une forte expérience amoureuse, de part et d’autre du choc de la Première guerre, écrites par deux auteurs de la Sécession Viennoise  ; la première post romantique qui semble faire la synthèse de Strauss, Wagner, Liszt, commente musicalement la traversée nocturne d’un couple éprouvée par une annonce imprévue : le texte s’appuie sur le poème de Richard Dehmel (1896) ; Schoenberg y développe un épisode crépusculaire, d’un lyrisme irrésistible qu’il dédie secrètement à sa future épouse, Mathilde von Zemlinsy. « La Nuit transfigurée » composée à l’extrémité du siècle (1899) exprime comme nul autre auparavant si ce n’est Wagner, auteur de la langueur extatique de Tristan, l’itinéraire d’un amour absolu : ici, l’amant apprenant que l’enfant que son amie porte, n’est pas de lui, lui pardonne naturellement, transformant le climat d’inquiétude et de doute en nuit de révélation et de consolidation des sentiments… De l’ombre à la lumière, un serment amoureux qui prend valeur de fiançailles pour Mathilde et Arnold.

CLIC D'OR macaron 200Il en va tout autrement et même a contrario dans La Suite Lyrique de Berg. Même si elle évoque aussi la relation ténue entre deux êtres, la partition de Berg, composée après la guerre (1925-1926) est d’un tout autre climat, très en phase avec les temps chaotiques de sa genèse : elle témoigne d’une expérience vécue différemment : Berg aime secrètement la jeune Hanna Fuchs mais son désir absolu, radical, entier et terriblement passionné (qui s’est révélé récemment à la lueur de lettres passionnées) … n’est pas partagé. C’est un basculement progressif dans l’implosion sourde, la destruction désespérée des forces vitales jusqu’à l’anéantissement ; de fait la partition s’achève en un murmure qui pourrait être le dernier soupir, l’ultime souffle d’une âme vaincue, exténuée, accablée, abandonnée, désespéremment seule. Comme La nuit transfigurée, la Suite Lyrique cite Wagner (en particulier Tristan), source de ce poison amoureux, du venin des passions décisives dont personne ne se remet vraiment. Mais ici, en une course irrépressible, on passe de l’espérance aux ténèbres, celles d’une irréalisation amère.

2 partitions majeures, 2 expériences amoureuses contraires

Le Berg, aux côtés de La Nuit transfigurée, emportée avec précision et souffle, est le plus emblématique du travail fourni. L’intérêt de la présente lecture offre après l’avoir créée en France en 2010, la version pour orchestre à cordes par Theo Verbey, d’après la version finale validée par Alban Berg (1929). Aux mouvements II,III,IV orchestrés par Berg, Verbey ajoute les 3 autres restant (I, V, VI), totalisant 6 épisodes séquences (comme les 6 sections de la Symphonie lyrique de Zemlinsky, dédicataire de l’œuvre). Les Resonanz habitent les vertiges obsessionnels, les déflagrations silencieuses, transfigurées par la langue dodécaphonique en autant de cris et prières tues, énoncées à l’adresse de l’aimée définitivement inaccessible. Sans rentrer dans le cryptage intime qui fusionne pensée musicale très construite et ressentiment personnel,- entre écriture et vie réelle -, (lire ici le commentaire explicitant dans la notice les milles joyaux d’une œuvre idéalement structurée), il revient aux interprètes de réussir à en exprimer le sens profond, le noeud de l’inéluctable et du désir, la force amoureuse suscitée de façon toujours souterraine, semée d’inquiétude voire d’angoisse muette-, confrontée et donc exacerbée par l’impossibilité de vivre une relation tant espérée.

Actes Sud a publié une récente et remarquable étude de la partition : – Alban Berg et Hanna Fuchs : Suite lyrique pour deux amants. Par Constantin Floros-, à la lueur des lettres de Berg adressées sans réponse à la sœur de Franz Werfel et d’Alma Mahler, elle-même épouse honorable. Jamais l’écriture d’un musicien n’a paru autant refléter les tumultes et tourments des pulsions de sa vie intime et personnelle  : la musique et sa syntaxe micropulsionnelle, d’une activité rétroactive comme manifeste d’un déséquilibre psychique profond rejoint les meilleurs partitions  lyriques de Berg :  Wozzeck et Lulu ; les ressorts de la psyché scrupuleusement et comme cliniquement notés puis exprimés, s’y organisent comme la radiographie d’une âme et d’un cœur malades. C’est ce que comprennent et réussissent à partager les musiciens de Resonanz grâce à une écoute très subtile les uns des autres, grâce au respect des microéquilibres qui éclaire la syntaxe dodécaphonique telle l’algèbre du cœur et de l’âme humaine. Chacun des 6 épisodes y gagne une lisibilité et une activité puissante et précise, sans que ce souci du détail n’entame jamais la cohérence dramatique globale. Une gageure en soi que l’engagement millimétré des instrumentistes réunis par JG Queyras réalise avec d’autant plus de justesse convaincante que les deux œuvres à 25 ans de distance semblent se répondre l’une l’autre dans l’intensité intime de leur manifestation, dans la sincérité âpre et franche et ô combien distincte, de leur sensibilité propre. Il est vrai que Berg étant le disciple de Schoenberg, ne pouvait manquer d’une façon ou d’une autre d’inscrire leur lien musical qui d’un côté comme de l’autre récapitule ce que l’école de Vienne a conçu de plus fascinant dans l’histoire de la musique.
Les amateurs désirant en savoir davantage quant à la relation maudite Berg/Fuchs, se reporteront avec profit au livre Alban Berg et Hanna Fuchs : Suite lyrique pour deux amants. Par Constantin Floros (Actes Sud) :  et dont nous avons récemment rendu compte dans nos colonnes.  Superbe sensibilité des musiciens.

Berg : Lyrische Suite, Suite lyrique. Schoenberg : Verklärte Nacht, La nuit transfigurée. Ensemble Resonanz. Jean-Guihen Queyras, violoncelle et direction. 1 cd Harmonia Mundi HMC 902150, enregistré à Hambourg en juin et septembre 2013.

Approfondir
Alain Galliari : Alban Berg 1935, éditée en octobre 2013 chez Fayard.
Alban Berg et Hanna Fuchs : Suite lyrique pour deux amants. Par Constantin Floros (Actes Sud)

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