CD actualités : Voix 2008
Notre sélection des meilleurs enregistrements de l’année
La Rédaction Opéra de classiquenews.com a décidé d’élire ici les meilleurs enregistrements lyriques, récitals ou opéras, paru tout au long de l’année. Un récital grâce au programme des airs choisis, comme un rôle défendu sur scène ou au studio révèle l’engagement et la personnalité de l’interprète. Timbre, agilité technique, justesse du style, affinités émotionnelles avec le caractère concerné… sont autant de qualités qui dévoilent les grandes voix d’aujourd’hui. Voici notre sélection des cd lyriques qui font l’actualité 2008. Palmarès effectué au fur et à mesure des parutions, de janvier à décembre 2008.
Christian Gerhaher, baryton
Robert Schumann: Lieder (1 cd). Qui a pu écouter dans l’expérience du concert et de l’opéra (de
Mahler à Wagner, Mozart à Brahms…), le baryton allemand, Christian
Gerhaher, a compris au coeur de son style, l’alliance jubilatoire de
l’articulation fine et précise, et cette attention mesurée de
l’accentuation. Cette élégance poétique lui a d’ailleurs permis de
« servir » avec une humilité interprétative qui rappelle ses aînés dont
évidemment Fischer-Dieskau, de superbes récitals Schubert et aussi déjà
un précédent album Schumann, également parus chez Rca. Autant dire
qu’avec ce nouveau cycle chambriste, l’interprète confirme notre
appréciation positive. D’après Eichendorff, Andersen, Von Chamino,
Robert Reinick, Goethe, Geibel, l’ensemble des poésies musicales dont
il est question ici, rendent parfaitement sensible l’unité et la
profondeur de chaque partition, tant sur le plan linguistique, musical
et littéraire. Tout en intensité et en subtile accentuation, le baryton
exprime l’éclat et la multiplicité des mondes intérieurs d’un Schumann,
digne suiveur d’un Schubert. Parution: avril 2007.
Nathalie Manfrino, soprano
Airs d’opéra français (1 cd Decca). Voilà le cas typique d’un récital miroir: chacun des airs choisis révèle les facettes d’une sensibilité vocale, dont dans le cas de Nathalie Manfrino, le coloratoure s’affirme moins dans les airs sensationnels et acrobatiques que les situations mettant au devant de la scène l’éploration, les blessures, la prière. Femme abandonnée (Charlotte dans Faust de Gounod, et plus encore Genièvre du Roi Arthus de Chausson), héroïne amoureuse extatique (Lakmé de Delibes), Nathalie Manfrino commmence dans l’instabilité (aigus vibrés, ligne vocale instable dans les trois premiers airs) puis peu à peu colle davantage au texte, atteignant même un contrôle prosodique qui fait parler le verbe avec une authentique sincérité dans l’hymne vénusien de Thaïs de Massenet: voici le chant d’une féminité épanouie, à l’articulation fluide qui structure sur le souffle en sons filés des pianissimos parfaitement contrôlés. Cet air est avec l’air de Lakmé (« tu m’as donné le plus doux rêve… ») le plus réussi. Curieuse défaillance de l’articulation qui sape quelque peu l’intelligibilité de son Bizet, musicalement très affuté mais sur le plan de la seule diction, totalement brumeux (Vasco de Gama: « la marguerite a fermé sa corolle« ). L’air de Manon, le plus éclatant qui exige une volée de cascades acrobatiques (« Suis-je gentille… je marche sur tous les chemins« , le fameux air du Cours La Reine), montre les possibilités vocales mais aussi une tenue qui manque encore de véritable assise. Gardons le meilleur pour la fin, en parfaite « intimité » avec l’orchestre, la soprano convainc totalement par ses pianos au vibrato maîtrisé, dans le superbe air de L’Enfant Prodigue de Debussy (« L’année en vain chasse l’année »: la voix se fait murmure, d’une subtile suggestion), même évidente réussite dans Bizet (Les Pêcheurs de perles: « Me voilà seule…« ): clarté d’élocution, aigus réglés, et surtout intensité tendre du timbre qui excelle dans les personnages de femmes émues. La chanteuse gagne indiscutablement dans les rôles hyperféminins, au voluptueux abandon: les deux derniers airs le montrent à l’évidence: sa Chimène de Debussy, comme son Chausson (Le Roi Arthus: prière à Lancelot) trouvent un équilibre admirable entre l’émission, le caractère, les modulations prosodiques (enfin le texte est compréhensible au coeur d’un orchestre foisonnant). D’autant que les instrumentistes du Philharmonique de Monte Carlo se bonifient en cours de programme sous la direction attentive d’Emmanuel Villaume. L’orchestre réalise un halo crépusculaire, d’une fine ciselure dans ces trois derniers airs qui sont les plus aboutis: la page du Chausson mérite absolument d’être écoutée: ce parfum entêtant (au wagnérisme à peine masqué) qui mêle le poison et l’amertume, le rêve et l’ombre y jaillit comme une sève captivante. Au total 23 minutes d’enchantement qui dans un répertoire rare, révèle un vrai tempérament sachant projeter la langue. Précisons que nous avions pu « découvrir » Nathalie Manfrino en Mélisande habité, lunaire sur les planches de l’Opéra de Nice, puis dans l’opéra discographique « Welcome to the voice » de Steve Niece, aux côtés de Sting (Deutsche Grammophon, coffret paru en juin 2007). Talent à suivre.
Concert: Nathalie Manfrino chante le programme de son disque au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, mardi 13 mai 2008 à 20h30.
Nathalie Manfrino, soprano. Airs d’opéras français. Gounod: Faust. Massent: Hérodiade, Manon, Thaïs. Delibes: Lakmé. Bizet: Vasco de Gama, Les pêcheurs de perles. Debussy: L’Enfant Prodigue, Rodrigue et Chimène. Lalo: Le Roi d’Ys. Chausson: Le Roi Arthus. Orchestre Philharmonique de Monte Carlo. Emmanuel Guillaume, direction (1 cd Decca).
Rolando Villazon, ténor
Cielo e mar (1 cd Deutsche Grammophon). Même intensité qu’auparavant mais, enseignement lié au repos nécessaire et récent, le ténor sait, à présent contrôler son ardeur. Avec cette attention (nouvelle ou plus évidente) au texte, à la subtilité des intentions psychologiques. Moins de spontanéité donc de surjeu, surtout une justesse intérieure qui bouleverse. Le ténor qui est naturalisé français et vit à Paris, fait Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, étonne, captive, surprend. Par Cielo e mar, il faut bien sûr penser à l’air de La Gioconda (air d’Enzo à l’acte II), et aussi, à l’appui du visuel de couverture de ce premier récital chez Deutsche Grammophon, une conscience plus équilibrée de son art et des rôles choisis: maturité? Apaisement? La carrure vocale présente cette usure que l’on avait entendue en mars 2007 au TCE, mais l’instinct du musicien, sa félinité créative, compense certaines confusion d’intonation ou de souffle, en particulier dans les aigus qui manquent souvent de certitude, d’éclat, d’aisance (la fin d’Enzo, justement: l’aigu est un peu tendu). Le fauve Villazon déploie une blessure, couleur intérieure, superbe de panache et d’intensité, dans Il Giuramento de Mercandante (deux airs de Viscardo),surtout pour Gabriele Adorno de Simon Boccanegra, de souffle dans les deux airs (surtout le second) d’Adriana Lecouvreur, où Maurizio se déchire littéralement en un vérisme blessé (si subtilement soutenu par l’orchestre fin et suggestif de Daniele Callegari). Ce qui est manifeste chez le chanteur qui a conservé intacte sa passion de la vocalità, c’est son désir d’exprimer la pureté et la candeur tendre des personnages: son timbre n’est pas fait pour les calculateurs. Pour l’innocence et la passion, certes oui. Par sa voix attendrie, s’embrase la chaleur du sentiment. Que nous aimons ce soutien sans maniérisme des deux Faust, cette élocution naturelle, la tendresse primitive, presque fraîcheur et enchantement de Giovanni dans Maristella de Pietri, l’héroïsme vif argent de Rodolfo de Luisa Miller: incandescence et innocence du jeune homme romantique par excellence concluent ce récital lyrique, dont l’émission juste, l’intelligence du style offrent de nouvelles pages totalement captivantes. Ce Rodolfo, mené mezza voce, aux couleurs de la langueur très Schillerienne, décidément lui va comme un gant. Villazon s’y montre d’une parfaite implication, entre blessure, vaillance, candeur et malédiction.
Rolando Villazon, ténor. Avec Gianluca Alfano, baryton. Coro sinfonico di Milano Giuseppe Verdi. Orchestra sinfonica di Milano Giuseppe Verdi. Daniele Callegari, direction.