vendredi 19 avril 2024

Catherine Deutsch: Carlo Gesualdo (Bleu Nuit éditeur)

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Lumière et ombres du Prince de Venosa

Né en 1566, Carlo Gesualdo (décédé en
1613) laisse
dans
l’imaginaire et l’histoire fantasmatique, l’ombre fascinante et
terrifiante d’un prince compositeur meurtrier mais non poursuivi dans le
cas du meurtre perpétré sur le corps de sa femme infidèle… A 18 ans,
bombardé Prince de Venosa (au coeur du royaume de Naples), puis jeune
époux (20 ans en 1686) de Maria d’Avalos, Carlo est un aristocrate qui
mène grand train et témoigne de dispositions naturelles comme amateur et
comme compositeur pour la musique, en particulier vocal. Il baigne dans
l’art madrigalesque. Son statut cultive naturellement ce goût pour la
poésie chantée. De fait, commanditaire du meurtre de son épouse (âgé de
24 ans, il aurait même par haine vengeresse achever son épouse, tuée
avec son amant Fabrizio Carafa en 1590), Gesualdo est resté un criminel
déconcertant, dont l’invention et la sophistication fantasque voire
obsessionnelle des madrigaux étonne captive, étonne, saisit. Sa vie
comme son oeuvre, atypiques, suscite l’effroi comme la fascination. Le
mythe a submergé la vie du compositeur.

La biographie de Catherine Deutsch s’engage à éclaircir le
profil
de l’homme et surtout du musicien,
à le nettoyer de toute
l’appropriation et des détournements légendaires et fantasmatiques que
sa figure inclassable ne cesse de susciter. Même si les 15 dernières
années forment ici un « tenebro giorno », fait de « solitude, maladies et
sorcelleries » (sa maîtresse sera même jugée en sorcellerie en 1603!)…

Au demeurant, le crime de Gesualdo ne concerne que les débuts de son
existence et s’inscrit à l’époque où il ne se passionne pas encore pour
la composition: vocation de plus en plus prenante et dont l’orientation
sacrée voire mystique va croissant. Son oncle Alfonso Gesualdo qui est
cardinal, négocie ses secondes noces avec Leonora d’Este à Ferrare en
1594 (il a 28 ans). L’année de son 2è mariage est d’autant plus décisive
qu’il rencontre Luzzasco Luzzaschi et que débute un cycle ininterrompu
de recueils de musique: livres de madrigaux principalement en
particulier les Livre à 5 voix, I et II dès 1594. Influencé par l’essor
de la musique ferraraise, l’une des plus raffinées à l’époque, Gesualdo
peut se confronter aux meilleures écritures musicales. Tout cela le mène
à l’aboutissement du Livre V, insurpassable par ses dissonances
heurtées assumées au nom d’une expressivité de plus en plus ardente.

L’auteur démêle les relations d’admiration et de stimulation entre le
prince compositeur et les musiciens professionnels dont Luzzaschi et
Fontanelli. De leur proximité se produit un foyer d’écriture
madrigalesque foisonnant où la virtuosité et l’écriture sophistiquée
entend exprimer la richesse allusive des affects… en mouvements plutôt
courts, selon la pulsion naturelle du sentiment le plus fugace et
souvent le plus intense. Gesualdo le premier, inventeur du canto
affetuoso, suit la prééminence des émotions plutôt que l’architecture
poétique dans son ensemble.

Analyse très précise des chromatismes de Gesualdo, de l’évolution de
l’écriture madrigalesque à travers un choix de poèmes de plus en plus
réfléchi; définition du style gesualdien à son apogée (vers 1600), sorte
d’alternative extrêmement virtuose à la monodie nouvelle et son
affection pour la tonalité claire, et d’une sensualité lumineuse,
« monteverdienne »; présentation de toutes les pistes explicatives quand à
la solitude recherchée du maître de Venosa, son esprit taciturne,
lugubre voire mélancolique; ses relations désastreuses avec sa belle
famille, les Este; avec son épouse Leonora surtout, qu’il maltraite
semble-t-il sans ménagement selon ses humeurs… le chaos conjugal
redouble avec la mort de leur fils, Alfonsino survenue en 1600…

carlo gesualdo catherine deutsch, livre,
madrigal, collection
horizons, biographie, carlo gesualdo, bleu nuit éditeurenfin
un dernier chapitre, rétablit la place des oeuvres sacrées
particulièrement abondantes au soir de la carrière et dont l’affirmation
très particulière doit être mise en rapport avec la canonisation de son
oncle cardinal, Alfonso. C’est d’ailleurs dans la chapelle édifiée en
1609 en l’église Santa Maria delle Grazie à Gesualdo, que Carlo fait
placer un retable le représentant aux côtés de son oncle sanctifié;
avec, éloignée et très effacée son épouse victimisée, consentante,
Leonora d’Este. Lecture indispensable pour connaître les incertitudes et
les tourments d’une âme insatisfaite, sombre et âpre mais génialement
créatrice.


Catherine Deutsch: Carlo Gesualdo. Edition Bleu nuit,
collection
horizons
. 174 pages. ISBN: 978 2 35884 012 5. Parution: mai 2010.

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