dimanche 22 juin 2025

Caen. Théâtre, le 2 avril 2013. Stravinsky: Scherzo fantastique, Petrouchka, Le Sacre du printemps. Les Siècles. François-Xavier Roth, direction

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Dès le chant de départ, celui du basson solo en « voix de fausset » (dixit Cocteau témoin de la création parisienne du 29 mai 1913), François-Xavier Roth fait rugir et gémir l’orchestre des Siècles en spasmes et convulsions sidérants. Tout l’apport stylistique et interprétatif initié depuis L’Oiseau de feu puis Petrouchka (couplé ici avec Le Sacre) prend un relief particulier ce soir : c’est même la forme d’un accomplissement inoubliable retraçant l’odyssée des Ballets Russes à travers la collaboration Diaghilev/Stravinsky.


Savane luxuriante sur instruments d’époque

C’est aussi le même bénéfice qu’apporte leur nouveau disque Debussy, paru le 26 mars dernier et dédié à une lecture majeure de La Mer sur instruments d’époque. Même constat pour ce Sacre anthologique: l’option de jouer sur les instruments de la création révèle la partition dans son format et sa parure d’origine: il en ressort un relief à la fois mordant, tendu, des équilibres et des alliages de timbres inconnus et rarement écoutés, une richesse de couleurs, des subtilités inédites dont même Stravinsky, qui a enregistré son chef d’œuvre pour CBS (1940 et 1960), ne disposait pas.

Or en 1913, Paris est bien cette capitale des instruments et de la facture, source de performances et d’expérimentations stimulantes à laquelle tous les compositeurs « modernes » s’abreuvent avec intelligence. Pendant le concert, la sensation globale est celle d’une  » (re)création « , c’est à dire le sentiment d’assister à un flux constant de tensions expérimentales qui soulignent combien le jeune Stravinsky en disposant à nouveau de l’orchestre « français » des Ballets Russes dessine en 1913, la musique de l’avenir. Une musique convulsive donc qui suit en cela l’intrigue du livret chorégraphique: le sacrifice d’une jeune vierge pour la renaissance du printemps.
Ruptures harmoniques, superpositions d’accords, dissonances savamment agencées, réponses pointées d’un pupitre à l’autre, usage des instruments dans leur tessiture extrême… la flamboyante sauvagerie du rituel païen dont a rêvé Stravinsky prend forme ce soir à Caen et les plus de 100 musiciens réunis sous le plateau sidèrent littéralement malgré leur nombre par la finesse des nuances et cette âpreté électrique des tutti.
Les vents et les bois, particulièrement mis en avant (et dès le premier épisode) sont d’une insolence remarquable ; les cordes d’une unité volcanique … incandescente.


Caen, fosse symphonique

Dans ce tableau originel aux couleurs rafraîchies, le sentiment d’urgence et de fragilité, de lutte et de survie s’inscrit immédiatement dans l’écoulement dramatique; et ce dès le chant du basson initial… Cette jungle libre et sidérante d’invention et de pointes linguistiques tenue par les seuls vents et bois au cours des mesures de l’Introduction avant les Augures printaniers soulève un vent primal d’une tension inouïe : chants d’oiseaux, magnétiques, frémissants… telle l’aube d’une ère nouvelle, celle d’une révolution musicale qui passe avant tout par le relief des instruments.
La motricité des cordes (Danses des adolescentes), la marche au balancement hypnotique des Rondes Printanières ou plus animal du Cortège du sage, l’immersion spectrale du Sage justement, développent de superbes effets de contrastes qui se libèrent totalement en forces éruptives et vindicatives dans La Danse de la terre... avant l’univers des visions qui enchantent et parcourent comme les ombres d’un chant/champs de ruines, l’Introduction de la seconde partie…

Les contrastes d’atmosphères entre les mouvements d’hystérie collective et les immersions plus crépusculaires voire inquiétantes gagnent en vertige poétique ; contrairement à Petrouchka structuré en une succession illustrative de séquences, Le Sacre affirme sous la direction de François-Xavier Roth une magistrale unité organique, où la ciselure du détail rehausse l’arête vive de son architecture.
Et même si l’acoustique de la salle n’est pas idéale pour un concert symphonique, le relief caractérisé de chaque instrument ressort en une palette d’accents redessinés d’une force et d’une intensité incomparables. La première conclusion fusionnant populaire et élégance, puissance et raffinement (Danse de la terre marquant la fin de la première partie) y prend des allures de machinerie frénétique, d’une sauvagerie étincelante.

Dans le sillon tracé par Petrouchka, le ballet qui le précède, Le Sacre du printemps affirme sa barbare violence, ses assauts féroces et fauves, mais aussi une ivresse poétique d’une exceptionnelle intensité. C’est tout cela que réalise l’audace inouïe de jouer sur les instruments d’époque dont certains contorsionnés dans leur jeu contraint, exigent d’abord des interprètes, une maîtrise et un défi physique, inconnu chez leurs confrères sur instruments modernes.

François-Xavier Roth s’est expliqué longuement sur le bénéfice sonore et musical permis par les instruments d’origine. Jamais l’orchestre des Ballets Russes n’aura sonné (avec raisons) aussi français ni plus parisien : la couleur n’empêche pas la violence ; comme les contrastes et les assemblages inédits, n’atténuent pas cette esthétique de la transparence et de la lumière… Le délire et l’enivrement sonore que suscitent un tel laboratoire de sons et de sonorités marquent définitivement l’histoire de l’interprétation du Sacre, et gageons que très vite, la vision des Siècles et de leur chef, habité par la fièvre chorégraphique de l’écriture, ne s’impose partout comme une nouvelle référence incontournable, tant au concert, la réalisation relève d’une expérience marquante pour les auditeurs. Hurlements et ullulements, murmures et derniers souffles, visions et révélations, tremblements et déflagrations jusqu’à la transe conclusive de La danse sacrale (sacrifice ultime de l’Elue)… rien n’égale la violence primitive du Sacre ce soir restituée : où la musique se fait chant et cri d’une humanité soumise face à l’odyssée irrépressible de son destin…
Musique infernale, musique fascinante, Le Sacre marie avec génie terreur et magie. Ces traversées successives dans les mondes parallèles s’entendent ici, enfin, en une nouvelle éloquence. Aboutissement admirable et tournée événement.

La tournée Stravinsky par Les Siècles est d’autant plus incontournable en 2013 qu’elle marque opportunément le centenaire de la création scandaleuse de la partition au Théâtre des Champs Elysées, le 29 mai 2013. Voir toutes les dates de la Tournée du Sacre 2013 dont le 5 avril (Blanc Mesnil) puis 6 et 7 à la Grande Halle de La Villette (en mode hip hop).

Illustration: © M Crosera / PBZ
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