Cadmus selon Dumestre
En janvier 2008, l’Opéra-Comique vit à l’heure baroque, en particulier selon le goût de Lully. A partir du 21 janvier 2008, la scène parisienne accueille une production événement de la première tragédie en musique de l’histoire, Cadmus et Hermione (1673), conçue comme l’aboutissement de la démarche synthétique du duo Lully et Quinault. Il ne s’agit pas seulement d’inventer un genre musical nouveau, il faut aussi réussir le projection dramatique et intelligible de la langue française, pilier central de l’action scénique… Présentation de quelques aspects du travail des interprètes. En quoi l’approche de Vincent Dumestre est-elle aujourd’hui pertinente?
Cadmus, première tragédie en musique (1673)
De 1670 à 1673, Lully participe étroitement à la naissance de la tragédie en musique, l’équivalent français de l’opéra italien. Le travai du compositeur florentin, premier musicien à la Cour de Louis XIV s’est imposé avec la comédie-ballet Le Bourgeois Gentilhomme (1670, que Vincent Dumestre a visité avec le succès que l’on sait), puis Psyché qui marque l’ouverture des genres explorés et aussi les limites des pistes approchées. Porté par le projet d’un opéra français digne du théâtre de Racine, Lully qui s’est fâché avec Molière (Psyché, tragi-comédie a été le théâtre de leur rupture), se rapproche du poète Philippe Quinault pour « inventer » la tragédie en musique que le milieu artistique attend de tous ses voeux: Cadmus et Hermione réalise cette ambition et satisfait cette attente.
L’aboutissement d’une évolution lente et complexe
Vincent Dumestre qui s’intéresse depuis ses premiers enregistrements discographiques à la genèse du genre théâtral et musical en France, aborde donc Cadmus non comme l’amorce d’un genre nouveau mais comme l’aboutissement d’une longue tradition en métamorphose, depuis les premiers divertissements à la cour de France tel Le Ballet comique de la Reine (1581), qui fusionnent chant, action théâtrale, musique et surtout, aspect emblématique de l’art français officiel, la danse.
Les caractères de l’opéra français
Pour monter Cadmus, les interprètes ont sélectionné les sources, innombrables en l’occurrence, fait insolite pour un opéra baroque: pas moins de sept manuscrits car l’oeuvre, modèle du genre lyrique, était encore joué à l’époque de Rameau, au début du XVIII ème siècle. Choix de la prosodie juste car l’articulation de la langue est primordiale, restitution de l’orchestre français avec ses cinq parties, couleurs spécifiques de l’instrumentarium des 24 Violons du Roi (l’orchestre de Lully): il s’agit au final de retrouver cette patine propre à l’art français qui offre alors une étape essentielle de sa recherche esthétique. Certes l’importance des ballets comme, mais aussi l’articulation du français et sa fusion naturelle avec la musique, l’incontournable culte de la personne royale, enfin l’amour local pour la galanterie… autant d’aspects de la musique française qu’entendent nous dévoiler sur les planches de l’Opéra-Comique, la troupe du Poème Harmonique.
Permanence des caractères vénitiens
D’après Ovide, l’histoire de Cadmus et Hermione (qui est une succession de tableaux héroïques démontrant la vaillance et l’obstitnation du héros éprouvé par le destin), est adoucie par Quinault en une fable amoureuse et tendre, proche en cela du goût de la Cour de Louis XIV qui ne s’est pas encore fixée à Versailles. Lully sait faire la synthèse de ce qui plaît au public: il ajoute aux éléments déjà identifiés, le merveilleux et le fantastique, ce surgissement du magique et du surnaturel qui rehausse l’épopée des héros et que l’Andromeda de Ferrari, à Venise (alors temple européen de l’art lyrique), avait incarné de façon inédite. Première manifestation d’un genre fixé mis encore embryonnaire dans Cadmus, l’oeuvre qui intéresse Vincent Dumestre combine encore, dans le style vénitien, et le genre comique (Arbas) et le registre héroïco-tragique (Cadmus)… Même La Nourrice incarne sur la scène française, la permanence du rôel de Nutrice, si important dans les opéras vénitiens transmis par Monteverdi dans les années 1640 (Le Couronnement de Poppée). Amoureuse et tendre, fantastique et épique, comique et tragique, mais aussi dansée et chantée, la tragédie en musique avait une panoplie d’arguments pour séduire l’audience française, à la Cour comme à la ville…
Lully/Quinault: Cadmus et Hermione (1673). Du 21 au 27 janvier 2008. Paris, Opéra-Comique. Le Poème Harmonique. Vincent Dumestre, direction. Benjamin Lazar, mise en scène.
Crédits photographiques: Vincent Dumestre (DR)
