Voilà une lecture indispensable voire obligatoire tant elle bouleverse notre connaissance de l’opéra français baroque, celui si ciselé et pourtant méconnu du règne de Louis XIV. La pompe versaillaise a fini par régidifier et réduire notre perception de la création des années 1670: or c’est une période décisive dans l’histoire du goût classique où se fixe de façon définitive le genre si mésestimé (combien d’opéras de lully joués régulièrement dans nos théâtres?) de la tragédie en musique.
Buford Norman, encore un étranger véritable visionnaire chez nous, – sauf Hugo Reyne, lullyste le plus fervent parmi les baroqueux actifs-, révèle nombre de faits indiscutables qui accréditent le succès et la perfection de l’opéra façonné par un duo légendaire (comme le seront Mozart et Da Ponte, puis Strauss et Hoffmannsthal), Quinault et Lully.
La lecture du présent ouvrage s’avère capitale: ici, se dévoile le génie du plus grand poète linguiste du XVIIè, digne rival de Racine, qui a compris comme lui, les possibilités de la langue versifiée, en particulier sublimée par son adéquation au chant et à la musique.
Que savons nous précisément de Quinault? Qu’il est né le 5 juin 1635 (ainsi que le rappelle une note biographique trop brève et indicative dans le présent ouvrage, mais il est vrai que son sujet concerne surtout les oeuvres du poète…). Formé par le poète Tristan L’Hermite à partir de 1643, puis surtout par l’écrivain parisien Philippe Maréschal, selon le voeu de son père, Thomas Quinault. Dès 1653, à 18 ans, le jeune lettré se fait connaître par la maîtrise de la langue de Corneille et de Racine, en particulier par la beauté et l’éloquence juste de ses vers amoureux et tendres (comme Racine!); Avant de fournir à Lully ses livrets d’opéras, Quinault est applaudi pour ses oeuvres destinées au théâtre parlé dont la tragédie Astrate (1665) et sa comédie La Mère Coquette (1665), très prisée du public parisien. Très vite, le poète talentueux participe à l’essor de l’art de Cour: il collabore aux Ballets de Cour dont le Ballets des Muses (1666), surtout à la Tragédie-ballet Psyché (1671) oeuvre maîtresse dans l’éclosion de l’opéra français, pour laquelle Quinault compose les vers destinés à être chantés (aux côtés de ceux déclamés signés Corneille et Molière). Il n’a que 36 ans et est déjà un maître.
Surtout Quinault réalise ensuite une carrière exemplaire comme librettiste régulier de Lully (à part Bellérophon et Perséphone) dès Cadmus (1673) à Armide (1686). Soit au total, près de 11 tragédies en musique, livrets majeurs dont les sommets que sont Alceste (1674), Atys (1676), Persée (1682), Roland (1685) et Armide (1686). Le nombre de pièces écrites pour Lully s’élève même à 13 si l’on intègre les ballets, L’églogue de Versailles, Le Triomphe de l’Amour (1681) et Psyché (déjà citée, 1671). Quinault prend sa retraite en 1686, et meurt en novembre 1688, non sans avoir porté jusqu’à un degré idéal le genre lyrique en accord avec Lully, selon les voeux du Roi artiste (et interventionniste), Louis XIV.
L’étude traduite de l’anglais par Jean Duron du CMBV (Centre de musique baroque de Versailles), souligne le génie
du poète, alchimiste et architecte de l’art métrique, du verbe fait
musique. Avec Quinault, chant et sens savent fusionner à la musique de
Lully, créant de toutes pièces une nouvelle langue, poétique et
musicale, propre à l’art baroque du XVIIè: l’auteur présente tous les
livrets des tragédies en musique, de Cadmus et Armide, examine la place
spécifique des 4è actes (fausses résolutions), analyse avec force
arguments l’évolution de l’écriture, le pertinence de chaque ouvrage,
considéré comme un laboratoire spécifique… Il présente avec la même
clarté du style et un sens certain de l’argumentation, la place, le
rôle et les enjeux de chaque Prologue. Autant dire que le texte s’avère
indispensable: que les opéras de Lully et Quinault demeurent peu joués
dans les théâtres, en particulier à l’Opéra de Paris, avatar moderne de
l’Académie royale de musique où toutes les oeuvres des auteurs ont été
créées après avoir été applaudi à la Cour, reste une aberration.
Heureusement Hugo Reyne veille : sa lecture d’Atys dernier opéra recréé
lors du dernier festival en Vendée (dont il est le directeur
artistique) « Musiques à la Chabotterie » (août 2009), demeure mémorable
et fut l’un des événements lyriques de l’été.
Aux lecteurs du texte de Buford Norman, le génie maltraité de Quinault n’en sera que plus criant. Quinault n’y paraît pas seulement en partenaire de Lully: il s’agit bien du rival de Racine: leur rapprochement précise le profil de 2 génies de la langue classique: Atys (1676) et Phèdre (1677) témoignent de deux sommets contemporains: le premier ayant même suscité le second: Racine souhaitait lui aussi exprimer le désarroi d’une amoureuse défaite, impuissante (Phèdre, pendant de la Cybèle de Quinault). Tous deux savent toucher autant que plaire (-pierres angulaires de l’esthétique classique selon Racine); la tendresse de leurs vers amoureux les rapproche: ils révèlent combien les auteurs connaissent en profondeur les ressorts de la psyché et des passions humaines. Le grand vainqueur serait même Quinault: son oeuvre lyrique marque un âge d’or du théâtre français, au début de l’installation de la Cour à Versailles, avant que la Maintenon de vienne tempérer dans le goût du Souverain, la place première de l’opéra.
De fait, à partir de 1686, Racine s’éloigne du théâtre parlé classique. Soit après que Lully et Quinault aient produit leurs propres tragédies en musique… L’auteur de Phèdre intègre désormais dans ses dernières tragédies, Esther (1689) et Athalie (1691), plusieurs épisodes musicaux, comme si, depuis Quinault, décédé entre temps, le théâtre classique, pour atteindre des sommets, ne pouvait plus désormais faire l’économie de la musique et du chant.
Buford Norman: « Quinault, librettiste de Lully. Le poète des Grâces ». Editions Centre de musique de Versailles, Mardaga. 383 pages. Parution: août 2009.