Bordeaux, Don Giovanni
par notre envoyé spécial, Raphaël Dor
Simultanément aux Noces de Figaro, avec le même chef et le même metteur en scène,
cette production de Don Giovanni a depuis 2002 fait ses preuves auprès
du public. Et pour cause, Laurent Laffargue propose ici une mise en
scène à la profondeur psychologique élaborée et originale.
Son Don
Giovanni est un séducteur insouciant, ambigu et provocateur, mais
surtout particulièrement juvénile, jouant tour à tour avec un
tourniquet, un cheval de bois, une petite voiture… Face à lui,
Leporello est plus qu’un serviteur, c’est son complice, un véritable
double qui espère lui ressembler mais n’aura pas le courage suffisant.
Don Giovanni, très instable, deviendra schizophrène en tuant le
Commandeur puisque celui-ci n’apparaît pas sur scène dans le deuxième
acte, seule sa voix résonne dans la tête du séducteur. La seule issue
est alors pour lui la mort, qui mettra fin à son calvaire.
Laurent
Laffargue imagine un dispositif scénique intéressant fait de panneaux
blancs mobiles, qui illustrent avec pertinence chaque scène et surtout
l’état d’esprit de Don Giovanni. Nous n’avons donc pas de tableaux figés
mais un espace qui se recrée en permanence, également mouvant grâce aux effets
de lumière.
Le baryton Teddy Tahu Rhodes porte le rôle
principal grâce à un charisme incroyable et une énergie rare. La voix
est assez engorgée, sombre sur toute la tessiture, avec une technique
qui rappellerait les baryton-basses russes ayant abordé le rôle tels que
Nicolaï Ghiaurov. Mais la souplesse de la ligne, la grande maîtrise du
legato, finissent par séduire immanquablement le spectateur. Son
acolyte, Kostas Smoriginas, est plus clair et plus équilibré, mais finit
pas s’effacer dans l’ombre de son maître et modèle.
Donna Elvira
fait partie des rôles phares de Mireille Delunsch. Sa réputation la
précède, et une fois de plus la soprano française brûle les planches : elle
enchante. L’on sent les quelques limites de la voix, mais face à la
puissance et à la justesse de l’interprétation, tout doute s’évanouit.
Jamais les balancements du cœur, les hésitations soucieuses n’auront
semblé si naturelles. Elle est Donna Elvira et lui rend parfaitement
justice.
Jacquelyn Wagner pourrait en comparaison paraître une Donna
Anna plus policée, mais elle construit le personnage sur la durée, et
s’impose finalement comme une interprète extrêmement prometteuse. La
voix est solide, le timbre chaleureux, la vocalise aisée…
Irréprochable ! Lui répond un Ottavio extrêmement noble de Ben Johnson,
lui aussi assurant toute la tessiture sans faiblesse.
Plus discret,
le couple de paysans incarné par Sébastien Parotte et Khatouna Gadelia
réjouit par sa fraîcheur et sa spontanéité, notamment concernant la
délicieuse Zerlina.
Encore une fois, Mikhail Tatarnikov tire le
meilleur de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, osant même des
changements de tempo originaux et très efficaces. On aurait pu espérer
comme dans les Noces de Figaro davantage de nuances, mais le dynamisme
insufflé compense cela avec brio. Une reprise réussie, portée par un plateau vocal aux nombreuses pépites, à surveiller et à suivre !
Bordeaux.
Grand Théâtre, 24 juin 2012. Mozart, Don Giovanni. Avec Don Giovanni :
Teddy Tahu Rhodes ; Leporello : Kostas Smoriginas ; Donna Elvira :
Mireille Delunsch ; Donna Anna : Jacquelyn Wagner ; Don Ottavio : Ben
Johnson ; Zerlina : Khatouna Gadelia ; Masetto : Sébastien Parotte.
Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, direction Mikhail Tatarnikov,
mise en scène Laurent Laffargue. Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial, Raphaël Dor.