Verve de Goldoni, finesse de Martinu
La troupe de l’Atelier lyrique s’engage vocalement pour exprimer les délices à double lecture d’un opéra bouffe parfaitement calibré et qui recueille les fruits de la dernière écriture de Martinu; il revient surtout aux chanteurs en effet d’apporter la preuve de l’éloquence festive et critique du compositeur dont 2009 avait marqué les 50 ans de la mort (2009: les 50 ans de la mort de Bohuslav Martinu).
Saluons donc le travail de la jeune équipe lyrique en particulier les hommes dont le Chevalier de Michal Partyka (baryton) : aplomb vocal, puissance et justesse des intonations; tendresse toute en nuances du Fabrizzio de Stanislas de Barbeyrac (ténor): le serviteur, employé de l’aubergiste, finit par l’épouser… car ici, après avoir ridiculiser les nobles d’une arrogance soit crétine, soit suffisante, Mirandolina, donneuse de leçon, fait tomber le masque dans la scène finale: elle avoue son inclination pour son semblable, roturier, ce jeune homme qui en pince pour elle.
On reste plus réservé quant à la joliesse trop polie, et constamment sage de la Mirandolina de la soprano Ilona Krzywicka: le caractère conçu par Goldoni offre pourtant à l’interprète des trésors de nuances expressives entre l’ingénuité feinte, la séduction manipulatrice, la rouerie coquette, la silhouette irrésistible d’une impassible sirène… Même si la fluidité du timbre et l’égalité des registres séduisent, le travail du personnage manque d’approfondissement comme de nuance émotionnelle.
Revanche d’une fieffée roturière
Dommage que la mise en scène actualisée préfère gommer le fossé social entre les personnages: il s’agit bien de la part de Goldoni de contrastes psychologiques hallucinants: ici, une simple aubergiste roturière règne sans complaisance mais avec combien de finesse envoûtante sur le coeur de 3 aristocrates, tous transis et tous parfaitement différents: le comte (Vincent Delhomme) pense tout acheter y compris le coeur de la belle jeune femme; le marquis (Damien Pass), plutôt faible et lâche, lui offre contradictoirement sa… protection; le Chevalier en impose par sa haine misogyne et sa détestation du genre féminin: autant d’arrogance chez les trois suscite évidemment une leçon radicale. Ce que réalise non sans malice l’astucieuse et habile Mirandolina.
La salle Olef Efremov de la MC93 ne se prête guère à une représentation d’opéra: la disposition de l’orchestre et la scène enclavée, en contrebas des gradins, empêchent les voix de rayonner dans un volume plutôt sec. De sorte que l’orchestre couvre constamment les solistes, empêchant cet équilibre subtil voix/orchestre qui à l’origine devait renforcer la séduction de l’oeuvre de Martinu et surtout, préserver la déclamation du texte (permanente): l ‘opéra ne compte qu’une seule mélodie.: la chanson à boire en hommage à Bacchus et à l’amour pour le duo entre Mirandolina et le Chevalier où le misogyne se fait bel et bien piégé par la jeune femme, en succombant à ses charmes de cuisinière.
Dommage que le chef pourtant scrupuleux (climat des interludes de chaque acte) confonde énergie et vocifération: la sonorité mais aussi le geste sont constamment surdimensionnés: l’orchestration de Martinu d’une constante activité instrumentale (entre Stravinsky et Janacek) mérite davantage de délicatesse et de suggestion, dans le sillon de son maître si allusif, Albert Roussel.
Il n’empêche, courrez voir et écouter cette perle de finesse psychologique où éblouit la verve comique de Goldoni, d’autant que la musique de Martinu est loin de laisser indifférent. Le travail collectif des jeunes chanteurs accrédite la valeur de cette production lyrique, qui est aussi, défi méritant, la création française de l’ouvrage, créé l’année de la mort de Martinu en 1959.
A l’affiche de la MC93 pour deux autres dates, les 28 et 30 juin 2010.
Bobigny. MC93, le 26 juin 2010. Bohuslav Martinu (1890-1959): Mirandolina (créé à Prague, Théâtre national, le 17 mai 1959). Opéra comique en 3 actes d’après La Locandiera de Carlo Goldoni. Création française. Solistes de l’Atelier Lyrique: Ilona Krzywicka (Mirandolina), Michal Partyka (Le Chevalier), Vincent Delhoume (Le Comte), Damien Pass (Le Marquis), Stanislas de Barbeyrac (Fabrizio), Carol Garcia (Hortensia), Aude Extrémo (Dejanira), Manuel Nunez Camelino (Le Serviteur du Chevalier). Orchestre atelier Ostinato. Marius Stieghorst, direction. Stephen Taylor, mise en scène.
Illustrations: Martinu (à gauche), Carlo Goldoni (DR)