Angers Nantes Opéra
saison 2010-2011
Benjamin Britten
Le viol de Lucrèce, 1946
Juste après la seconde guerre mondiale, le compositeur Benjamin Britten (1913-1976) et le poète Ronald Duncan, deux pacifistes engagés, réécrivent et actualisent l’histoire latine de Lucrèce : l’héroïne, en refusant de survivre au déshonneur d’avoir été violée par l’occupant, devient le symbole et la conscience d’une population romaine jusque-là asservie aux caprices d’un dictateur étrusque (Tarquin). La figure tragique antique devient aussi sous la plume du compositeur et de son librettiste, un symbole de la résistance qui, comme Antigone, parvient à confondre son destin personnel et celui de son peuple.
Britten compose avec franchise, mordant, efficacité: allant droit à son but, dans la manière des opéras baroques des XVIIe et XVIIIe siècles. Il éclaire la psychologie des personnages d’un regard nouveau, d’une subtilité austère, d’une vérité irrésistible, souvent bouleversante. Le fait est avéré: le viol de Lucrèce a bien existé et les auteurs à en exprimer le souffle déchirant, sont nombreux avant Britten: Tite-Live (Histoire de Rome), Ovide (Fastes), Shakespeare (The Rape of Lucretia).
Nantes, Théâtre Graslin
Vendredi 14, dimanche 16, mardi 18, jeudi 20, samedi 22 janvier 2011
en semaine à 20h, le dimanche à 14h30
Angers, Grand Théâtre
Vendredi 28, dimanche 30 janvier, mardi 1er février 2011
en semaine à 20h, le dimanche à 14h30
Ici se mêlent en une barbarie implacable, désir, concupiscence, possession et sadisme, violence du pouvoir et grandeur sacrifiée. Femme victime, femme assassinée moralement, meu
rtrie dans sa chair, Lucrèce a aussi inspiré nombre de peintres tels Botticelli, Tintoret, Véronèse et surtout
Titien, lequel a dédié à Lucrèce de nombreuses variantes du viol: le peintre crée même un genre nouveau, entre cruauté sadique et sensualité opulente, celui de l’histoire tragique (avant Poussin), où les brûlures miroitantes de la touche et la vibration ultime de la palette, l’une des plus flamboyantes de la peinture vénitienne, du XVIè siècle, expriment l’impuissance douloureuse de la jeune femme.
Innocence sacrifiée
Le thème revêt aussi une résonance particulière dans la vie intime de Britten. Lucrèce comme dans Billy Bud ou Le Tour d’écrou parle allusivement de la perte forcée de l’innocence et de la pureté, une thématique axiale chez le compositeur qui fut lui-même victime durant son enfance.
Ayant choisi de s’exiler aux Etats-Unis de 1939 à 1942, puis d’obtenir le statut d’objecteur de conscience dès son retour au Royaume-Uni, Benjamin Britten semblait vouloir tenir la guerre à distance pour n’avoir d’autre combat que celui de la musique. Pour preuve, la création de son Peter Grimes le 7 juin 1945 à Londres, un opéra qui, en marquant le renouveau de l’art lyrique britannique, lui apporte une renommée internationale.
Britten demeure une personnalité complexe que la célébrité n’assagit pas (ou plus précisément n’embourgeoise pas): il reste toujours soucieux de poursuivre une oeuvre réaliste et poétique dont l’apparente austérité chambriste de la forme traduit au plus juste l’intensité du sujet. Servir la musique. Renforcer le drame. Ciseler la psychologie des héros: «
Ma technique consiste à éliminer tous les déchets, à parvenir à une parfaite clarté d’expression » précise-t-il.
Le Viol de Lucrèce est en ce sens un manifeste. L’épure de la partition n’empêche pas les orages et la passion radicale des personnages dans leur fort intérieur.
Economie de la forme, concision de l’orchestration, intimisme des effectifs mais intensité de l’action. En conclusion, Britten fait chanter les deux choeurs: l’un plein d’une espérance inédite, citant le sacrifice du Christ car toute mort permet aussi de renaître; l’autre immergé dans l’horreur absolue, celle d’une innocente massacrée. Britten n’oblitère en rien la force des oppositions: il exprime l’indicible de la catastrophe sans envisager pourtant une autre lecture plus humainement et poétiquement acceptable: le mort de Lucrèce n’aura pas été vaine en suscitant un réveil de nos consciences, contre la barbarie, pour l’engagement humaniste de nos actes et de nos choix…
Ronald Duncan, librettiste de Peter Grimes, emprunte à la pièce d’André Obey sa structure tragique, en conformité avec le canon antique: le choeur narre l’action; les héros en vivent les épisodes.
Pas assez accessible ni séduisante, l’oeuvre fut rejetée dès sa création (1946). Pourtant ses idées et son engagement poétique et spirituel sont des plus passionnants.
Benjamin Britten: Le Viol de Lucrèce. Opéra en deux actes. Livret de Ronald Duncan d’après la pièce éponyme (1931) d’André Obey. Créé au Glyndebourne Opera Festival, le 12 juillet 1946.
Direction musicale: Mark Shanahan
Mise en scène: Carlos Wagner
Décor et costumes: Conor Murphy
Lumière: Peter Van Praet
Opéra en anglais avec surtitres en français.
Delphine Galou, Lucrèce
Benedict Nelson, Tarquinius
Jean Teitgen, Collatinus
Armando Noguera, Junius
Svetlana Lifar, Bianca
Katherine Manley, Lucia
Robert Murray, Le Choeur masculin
Judith Van Wanroij, Le Choeur féminin
Ensemble Da Camera
Production originale Flanders Operastudio, mai 2000.
Illustration: Britten au travail, Le viol de Lucrèce par Titien (DR)