Benjamin Britten
Billy Budd, 1951
France Musique
Samedi 19 juin 2010 à 19h
Opéra enregistré à l’Opéra de Glyndebourne
Ethique ou ordre
Sur un navire britannique, le monde des hommes se mut en étouffoir où les barbares manupilent. Violence psychologique, tension exacerbée, Billy Budd est un opéra cynique et âpre. C’est un huit clos à trois caractères, exclusivement masculins, en liaison avec les thèmes propres à Britten, lui-même dévoré par son homosexualité coupable, en proie à maintes interrogations sur son identité profonde, sa capacité à trouver la paix et être heureux.
Conflit entre devoir et morale, désir et loi, ordre et éthique, sacrifice d’un innocent, influence invisible d’un système barbare et cruel… Billy Budd concentre tous les messages et les représentations conflictuelles emblématiques du compositeur anglais.
A bord du vaisseau de guerre L’Indomptable, en 1797, en pleine guerre opposant la France à l’Angleterre, plusieurs matelots d’un navire marchand sont enrôlés de force, contre leur gré (Britten est un militant pacifiste) pour renforcer les troupes en vue d’une bataille imminente. Parmi eux, le bel adolescent, Billy Bud (William Budd), dont la beauté physique et morale ne laisse indifférent personne, est conduit par le maître d’armes, John Claggart, être perfide, manipulateur, envieux et jaloux. A la candeur et l’innocence de Billy correspond le démonisme de Claggart qui amoureux du matelot désigné « gabier de misaine », ne peut assumer le désir qui le ronge.
Dans son monologue décisif à la fin de l’Acte I, Claggart met en branle une machine destructrice: la haine plutôt que l’amour. Détruire l’ange divin, cet Adonis irrésistible plutôt que le chérir et le protéger. En se vouant au mal et à la mort, Claggart adjure sa propre fin, mais aussi celle des autres. En accusant Budd de trahison (il aurait fait passer de l’or français à bord pour rallier les troupes anglaises aux idées de la révolution et des droits de l’homme), Claggart, devant le capitaine Vere, entend détruire le pauvre innocent. Celui, saisi par l’infamie et la dffamation, n’a qu’un seul tort: il bégaie. Impossible de sortir un mot. De rage, il frappe Claggart, et le tue devant le capitaine médusé…
Les derniers jours de Billy Budd, « ange divin »
Comme il l’a fait dans Peter Grimes, opéra précédent, dont le rôle-titre est un caractère fascinant par son ambivalence contradictoire -victime et bourreau-, Britten compose Budd pour son compagon le ténor Peter Pears qui incarne le seul personnage tragique de l’ouvrage, le capitaine Vere. En lui se déploie le poison du conflit: comme Claggart, il aime Budd mais contrairement au maître d’armes, se laisse séduire et nourrit cette secrète attirance. Mais en homme policé, éduqué, cultivé (lecteur de Plutarque et des anciens grecs et romains…), Vere est aussi l’homme de la loi, de l’ordre, de l’équilibre des puissances.
Face au meurtre perpétré par Billy contre Claggart, Vere a bien conscience que l’enfant divin, messager de sa propre rédemption, l’a délivré du mal: il s’agit du meurtre d’un démon incarné. Mais en période de guerre, il est nécessaire d’affirmer la discipline.
Sur ordre du Capitaine, Budd est jugé devant son tribunal où Vere paraît comme simple témoin au risque de laisser à d’autres, le verdict final. De fait, le gamin est jugé coupable et guillotiné sur la grande vergue. Or Vere, qui sait la symbolique des épisodes, craint d’avoir perdu son libre-arbitre. Que peut l’homme d’honneur face à la nécessité des hommes? Car devant quel tribunal devra-t-il répondre de ses actes? En tuant la bonté incarnée n’a-t-il pas fait lui aussi le choix des ténèbres et de la lâcheté?
C’est l’une des partitions les plus sombres et désolées écrites par Britten, où les motifs de la faille intérieure, véritable blessure implicite reviennent cycliquement dans l’opéra pour chaque scène du Capitaine Vere: violons et altos jouent dans deux clés différentes, séparées d’un demi ton: expression d’un sentiment d’une existence disjointe (si et si bémol). Telle serait la clé de Britten: une oeuvre déchirée, habitée par un conflit originel; d’un côté, l’homme et l’artiste inquiet et tendu, « possédé » par une sexualité interdite (Britten est homosexuel et vit avec son compagnon le ténor Peter Pears, véritable roc dans sa vie); de l’autre, le mondain cultivé désireux de reconnaissance et de compréhension. Mais au centre de la création de Britten, il y a surtout la nostalgie de l’enfance, le désir d’un état d’innocence à jamais perdue. Le compositeur aurait été pendant sa scolarité abusé. Souvent, dans chacune de ses oeuvres, se dévoile comme un emblème irrépressible, le thème de la pureté sacrifiée et perdue: c’est l’enfant apprenti qui disparaît dans Peter Grimes; c’est bien sûr Billy Budd humilié qui est condamné à mort malgré la bonté et la justesse de son âme…
L’opéra est créé à Covent Garden sous la protection royale, en décembre 1951, sur un livret rédigé par Eric Crozier et E. M. Forster.
Britten: Billy Budd
« Soirée lyrique »
John Mark Ainsley, Captain Vere
Jacques Imbrailo, Billy Budd
Phillip Ens, Claggart
Iain Paterson, Mr Redburn
Matthew Rose, Mr Flint
Darren Jeffery, Lieutenant Ratcliffe
Alasdair Elliott, Red Whiskers
John Moore, Donald
Jeremy White, Dansker
Ben Johnson, The Novice
Colin Judson, Squeak
Richard Mosley-Evans, Bosun
The Glyndebourne Chorus
London Philharmonic Orchestra
Mark Elder, direction