lundi 12 mai 2025

Benjamin Britten: Billy Budd, 1951 Arte, Lundi 9 février 2009 à 22h30. Découvrir un opéra

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Benjamin Britten
Billy Budd
, 1951

Arte
Lundi 9 février 2009 à 22h30

Documentaire: « découvrir un opéra »


Ethique ou ordre

Superbe documentaire, riche et pertinent dans son immersion dans la psychologie de chaque personnage. C’est un huit clos à trois caractères, exclusivement masculins, en liaison avec les thèmes propres à Britten, lui-même dévoré par son homosexualité coupable, en proie à maintes interrogations sur son identité profonde, sa capacité à trouver la paix et être heureux.
Conflit entre devoir et morale, désir et loi, ordre et éthique, sacrifice d’un innocent, influence invisible d’un système barbare et cruel… Billy Budd concentre tous les messages et les représentations conflictuelles emblématiques du compositeur anglais.
A bord du vaisseau de guerre L’Indomptable, en 1797, en pleine guerre opposant la France à l’Angleterre, plusieurs matelots d’un navire marchand sont enrôlés de force, contre leur gré (Britten est un militant pacifiste) pour renforcer les troupes en vue d’une bataille imminente. Parmi eux, le bel adolescent, Billy Bud (William Budd), dont la beauté physique et morale ne laisse indifférent personne, est conduit par le maître d’armes, John Claggart, être perfide, manipulateur, envieux et jaloux. A la candeur et l’innocence de Billy correspond le démonisme de Claggart qui amoureux du matelot désigné « gabier de misaine », ne peut assumer le désir qui le ronge.
Dans son monologue décisif à la fin de l’Acte I, Claggart met en branle une machine destructrice: la haine plutôt que l’amour. Détruire l’ange divin, cet Adonis irrésistible plutôt que le chérir et le protéger. En se vouant au mal et à la mort, Claggart adjure sa propre fin, mais aussi celle des autres. En accusant Budd de trahison (il aurait fait passer de l’or français à bord pour rallier les troupes anglaises aux idées de la révolution et des droits de l’homme), Claggart, devant le capitaine Vere, entend détruire le pauvre innocent. Celui, saisi par l’infamie et la diffamation, n’a que seul tort: il bégaie. Impossible de sortir un mot. De rage, il frappe Claggart, et le tue devant le capitaine médusé…

Les derniers jours de Billy Budd, « ange divin »

Comme il l’a fait dans Peter Grimes, opéra précédent, dont le rôle-titre est un caractère fascinant par son ambivalence contradictoire -victime et bourreau-, Britten compose Budd pour son compagon le ténor Peter Pears qui incarne le seul personnage tragique de l’ouvrage, le capitaine Vere. En lui se déploie le poison du conflit: comme Claggart, il aime Budd mais contrairement au maître d’armes, se laisse séduire et nourrit cette secrète attirance. Mais en homme policé, éduqué, cultivé (lecteur de Plutarque et des anciens grecs et romains…, Vere est aussi l’homme de la loi, de l’ordre, de l’équilibre des puissances.
Face au meurtre perpétré par Billy contre Claggart, Vere a bien conscience que l’enfant divin, messager de sa propre rédemption, l’a délivré du mal: il s’agit du meurtre d’un démon incarné. Mais en période de guerre, il est nécessaire d’affirmer la discipline.
Sur ordre du Capitaine, Budd est jugé devant son tribunal où Vere paraît comme simple témoin au risque de laisser à d’autres, le verdict final. De fait, le gamin est jugé coupable et guillotiné sur la grande vergue. Or Vere, qui sait la symbolique des épisodes, craint d’avoir perdu son libre-arbitre. Que peut l’homme d’honneur face à la nécessité des hommes? Car devant quel tribunal devra-t-il répondre de ses actes? En tuant la bonté incarnée n’a-t-il pas fait lui aussi le choix des ténèbres et de la lâcheté?

Tous les aspects d’une oeuvre complexe, riche en lectures multiples pourtant focalisées sur l’importance pour tout un chacun de ses propres actes et du choix final, sont très bien exposés. Images d’archives dont Britten à Aldeburg (village de la côte Est anglaise où il se fixe face à la Mer du Nord à partir de 1947… et où il fondera le célèbre festival qui porte son nom), genèse précise de l’opéra, créé à Covent Garden sous la protection royale, en décembre 1951, sur un livret rédigé par Eric Crozier et E. M. Forster, entretiens avec les (excellents) interprètes de la production de l’oeuvre présentée à l’Opéra de Francfort… dont Peter Mattei dans le rôle-titre.

Même l’analyse de la partition ajoute à la clarté du propos: le chef Paul Daniels précise dans l’ouverture, l’une des partitions les plus sombres et désolées écrites par Britten, les motifs de la faille intérieure, véritable blessure implicite qui revient cycliquement dans l’opéra pour chaque scène du Capitaine Vere: violons et altos jouent dans deux clés différentes, séparées d’un demi ton: expression d’un sentiment d’une existence disjointe (si et si bémol). Telle serait la clé de Britten: une oeuvre déchirée, habitée par un conflit originel; d’un côté, l’homme et l’artiste inquiet et tendu, « possédé » par une sexualité interdite (Britten est homosexuel et vit avec son compagnon le ténor Peter Pears, véritable roc dans sa vie); de l’autre, le mondain cultivé désireux de reconnaissance et de compréhension.

Découvrir un opéra: Billy Budd de Benjamin Britten. Arte poursuit le cycle pédagogique en partenariat avec les scènes lyriques européennes, qui dévoile la genèse et l’enjeu esthétique des opéras méconnus du répertoire. D’après Hermann Melville, Benjamin Britten compose un opéra maritime dans l’univers viril de la marine, lequel est créé le 1er décembre 1951 au Royal Opera house de Covent Garden à Londres. Filmé lors des représentations données à l’Opéra de Francfort en novembre 2007, le docu dévoile le travail du metteur en scène Richard Jones qui reprend la version en deux actes de 1964. Le montage mêle images d’archives où paraît Britten lui-même à propos de son oeuvre et les chanteurs invités à présenter les moments clés de la partition tragique. Réalisation: Michael Ciniselli. Illustrations du docu: production de Billy Budd présentée à l’Opéra de Francfort en novembre 2007. Mise en scène: Richard Jones. Paul Daniels, direction musicale. Version de Billy Budd, en deux actes (1964).

Illustrations: Benjamin Britten (DR). Portrait de Jeune Homme par David Bailly (DR). Amiral Horatio Nelson (1758-1805) (DR)

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