vendredi 25 avril 2025

Belfort. Temple Saint-Jean, samedi 18 juillet 2009. Rencontres de Gröningen (1596) et de Lübeck (1705). Praetorius, Hassler, Buxtehude, J.-S. Bach. Jean-Charles Ablitzer, orgue. Robin Renucci, récitant.

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Rencontres au sommet

Replacer au centre du concert, l’expérience et les apports de la rencontre entre musiciens, à Gröningen puis à Lübeck, est une démarche particulièrement pertinente: elle souligne aussi combien du côté du public, il s’agit aussi, toujours, de la rencontre… avec les interprètes. Le programme donné au Temple Saint-Jean de Belfort dévoile ce qui scelle le destin des grands compositeurs: ici, la filiation et la transmission de l’expérience voire de la sagesse, entre organistes à la fin du XVI (Gröningen, 1596); là, (en seconde partie), entre le jeune Bach et son aîné, l’illustre Dietrich Buxtehude, à Lübeck en 1705.
Le choix du Temple Saint-Jean à Belfort n’est pas anodin: l’orgue nordique (Marc Garnier 1984) est idéal pour les oeuvres et les compositeurs de ce voyage dans l’Allemagne de la Renaissance tardive et du plein Baroque.

En maître des constructions complexes et méditatives, connaisseur comme nul autre des styles du jeu d’orgue Renaissance et Baroque, Jean-Charles Ablitzer (qui a favorisé la construction de l’orgue nordique de Saint-Jean et est aussi organiste titulaire des orgues de la Cathédrale Saint-Christophe de Belfort), nous offre une grande leçon de musique, comparable à ce que put être celle évoquée, vécue par le jeune Bach à l’écoute émerveillée de « son » maître lubeckois, Buxtehude.
Des oeuvres anciennes signées Hassler (né à Nuremberg en 1564) – qui fut le premier compositeur germanique à suivre en Italie une formation musicale, en l’occurrence auprès du vénitien Andrea Gabrielli-, l’organiste au Temple Saint-Jean ressuscite l’ampleur de l’inspiration, sa juste utilisation de la pédale (moins sollicitée que les compositeurs de l’Allemagne du sud). Le geste de Jean-Charles Ablitzer trouve un souffle supérieur encore dans la Fantasia pro organico de Michael Praetorius (1572-1621), génie musical encyclopédique qui synthétise à lui seul toutes les avancées et les recherches pour le clavier à son époque. Jean-Charles Ablitzer semble d’autant plus inspiré par Michael Praetorius qu’il vient d’enregistrer pour le nouveau label du festival, un disque remarquable dédié à Praetorius (Musique et Mémoire productions: « « Auch auff Orgeln, un art de la transcription, entre Renaissance et baroque » : Michel Praetorius
(1571/1572-1621), motets, danses de Terpsichore. Transcriptions pour
l’orgue. Jean-Charles Ablitzer, orgue historique Esaias Compenius
(1610) du château de Frederiksborg au Danemark »)
. La force spirituelle qui émane de l’oeuvre, sa certitude irrésistible soutenue par une construction subtile, ressuscitent immédiatement dans l’enceinte du Temple de Belfort, la figure du compositeur venu, parmi 53 organistes, éprouver les performances de l’orgue du Duc de Braunschweig et Lüneburg, en 1596 à Gröningen (Saxe-Anhalt). A 22 ans, Praetorius démontrait alors malgré sa jeunesse, un tempérament hors du commun qui montre combien sa réputation musicale n’est pas usurpée.

A Belfort, si l’organiste demeure invisible – ce qui conduit immanquablement les auditeurs à se concentrer sur la puissance de la musique interprétée, comme une force de suggestion-, face aux spectateurs, le comédien et réalisateur Robin Renucci, prête sa voix au texte d’évocation. Voici assurément deux rencontres parmi les plus passionnantes de l’histoire de l’orgue.

Après Gröningen en 1596, place à la complicité immédiate qui s’est jouée à Lübeck en 1705: le jeune Bach âgé d’une vingtaine d’année (parallèle avec Praetorius évidemment), y découvre après avoir marché à pied pendant 400 km (!), le style et le jeu du plus grand organiste à son époque: Dietrich Buxtehude (1637-1707). Ce dernier qui a alors 68 ans, reconnaît chez son cadet, l’étoffe d’un immense musicien: pour Bach, la rencontre s’avère décisive: il ne jouera plus jamais comme avant. Le choc et l’apprentissage durent 3 mois pendant lesquels les deux musiciens s’enrichissent dans la musique. Rencontre artistique, rencontre humaine surtout, dont le récitant relève les enjeux et les facettes en filigrane… Pour Bach, les flots continus venus de la majesté divine et qui se déversent en vagues prodigieuses, comme la fine ornementation des préludes de Buxtehude s’impriment en lettres d’or sur le fronton de sa jeune imagination. Jean-Charles Ablitzer s’ingénie avec brio et intériorité dans l’expression d’une musique où le sacré est le sujet d’une expérience collective; entre le terre et le ciel, l’organiste perché à bonne hauteur, semble investi par la présence divine: dans son jeu à la fois puissant et aérien, il en déverse le précieux enseignement. De Buxtehude à Bach, l’exigence et la hauteur de vue sont de la même eau. Le formidable programme proposé à Belfort nous en apporte la preuve: rhétorique, discours, complexité des architectures certes… les chorals sont un langage musical, une prédication qui nous parle de Dieu. Mais sous les doigts de l’organiste, nous sommes, comme le jeune Bach en 1705, confrontés à une leçon de musique à la fois savante et troublante, introspective et majestueuse, investie et humaine. C’est un art subtil, manifestation concrète et audible, ce soir, du stupéfiant stilus fantasticus grâce auquel le jeu volubile et fervent de Jean-Charles Ablitzer, nous mène directement vers l’illumination.

2 autres concerts de Jean-Charles Ablitzer au Festival Musique et Mémoire 2009. A noter que Jean-Charles Ablitzer, artiste associé du festival Musique et Mémoire depuis 2005, donne le 26 juillet 2009 à 21h, un autre récital programmé au sein de l’édition 2009 du festival Musique et Mémoire dans la Basilique de Luxeuil-les-Bains. Programme: Messe Propre pour les Couvents de Religieux et de Religieuses à Paris à la fin du XVIIè (orgue historique, chant, et plain chant). Avec La Compagnie Musicale. Josep Cabré, direction. Puis, le 28 juillet suivant à 21h en l’église Sainte-Odile de Belfort, un programme autour de la Missa della Madonna de Girolamo Frescobladi (1583)1643), messe mariale en Italie au XVIIè. 2 concerts proposés comme Les Rencontres de Gröningen et de Lübeck, dans le cadre du cycle « l’orgue en scène« .

Belfort. Temple Saint-Jean, samedi 18 juillet 2009. Rencontres de Gröningen et de Lübeck. Praetorius, Hassler, Buxtehude, J.-S. Bach. Jean-Charles Ablitzer, orgue. Robin Renucci, récitant.

Illustrations: Jean-Charles Ablitzer, le temple Saint-Jean de Belfort,
l’orgue Marc Garnier 1984 au Temple Saint-Jean à Belfort (DR)

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