Missa Solemnis, 1824
Beethoven dont on connaît le désir d’édifier une arche musicale pour
le genre humain, saisissant par son ivresse fraternelle, porté par un
idéal humaniste qui s’impose toujours aujourd’hui avec évidence et
justesse, tenait sa Missa Solemnis comme son oeuvre majeure. Mais pour
atteindre à la forme parfaite et vraie, le chemin est long et la genèse
de la Solemnis s’étend sur près de 5 années…
Pour l’ami Rodolphe
Vienne, été 1818. Le protecteur
de Beethoven, l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, frère
de l’empereur François Ier, est nommé cardinal. Son intronisation a
lieu le 24 avril 1819. Beethoven, qui règne incontestablement sur la vie
musicale viennoise depuis 1817, inspiré par l’événement, compose Kyrie,
Gloria et Credo pendant l’été 1819. La période est l’une des plus
intenses: elle accouche aussi de la sublime sonate n°29, « Hammerklavier »
(terminée fin 1818). Les cérémonies officielles en l’honneur de
Rodolphe sont passées (depuis mars 1820)… et Beethoven poursuit
l’écriture de la Messe promise. Jusqu’à juillet 1821, il écrit les
parties complémentaires. En 1822, la partition autographe est finie:
elle est contemporaine de sa Symphonie n°9 et de ses deux ultimes
Sonates.
Avec le recul, la genèse de l’ouvrage s’étend sur plus de cinq années:
gestation reportée et difficile car en plus des partitions simultanées,
Beethoven, entre ivresse exaltée et sentiment de dénuement, a du cesser
de nourrir tout espoir pour « l’immortelle bien-aîmée » (probablement
Antonia Brentano), fut contraint de négocier avec sa belle soeur, la
garde de son neveu Karl…
Ce vieux loup solitaire et génial
Beethoven, marqué par la vie,
défait intimement, capable de sautes d’humeurs imprévisibles, marque les
rues viennoises par son air de lion sauvage, caractériel, emporté
mais… génial. Dans les cabarets, il invective les clients, proclamant
des injures contre les aristocrates et même les membres de la famille
impériale… Mais cet écorché vif a des circonstances atténuantes: il
est sourd, donc coupé de son milieu ordinaire, et ne communique, sauf
ses percées orales souvent injurieuses, que par ses « carnets de
conversation ». Ce repli exacerbe une inspiration rageuse, inédite, que
ses proches dont Schindler (son secrétaire), l’éditeur Diabelli (pour
lequel il reprend en 1822, les Variations « Diabelli » qu’il avait
laissées inachevées en 1820), ou Czerny (son élève) admirent totalement.
De surcroît, si les princes d’hier sont partis ou décédés tels Kinsky,
Lichnowsky, Lobkowitz, surtout Rassoumowsky (qui a rejoint la Russie
après l’incendie dévastateur de son palais et de ses collections en
1814), le compositeur bénéficie toujours d’un soutien puissant en la
personne de l’Archiduc Rodolphe, fait donc cardinal, et aussi archevêque
d’Olmütz en Moravie.
Vaincre la fatalité
A l’origine liturgique, la Missa
Solemnis prend une ampleur qui dépasse le simple cadre d’un service
ordinaire. Messe pour le genre humain, d’une bouleversante piété
collective et individuelle, l’oeuvre porte sang, sueur et ferveur d’un
compositeur qui s’est engagé totalement dans sa conception. Fidèle au
credo de Beethoven, l’oeuvre Michel-Angélesque (choeur, orgue, orchestre
important), exprime le chant passionné d’un homme désirant ardemment
vaincre la fatalité.
Exigeant quant à l’articulation du texte et l’explicitation des vers
sacrés, Beethoven choisit avec minutie chaque forme et développement
musical. A la vérité et à l’exactitude des options poétiques, le
compositeur souhaite toucher au coeur : « venu du coeur, qu’il aille
au coeur« , écrit-il en exergue du Kyrie. Théâtralié révolutionnaire
du Credo, véritable acte de foi musical, mais aussi cri déchirant et
tragique du Crucifixus, méditation du Sanctus, intensité fervente du
Benedictus (introduit par un solo de violon) puis de l’Agnus Dei,
l’architecture touche par ses forces colossales, la vérité désarmante de
son propos: l’inquiétude de l’homme face à son destin, son espérance en
un Dieu miséricordieux et compatissant.
Sûr de la qualité de sa nouvelle partition qui extrapole et transcende
le genre de la Messe musicale, Beethoven voit grand pour la création de
sa Solemnis. Il propose l’oeuvre aux Cours européennes: Roi de Naples,
Louis XVIII par l’entremise de Cherubini, même au Duc de Weimar, grâce à
une lettre destinée à Goethe (qui ne daigne pas lui répondre!)…
En définitive, la Missa Solemnis est créée à Saint-Pétersbourg le 7
avril 1824 grâce à l’initiative du Prince Galitzine, soucieux de faire
créer les dernières oeuvres du loup viennois, avec l’appui de quelques
autres aristocrates influents. Beethoven assure ensuite une reprise à
Vienne, le 7 mai, de quelques épisodes de la Messe (Kyrie, Agnus
Dei…), couplés avec la première de sa Symphonie n°9. Le triomphe est
sans précédent: Vienne acclame alors son plus grand compositeur vivant,
lequel totalement sourd, n’avait pas mesuré immédiatement le délire et
l’enthousiasme des auditeurs, réunis dans la salle du Théâtre de la
Porte de Carinthie.
France Musique
Jeudi 27 mai 2010 à 16h
Concert enregistré le 6 mars 2009 à Stockholm.
Beethoven: Missa Solemnis
Malin Byström, soprano
Anna Larsson, mezzo soprano
Werner Gura, ténor
George Zeppenfield, basse
Choeur et Orchestre symphonique de la Radio Suédoise
Herbert Blomstedt, direction
Illustrations: portraits de Beethoven. Beethoven composant la Missa
Solemnis dont il tient la partition. Beethoven marchant dans les rue de
Vienne (DR)