vendredi 25 avril 2025

Baroque à la Trinité. Herreweghe, HeyerickLyon, Chapelle de la Trinité. Les 26 et 29 janvier 2011

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Baroque à la Trinité

Herreweghe, Heyerick

Les 26 et 29 janvier 2011

Lyon, Chapelle de la Trinité

Collegium de Gent, dir. Philippe Herreweghe. Motets et Cantates de J.S.Bach. Lyon, Chapelle de la Trinité, mercredi 26 janvier 2010. Orchestre et Maîtrise du Conservatoire de Lyon (CRR), dir. Simon Heyerick. Haendel, Graun, Féry-Rebel. Chapelle de la Trinité, Samedi 29 janvier 2011.

La Chapelle de la Trinité lyonnaise reçoit à trois jours d’intervalle deux ensembles qui célèbrent la grandeur baroque. Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale montrent cinq visages de J.S.Bach, par deux motets et trois cantates. Simon Heyerick, guidant les jeunes interprètes du Conservatoire de Lyon et deux instrumentistes à cordes solistes (N.Geoffray-Canavesio, Anne-Sophie Moret), voyage en Europe, de Haendel italien puis anglais en J.G.Graun, et organise le « Chaos »des Eléments conté par J.B.Féry-Rebel au cœur du XVIIIe.


Le parcours d’un Baroqueux illustre

2nde ou 3e génération des Baroqueux ? Désormais – début de la 2nde décennie du 3e millénaire – on commence à se perdre un peu en chronologie pour cette « révolution » qui changea, voilà plus d’un demi-siècle, notre écoute de la musique européenne entre Renaissance et Classicisme ou Romantisme. En tout cas, le Belge Philippe Herreweghe est l’une des figures du Mouvement, qui lui a donné, sinon les premières impulsions et règles, du moins des conduites de jeu sous le signe de la rigueur, du ressourcement aux textes, d’un recours aux instruments originaux, comme d’une ouverture sur l’humain que symbolisait sa formation en médecine et psychiatrie. Très tôt compagnon de Nikolaus Harnoncourt et de Gustav Leonhardt qui l’associèrent à leurs réalisations (cantates de J.S.Bach), il fonda ses ensembles aujourd’hui célèbres : Collegium Vocale (Gand) et Chapelle Royale(Paris), Orchestre des Champs Elysées (Paris). En particulier avec cet ensemble fondé il ya 20 ans, Philippe Herreweghe a ouvert les frontières de son domaine « baroque », « descendant la chronologie » en gardant les mêmes principes d’authenticité jusque vers les romantiques (Schumann) et leur suite (Bruckner,Mahler), les modernes (Schoenberg) et les contemporains…

Un passage du Spirituel dans l’art

La Chapelle de la Trinité lui ouvre son cadre classico-baroque (à la française, qui n’est pas exubérance méridionale) et sa saison 2011 pour un programme très certifié Origine, avec son Collegium Vocale qui interprète des cantates et des motets du Père de la Musique, Johann Sebastian Bach. Au centre si rayonnant d’intériorité, deux des Motets qui, selon P.Herreweghe même, « comptent parmi ses œuvres les plus abouties et constituent un sommet absolu de la polyphonie occidentale… et on peut se demander pourquoi ces pages restent si peu connues. » Les BWV 228 et 229 ont été composés en 1722 pour des services funèbres, et bien qu’il ne s’agisse que de personnes publiques, indifférentes au musicien, celui-ci ne peut être insensible à ce que contient chaque texte de références à ce « passage » spirituel et à ce qu’a vécu le Christ avant sa résurrection…Le BWV 228 « donne la parole » à la divinité : « Ne crains rien, car je suis avec toi », en « une gigantesque construction homophone pour se poursuivre à quatre voix sur un motif chromatique fugué 33 fois (l’âge du Christ à sa mort ». Le BWV 229 « est un motet selon l’ « acception ancienne du terme : chaque segment musical se modèle sur une phrase, et les parties s’articulent entre elles sans que leur incroyable diversité ne nuise en rien à leur unité fondamentale ». La sensation d’appel du fond de la détresse figure en un leitmotiv indéfiniment répété : « Komm ! viens » ; la « description » des chemins arides et douloureux rattache cette supplication à la vie même des humains et nous rapproche du chœur implorant.

Larmes, soupirs et tendresse de J.S.Bach

La Cantate 47 date de 1720, sur un livret poétique de Helbig, et traite du « réconfort par la dévotion ». Elle varie les thèmes de « quiconque s’élève sera abaissé « et dénonce « l’orgueil qui corrompt la nature misérable ». La présence de Jésus au cœur du fidèle qui se confie à lui est traduite en air de basse, confiant, tendre et délicatement orné par hautbois et violon. La BWV 146 écrite aussi à Leipzig en 1726 avertit (une nouvelle fois !) qu’il « faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu ». Quand on songe au rythme effréné qui était celui du Cantor pour honorer son cahier des charges d’écriture pour le Culte, on n’est pas étonné des réemplois en va-et-vient par lesquels Bach puise parfois dans ses tiroirs : l’auditeur entendra ainsi en ouverture instrumentale puis en 1er chœur un arrangement resurgi, via une partition perdue, du Concerto pour clavier BWV 1052…Ce mouvement lent imprègnera le climat de la cantate, et s’inscrira ensuite – « par mouvement de balancier » et dialectique typiquement alla Bach – de la tristesse (Traurigkeit) à la joie(Freude), surtout par le rythme de danse retrouvé dans l’ultime aria en duo ténor-basse. La BWV 13, également de 1727, est plus directement tournée vers une « illustration » du récit de la vie christique, les Noces de Cana, même si le pieux (et peu inspiré) librettiste ne développe que peu d’idées… Bach y joue instrumentalement sur les larmes (Tränen ) et les soupirs (Seufzer), entrelaçant ces ornements d’esprit « figuraliste » à la voix des solistes, symbolisant mots et images visuelles ou sonores comme le génie rhétorique-baroque en donna de si multiples exemples. Parfois Bach se permet une géniale contradiction entre un texte doloriste de repentance et la sublime lumière comme dansée (l’instrumental) sur laquelle prend appui l’alto qui détache les termes de son message devenu, par la grâce de l’écriture, détachement de l’espérance…

Le cheminement des jeunes interprètes

A ce portrait de Bach en 5 regards modelés par la longue et subtile connaissance de Philippe Herreweghe succède, trois jours plus tard en « Trinité » un « Voyage au cœur de l’Europe Baroque ». Le « conducteur » belge de ce concert-voyage , Simon Heyerick, est né dans la même ville que son aîné Herreweghe, Gand (Gent). Il a d’ailleurs travaillé au Collegium Vocale, et surtout en tant que violoniste, auprès de Sigiswald Kuijken, puis à Genève chez Chiara Banchini. Ses études universitaires l’avaient aussi conduit en archéologie et en histoire de l’art, et il enseigne à son tour en France instrument et direction (Conservatoire Charles Munch de Paris-XI, ENM de Villeurbanne ; classes de maître). C’est avec les « jeunes forces » régionales, – orchestre et chœur du Conservatoire – déjà dirigées en 2009 à la Trinité dans le cadre d’une résidence lyonnaise au CRR, qu’il reprend baguette et archet. Il y sera aidé et accompagné par deux solistes qui ont leur port d’attache entre Rhône et Saône. La violoniste Nathalie Geoffray-Canavesio, après des études chez Jacques Ghestem, a été violon solo à l’Opéra de Lyon (John Eliot Gardiner), et a fondé et mené le Quatuor Ravel (années 85), puis le Trio Dumky. Elle joue aussi dans le cadre du Salon de Musique, avec Michel Corboz (violon solo de l’Ensemble de Lausanne) ou à l’Orchestre des Pays de Savoie, et enseigne au CRR de Lyon. La violiste Anne-Sophie Moret a poursuivi sa formation en Suisse (Philippe Mermoud) et au CNSMD Lyon (Marianne Müller), puis en Belgique auprès de Wieland Kuijken. Elle a co-fondé l’Ensemble Boréades, le Trio Artemisia et le Duo Accords et Ames. Elle collabore régulièrement aux Festivals d’Ambronay , Dardilly, Grignan et Toulon, et joue dans plusieurs ensembles baroques suisses et rhône-alpins. La chef de chœur Marie-Laure Teissèdre se joindra à tous en dirigeant dans Haendel la Maîtrise du CRR : elle est diplômée de Genève et Lausanne, assistante de Michel Corboz, et a travaillé au Centre de Musique Baroque de Versailles et à l’Opéra de Lyon. Elle a participé à la création du Centre de la Voix Rhône-Alpes, et vient de créer une structure de production et diffusion pour jeunes chanteurs, Emelthée.

Je voudrais m’agenouiller sur sa tombe, dit Beethoven

Chez Haendel, ce voyage ira d’abord puiser à la jeunesse italienne du compositeur qui montre son bouillonnant génie dans le Dixit Dominus de 1707 : le « De torrente » « affirme son lyrisme calme, moment d’intense poésie où l’âme prend conscience de la beauté du monde » (J.Gallois). Puis à l’extrême de la vie du compositeur germano-italo-anglais – un vrai Voyageur Européen ! -, O Lovely Peace, extrait de Judas Macchabée (1746), « une délicate pastorale qui trahit le goût prononcé du compositeur pour la nature et la vie campagnarde ». Haendel, de nos jours (un peu trop ?) éclipsé par le génie de son quasi-contemporain J.S.Bach – et à la fin de sa vie , devenu aveugle comme lui par les opérations d’un ophtalmo-chirurgien plus hardi qu’efficace – : on se rappellera aussi qu’il « était notre grand maître à tous » (Haydn), « l’incommensurable » (Mendelssohn), « grand comme le monde » (Liszt) et que Beethoven disait : » Le plus grand compositeur qui ait jamais existé. Je voudrais m’agenouiller sur sa tombe. »

Le Chaos d’avant le Big Bang

Il y aura aussi un compositeur allemand nettement moins connu, du moins de ce côté du Rhin. Quel frère Graun, demanderez-vous ? Johann Gottlieb (comme Amadeus) Graun (1703-1771) , le virtuose du violon qui travailla avec Tartini, et s’en vint après avoir été professeur de Wihlelm Friedmann Bach, occuper des fonctions – plus de 30 ans ! – auprès du Kronprinz berlinois devenu Frédéric II roi de Prusse…Pour mémoire et pour (sur)instruire nos chers lecteurs, rappelons que son frère Carl Heinrich, également chanteur et compositeur à la Cour de Berlin, fut, entre autres, un prolifique auteur d’opéras (32). Vous savez également tout sur le 3e compositeur au programme de la Trinité, Jean-Baptiste-Féry Rebel (1666-1747), non, moins grand violoniste que son confrère allemand et qui joua un grand rôle dans l’Ecole Française du Violon au XVIIIe (celle où s’illustra le Lyonnais Leclair). L’œuvre la plus connue de ce compositeur demeure Les Eléments, une « symphonie de danses » – et non plus un opéra-ballet- qui fait reposer sur l’instrumental un argument dramatique, et va ainsi dans le sens des recherches et théories de Rameau. Le prologue mérite la célébrité – qu’il a gardée jusqu’à nos jours- puisqu’il met en sons « le chaos », scenario d’avant le big-bang d’organisation de l’harmonie sonore. Certes on se souvient surtout de la même « scène racontée » à l’origine de la Création par Haydn, mais l’impression – intrigante voire scandaleuse esthétiquement pour l’époque- demeure à l’écoute de cette Genèse qui ensuite parle des Eléments (l’eau, le feu) et même Caprice ou air Pour l’Amour, dans la meilleure des traditions galantes…

Collegium Vocale Gent, dir. Philippe Herreweghe. J.S.Bach (1685-1750), Motets BWV 228 et 229. Cantates BWV 47, 13 et 146. Chapelle de la Trinité, Lyon. Mercredi 26 janvier 2010, 20h30.Orchestre et Maîtrise du CRR de Lyon, dir. Simon Heyerick. G.F.Haendel (1685-1759), Extraits Dixit Dominus et Judas. J.G.Graun (1703-1771), Concerto violon ; J.B.Féry-Rebel ( 1666-1747), Les Eléments. Chapelle de la Trinité. Lyon, samedi 29 janvier 2011, 20h30
Information et réservation : T.04 78 38 09 09 ; www.lesgrandsconcerts.com.

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