vendredi 29 mars 2024

2 concerts Schubert à LyonAuditorium, le 28; Eglise de la Rédemption, le 30 janvier 2011

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2 concerts Schubert à Lyon

Auditorium,
le 28 janvier 2011



Eglise de la Rédemption,
le 30 janvier 2011


Trio Zimmermann, trios de Mozart, Schubert et Schoenberg. Lyon Grands Interprètes – Auditorium, 28 janvier 2011. J.B.Dumora, M.Grégoire. Schubert, Winterreise. Lyon 6e, Eglise Rédemption. 30 janvier 2011.


La formation « trio à cordes » n’est pas aussi richement dotée dans l’histoire musicale que son extension glorieuse, le quatuor. Mais les grandes partitions y sont riches d’enseignement et d’émotion : parmi elles, le Trio Zimmermann (avec Antoine Tamestit et Christian Poltéra) a choisi les œuvres capitales de Mozart et Schoenberg, y ajoutant un Schubert de jeunesse…Ce qui renvoie, en temps hivernal, à un Winterreise, interprété par un duo de Lyonnais J.B.Dumora et M.Grégoire : à (re)découvrir…

Un voyage aux rives du Styx

Même à propos d’un compositeur comme Arnold Schoenberg qui devait penser que « le moi est haïssable », et seulement dépositaire d’un « misérable petit tas de secrets », parfois la biographie « buvarde » l’œuvre. Ainsi du Trio écrit en 1946 – cinq ans avant la mort du compositeur -, l’une de ses œuvres majeures, mais dont la genèse s’inscrit dans un voisinage avec la présence de la mort, et peut-être porte les traces de ce voyage qui faillit alors être sans retour. Le grand voyage de celui auquel on ne songe pas ordinairement comme descendant de « wanderer » (post) romantique fut pourtant celui de l’exil (sans retour sur la terre natale, même quand en auront été chassés les criminels racistes) auquel le contraignit le nazisme dès 1933. Les 18 dernières années de sa vie, l’inventeur de la méthode sérielle, les passa aux Etats Unis, pour l’essentiel en Californie. En été 1946, Schoenberg – dont la santé avait toujours été fort problématique (asthme, pneumonies), connaît une très grave maladie cardiaque, et on doit lui faire une injonction au cœur même pour arriver à le sauver de cette excursion aux rives du Styx : « j’ai ressuscité d’une vraie mort », dit-il (selon le récit recueilli par son biographe H.H.Stuckenschmidt), et c’est sur son lit d’hôpital ( avec complication pneumonique….) qu’il entreprend l’écriture du Trio, terminé pendant sa convalescence. « Vous savez, raconte à Hanns Eisler, j’étais si faible que je ne sais pas du tout comment j’ai écrit cela…Certains accords représentent des injections ! »

A 125 ans, aurai-je du succès ?

On n’ose pas dire que ce Trio est une des partitions les plus connues d’un compositeur qui, mis à part son époque post-romantique (La Nuit Transfigurée) et le coup d’éclat théâtral de son temps atonal (Pierrot Lunaire), ne connut pas l’adhésion affective qui entoura son disciple Alban Berg, surtout après sa mort prématurée (1935), et au moins pour quelques œuvres touchant un presque large public (Wozzeck, Concerto « à la mémoire d’un ange »). Lucide à la façon stendhalienne (« je serai compris en 1930 »), le compositeur disait en souriant deux ans avant sa mort : « J’attends d’avoir 125 ans, et de vivre alors le commencement de mon succès ! ». Mais ce temps est-il même jamais venu ? On respecte l’aventure intellectuelle de l’aîné des Trois Viennois, on la met à sa place dans l’histoire musicale, mais…Aussi chaque occasion de mieux (re)découvrir dans leur intériorité, parfois hautaine, ses grandes partitions, doit être vécue avec intensité. Le Trio op.45 serait-il une œuvre particulièrement difficile d’accès ? Certes Schoenberg, dans la phase ultime de sa création, y garde les principes d’un langage sériel évolutif et ses imbrications lisibles dans la complexité sous-jacente, en ayant d’ailleurs recours à des éléments d’une tonalité (on entend même des accords parfaits…) qui « introduisent mais ne concluent pas ». Et le plan général, d’un seul tenant qui en lie les cinq parties (une forme « en arche » ABCBA, plus connue chez Bartok) possède sa dramaturgie où les Episodes (surtout le 1er, lyrique « à la Tristan ») introduisent une « paraphrase » émotive. « L’intensité de l’ensemble, dit Alain Poirier, renvoie aux œuvres les plus fortes de la période expressionniste. Et malgré un schéma en apparence équilibré, le discours est entièrement dépendant de la discontinuité, chaque tentative de régularité étant systématiquement interrompue par de brusques changements de tempo et de gestes instrumentaux. »

Le Comte Zinzendorff s’ennuie

Mozart, c’est toujours beau tendance sublime ( non, il y a parfois de l’utilitaire, de la commande, de l’écrit-sans-y-prêter-grande attention, NDLR). Et surtout jamais expérimental, incompréhensible-pour-le-plaisir, « perché » (dit-on aujourd’hui), « trop calé pour l’auditeur moyen » (formule de naguère) ? Eh bien non, non plus. Car comme le reprochait un aristocrate viennois de l’époque et qui tenait son blog ouvert en miroir pour tous les imbéciles de sa caste, « Ce Mozart, c’est une musique singulière : des mains sans tête ». Le comte Zinzendorff s’était « ennuyé » deux mois auparavant aux Noces de Figaro ! Et ainsi que nous le rappelle le florilège recueilli par Jean et Brigitte Massin dans leur toujours indispensable « Mozart » (Fayard), une partie de la critique (et des confrères !) soulignait le penchant de Wolfgang « pour le rare et l’inhabituel », l‘excursion « aux rocs escarpés, vers les forêts aux broussailles épineuses, rarement parsemées de fleurs ». Bref, pour bien des contemporains, une « prise de tête » sans rapport avec « l’harmonie et le plaisir, buts de l’art des sons ». On y songe devant une partition très inhabituelle comme le Divertimento K.563, faux divertissement (au sens mondain, selon Pascal : « le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort ») et vraie parade contre la détresse (sociale, intérieure) qui en 1788 a saisi le compositeur. Arrivé libre en 1782, « homme de l’année » à Vienne jusqu’à la création de Noces trop complexes (1786), et ensuite oscillant entre la réputation de grand musicien et celle du chercheur de sons trop nouveaux. Au demeurant flambeur, menant grand train de fortune, amené par là-même à un surendettement qui va le contraindre à des requêtes humiliantes : heureusement il y a des prêteurs généreux, comme le négociant franc-maçon Puchberg (ils sont dans la même Loge), constamment sollicité, et qui donne au jour le jour, plutôt avec bouées de sauvetage que pour un plan de reconstruction financière, d’ailleurs utopique. Puchberg y gagnera une somme considérable de non-remboursement définitif, mais pour la postérité une gloire de sous-titre du K.563.

Polyphonie incandescente

Ici, et par instants (menuets et trios), Mozart semble se rappeler qu’il faut danser, comme « autrefois », et pour remplir la fonction du maître…en divertissement(s). Mais dans les mouvements « centraux » (allegro, adagio, andante) ne vit que l’essentiel, pour une pensée musicale d’une constante hardiesse. Parfois on s’y tourne vers « l’archaïsme » (la leçon de Haendel et J.S.Bach, celle qui conduit aussi une partie des 3 ultimes Symphonies, K.543,550 et 551, écrites au cours des mêmes mois dramatiques où les parents ont dû aussi mettre en terre leur 3e enfant, un bébé de 6 mois) et en tout cas l’écriture sévère. Celle-ci triomphe ainsi dans la dernière variation de l’andante, « polyphonie incandescente – écrit superbement J.V.Hocquard -, en absence totale de sentimentalité, jointe pourtant à une nostalgie profonde et à la joie intérieure, rejoignant l’art des Flamands du XVe ». Ou bien, tout au long de l’adagio – après un allegro en quête d’énergie et de construction rigoureuse sous la confidence -, le « cœur mis à nu », au-delà même du pathétique… En attendant la complexité troublante de l’andante (où certains spécialistes ( ?) s’obstinent à entendre surtout un air populaire plusieurs fois varié « en style galant » !), et le rebondissement final dans un allegro pas si simplement joyeux qu’il n’y paraîtrait…Ainsi va cette œuvre, en principe musique d’ameublement pour conversations de salon, et tour à tour grave, angoissée, détendue, au fond profondément solitaire. Merveilleusement laboratoire, en somme, et si moderne ou hors temps…

Le Trio Zimmermann

Quant au trio de Schubert, D.471, il n’en subsiste qu’un allegro : le compositeur de 19 ans allait se (re) tourner vers la dominance du quatuor, du quintette, ou du trio avec piano. Mais ce n’est pas oeuvrette ou simple transition. Ce mouvement isolé, explique Denis Morrier, oscille entre enjouement de surface et dramatisme constructeur « à partir de sombres tonalités mineures et d’inquiétantes évolutions chromatiques ». Echo de Mozart et de Haydn, il est « logiquement » introduit dans un programme des Trois Viennois (les deux « anciens », l’aîné de la Trinité XXe). Le Trio Zimmermann – qui a pris le nom de son violoniste – est l’un des petits ensembles chambristes à cordes qui comptent en Europe, pour une formation que l’histoire musicale n’a certes pas aussi richement dotée que dans le domaine du quatuor. Frank Peter Zimmermann fut concertiste dès 10 ans, avait travaillé avec Valery Gradov et Saschko Gawriloff, et devenu l’un des concertistes allemands les plus célèbres (il joue avec Haitink, Chailly, Eschenbach, Barenboïm, Jansons, Järvi, Eötvös…), s’intéresse également aux partitions contemporaines (entre autres Matthias Pintscher). Il a interprété avec l’ONL le concerto de Sibelius, et tout récemment, Szymanowski. Le violoncelliste Christian Poltéra – élève de Boris Pergamenschikow et Heinrich Schiff – travaille en concertiste avec Fedosseiev, Chailly, Slatkin, Zinman, Fischer ou Holliger, en musique de chambre, avec L.Vogt,I.Faust, G.Kremer, C.Tetzlaff, L.O.Andsnes et interprète les auteurs contemporains (Dutilleux). Quant à l’altiste Antoine Tamestit, élève de J.Levine et T.Zimmermann, lui aussi est à la fois concertiste et chambriste internationalement reconnu, enseignant à la Hochschule de Cologne, et s’intéresse particulièrement aux musiques actuelles (Ligeti, Schnittke, Benjamin, O.Neuwirth).

Un jeune Voyage d’Hiver

Et encore, en cet hiver qui commença si glacial, comment oublier musicalement qu’il y aura bientôt deux siècles Franz Schubert, en 1827 -11 ans seulement après son Trio D.471 -, s’enfonça dans des contrées « d’où nul ne revient ». Et pourtant il rapporta de « là-bas », où est « tout proche, et difficile à saisir, le dieu » – disait son frère en poésie le Voyant Hölderlin – 24 lieder, une partition qui effraya même ses amis. Le Voyage d’Hiver (Winterreise, sur des poèmes de Müller), nous est devenu presque familier, et pourtant il demeure infiniment mystérieux alors même que nous croyons en avoir déchiffré les secrets douloureux. « Aux lieux du péril croît aussi ce qui sauve : le Temps est long, mais voici paraître le vrai », confie Hölderlin son contemporain plus tard emmuré dans la déraison (pour avoir trop contemplé l’Interdit ?). Alors il est bon que résonne une fois encore au cœur de l’hiver un Winterreise, porté par deux jeunes interprètes lyonnais. Le chanteur Jean-Baptiste Dumora, formé au CRR et au CNSM, a intégré l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Lyon : là et à l’Opéra-Bastille ou Verbier, il a chanté Mozart, Haydn, Rameau, Britten, Milhaud, Tchaïkovski, Vacchi et Dufourt. Il s’est tourné vers le baroque avec Les Talents Lyriques, Les Paladins, le Bach Collegium Japan. Lied et mélodie – Mahler, Fauré, Dutilleux, Messager – sont aussi son domaine d’élection. Mathieu Grégoire, ancien élève du CRR de Lyon et étudiant de Lyon-2, est concertiste en France, et au Japon (il a notamment travaillé autour de la musique de Takemitsu). Il participe à la création d’œuvres (aux côtés d’interprètes de l’Intercontemporain, pour Gilles Schuehmacher), compose, et enseigne le piano à la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. En « rencontre, partage et amitié », voici donc deux nouveaux « wanderer » qui vivent et feront vivre « le Winterreise comme une forme d’expérience initiatique »…

Trio Zimmermann (Tamestit-Poltéra) : W.A.Mozart (1756-1791), Trio K.563. F.Schubert (1797-1828), Trio D.471. A.Schoenberg (1874-1951), Trio op.45. Auditorium Grands Interprètes. Vendredi 28 janvier 2011. 20h30. Information et réservation : T. 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

Jean-Baptiste Dumora, Mathieu Grégoire. F.Schubert, Winterreise. Dimanche 30 janvier 2011. 16h30.Eglise de la Rédemption, place Puvis de Chavannes 69006 Lyon. Réservation : T.06 24 02 31 46

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