Revivre une magie passée: tel est l’objet de la reprise d’Atys version Christie – Villégier, initialement créé en 1986 à Paris. Le spectacle par lequel l’opéra baroque a suscité un immense engouement public, profitant surtout à la renaissance (toujours si fragile) des opéras de Lully, est bien l’événement baroque de ce printemps 2011. Nous revenons sur les conditions de cette reprise. Force est de constater l’indiscutable réussite de la conception originale de Villégier: pas une restitution théâtrale et linguistique au sens où l’entend aujourd’hui un Benjamin Lazar, issu de l’école de l’illusoire authenticité (avec les limites inhérentes à son geste muselé)… mais une vision moderne et libre qui réattribue à la partition de Lully, sa violence et son attractivité des origines…
dossier spécial
Atys 2011
Moyens garantis à l’appui, le milliardaire américain Ronald P. Stanton, souhaitait revivre le rêve d’Atys 1986 dont il restait un spectateur émerveillé et nostalgique. Grandeur tragique et épure visuelle orchestrées par le metteur en scène français y réussissaient à transmettre les vertiges sombre et noirs du chef d’oeuvre lyrique du Grand Siècle (1676). Par respect pour la commande 2011, il s’agit de refaire le même spectacle qu’en 1986: reconstitution d’une non reconstitution. L’obligation de refaire n’empêche pas la liberté du geste: les décors et les costumes ont été recréés; mais les différences sont notables: interprètes différents, danses réinterprétées par Béatrice Massin à partir du modèle légué par Francine Lancelot… Reproduire la magie première, telle reste le dessein 2011. Or comment expliquer l’attrait du spectacle d’alors? Soudain a surgi la solennité nostalgique de la civilisation versaillaise à un degré de perfection poétique qui nous touche encore. Nostalgie, restitution offerte comme un songe ou un rêve inespéré et pourtant où la violence et la souffrance imposent sur la scène leurs lois inattendues. Car Atys est déjà sous la plume de Lully et de Quinault… le miroir d’un soleil noir. En éblouissant les spectateurs modernes, le spectacle ressuscite aussi une certaine grandeur tragique où la musique, sœur de la poésie, égale voire surpasse le théâtre cornélien et racinien.
Atys: un soleil noir
En 1987, Christie expliquait que sa lecture d’Atys n’était pas une reconstitution: ni machineries, ni gestique baroque dûment restituée… Ni changements à vue requis par le livret (l’un des meilleurs de Quinault et certainement le modèle du genre de la tragédie en musique dans l’histoire musical du Grand Siècle)… Mais un « compromis » qui entre travail historiquement informé (le premier du genre) et création, tente d’exprimer la vérité contemporaine d’Atys… Par création, il faut donc entendre le produit de la sensibilité moderne celle de 1987 à l’Opéra Comique, où s’impose aux côtés de la musique, la vision unitaire du metteur en scène Jean-Marie Villégier dont le regard spécifique souligne en une mise en abîme nostalgique, les années d’un essor perdu à la cour de Louis XIV… Ici règnent l’emprise/empire de la mort, et le poison d’une amertume nostalgique: Villégier opte pour un décor unique, tel un cabinet XVII ème , d’un raffinement glacé et miroitant, argenté et majoritairement crépusculaire… C’est le miroir d’un désenchantement et d’une désillusion concertée… Cette balustrade qui court tout autour des murs en leurs parties hautes (Prologue) fait paraître les courtisans de Versailles, lors de la création et pour les reprises souhaitées par le Roi, ils figurent ce regard d’époque, nostalgique sur l’oeuvre et ce qu’elle suscite … Ces hommes et ces femmes sont les premiers spectateurs d’Atys : ils y reconnaissent le miroir de leur propre condition… C’est même selon les mots de Villégier, une course irrésistible et tragique jusqu’aux enfers où les héros impuissants sont soumis, asservis, brisés; où même la divinité pourtant omnipotente (Cybèle) se trouve en fin d’action démunie, solitaire, d’une tristesse funèbre (prière finale au pin, nouvelle figure d’Atys métamorphosé, et de fait définitivement inaccessible pour elle).
Voici un accomplissement noir; déjà en 1676, les premiers ténèbres ont infiltré la cour versaillaise ; le monarque songeait à ses jeunes années… Avec regrets voire amertume. Celles heureuses autour de 1660… à jamais perdues… Conquête du pouvoir absolu (après le décès de Mazarin), conquête des femmes (de La Vallière à La Montespan…); déjà une blessure… Louis XIV se rêvait inatteignable, indomptable, « maître de l’univers » pour une action exemplaire (cf le texte du Prologue de chaque tragédie en musique façonnée par Lully, validée par le Roi Soleil; dans Atys le Grand Siècle fait la première expérience de sa fin; Atys, chef d’œuvre d’un théâtre en musique et continument chanté, marque aussi l’échec et bientôt le silence des auteurs dramaturges du théâtre parlé classique: Racine est frappé par Atys dès sacréation: il écrira après Atys, comme pour surenchérir sur la scène théâtrale, Phèdre; enfin Athalie où il insert des épisodes chantés sans atteindre à la totalité fusionnée (chant et action, théâtre et musique) atteint par Lully et Quinault… Corneille est dépassé lui aussi, et Molière est un vaincu écarté de la scène lyrique, déjà mort depuis 1673.
Le rêve noir du Roi-Soleil. Ici le vertige nostalgique produit une blessure tragique, un désespoir absent jusque là dans l’imaginaire monarchique… Atys ne peint que souffrance, emballement, mort donc déchirement… Toujours éternellement, Cybèle chante la perte d’ Atys, et sa fureur indigne: voilà une déesse bien humaine, impuissante à maîtriser la passion qui l’embrase. Il y a du masochisme à vouloir célébrer en un cycle recommencé, le spectacle de son action amoureuse dans le sommeil d’Atys; tentative vaine d’une déesse touchée, en souffrance, habitée par une fureur jalouse bien peu divine… Ce portrait d’un pouvoir mis en échec reste cependant le sujet central d’un ouvrage sublime pourtant fêté, applaudi et repris avec une délectation courtisane inimaginable jusque là (lettres et témoignages de Madame de Sévigné)…
Pas de soleil sans son ombre. Incroyable sublimation de l art louislequatorzien grâce aux seules ressources de l’opéra français ; comment les grecs anciens, créateurs de la tragédie antique recevaient-ils le spectacle de leur propre anéantissement? Car sous le masque mythologique et le prétexte des métamorphoses transmis par Ovide c’est bien de fragilité mortelle dont il est question ; biens vaines, les stratégies guerrières, les constructions palatiales, le rêve des splendeurs éternelles… à l’épreuve de la vie mortelle, les dieux épris apprennent eux aussi la fin de toute chose et Cybèle doit abdiquer impuissante devant l’amour triomphant entre Atys et Sangaride.
L’oeuvre du temps fait son office inexorablement… Dans sa maturité, l’astre versaillais s’est portraituré faillible et si misérable; Louis n’est pas Atys; il est plutôt Cybèle: un pouvoir dépassé et solitaire dont l’expérience sensible et amoureuse est un échec effroyable; comme le soleil brûle et foudroie, Cybèle détruit ce qu’elle ne peut dominer…
Ténèbres et lumière. Plus surprenant, cette fascination d’Atys, ouvrage funèbre et ténébreux auprès du Soleil incarné, le plus lumineux des souverains baroques… Qu’y trouvait concrètement Louis-le-Grand pour ne s’en lasser jamais? Le soleil y mesure l’empire d’une ombre inquiétante et dévorante qui grandit à mesure qu’il poursuit son ascension. Atys tend un miroir au Roi soleil : le visage de sa fin inéluctable.
L’Opéra du Roi (1676). De fait dès sa création, Atys est appelé l’opéra du Roy. Une fascination qui surgit jusqu’aujourd’hui sans avoir perdu le moindre éclat de son propos si saisissant. D’or éclatant, la Cour verse dans l’argent du désespoir… Ici, comme un Orphée accablé alors aux portes infernales, « perds toute espérance », pourrait déclamer dès le Prologue, les acteurs s’adressant au héros encore juvénile; même le fameux mobilier d’argent massif (qui inspire justement les décors de Villégier) est fondu pour financer de nouvelles batailles. Tout sur cette terre est vain: amour, guerre, luxe… Seul le sentiment de l’éphémère et de la perte qui fait le prix et la tragédie de la vie, reste immortel. C’est le vrai sujet de l’opéra, renforcé encore par la réalisation visuelle de Jean-Marie Villégier.
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Atys 2011: reconstitution ou approfondissement?
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Le travail de Christie s’est concentré quant à lui, sur la tension et le dramatisme organique des danses de Francine Lancelot (restituées librement par Béatrice Massin), porté par la cohérence et la sonorité aux couleurs fouillées d’ un orchestre qui dés 1987, était composé d’instrumentistes ayant assuré auparavant le succès de l’opéra Hippolyte et Aricie de Rameau… Qu’en sera t il en 2011 pour cette reprise si attendue? Le chef approfondira-t-il encore son approche de l œuvre , son geste comme régénéré grâce aux apports de la recherche la plus récente, ou ne s’agit-il (ce qui est déjà beaucoup) « que » de la stricte reconstitution de la production de 1987? Méfions-nous des soit disantes restitutions historiques… D’ autant qu’entre temps comme nous l’avons souligné les chanteurs ont changé à la différence du chef et du metteur en scène qui eux sont à nouveaux en service. A suivre. A venir notre reportage vidéo (notre propre regard sur le spectacle) et compte rendu complet de la production Atys 2011.
Lully, Quinault: Atys (1676). Reprise de la recréation de 1986. William Christie, direction. Jean-Marie Villégier, mise en scène. En France puis à New York, jusqu’en septembre 2011.
Opéra Comique du 12 au 21 mai 2011
Théâtre de Caen du 31 mai au 3 juin 2011
Opéra de Bordeaux du 16 au 19 juin 2011
Opéra royal de Versailles du 14 au 17 juillet 2011 (festival Venise Vivaldi Versailles)
New York – Brooklyn Academy of Music du 18 au 24 septembre 2011
Le grand retour de la production de l’opéra Atys (1676), créée en 1987, sur la scène qui l’a vu naître et croître avec le succès que l’on sait, l’Opéra Comique, à partir du 12 mai prochain, est assurément l’événement baroque de ce printemps et de ce début d’été (le spectacle tourne ensuite entre autres à Bordeaux et Versailles). L’Avant Scène Opéra en profite légitimement pour rééditer le numéro paru alors, mais complété par un dossier 2011 qui remet en perspective le sens et les enjeux esthétiques, musicaux, interprétatifs d’une totalité qui résume pour beaucoup ce que la « révolution baroqueuse » à apporter de plus éblouissant. Réédition majeure, à lire pour préparer votre soirée…

