Arthaus musik,
collection « studio Hamburg »
13 titres en dvd
(1967-1973)
Rolf Liebermann, intendant de l’Opéra de Hambourg, de 1959 à 1973, se montre inventif et continuateur de la tradition lyrique locale. Soucieux de constituer une équipe de chanteurs rompus aux grandes oeuvres du répertoire, en majorité de langue allemande, le directeur conçoit des programmations « structurantes » autour de Mozart, Weber, Beethoven, Wagner et aussi de quelques auteurs contemporains comme Gian Carlo Menotti et Penderecki… Pour « fixer » ce travail de fonds, il assure les représentations scéniques puis leur enregistrement en studio, dans la foulée. Les premières constituant les répétitions pour les seconds. A partir de 1967, avec la complicité du réalisateur pour la télévision, Joachim Hess, Liebermann filme l’ensemble des opéras ainsi abordés par l’équipe maison, offrant les premières expériences colorisées, associant opéra et cinéma.
Au total 13 films d’opéra (plutôt qu’opéras filmés), mouvements de caméra, plans serrés à l’appui, redéfinissent la compréhension des oeuvres via le spectre audiovisuel. Ce travail allait aboutir au « grand oeuvre », celui de son Don Giovanni (1979) pour lequel Liebermann, alors directeur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux (1973-1980) dont l’Opéra de Paris, sollicite un réalisateur célèbre, Joseph Losey. L’oeuvre qui en résulte qu’on le veuille ou non, représente un modèle réussi entre opéra et cinéma. Lire notre dossier Don Giovanni de Joseph Losey
.
Depuis décembre 2006, Arthaus Musik réédite l’ensemble du cycle « studio Hamburg » (distributeur en France: Intégral), véritable odyssée pionnière qui réalise, souvent avec pertinence, le principe tant décrié, de l’opéra à l’écran.
1967
: Les Nozze di Figaro de MozartMême chanté en allemand, selon l’usage des maisons germaniques, l’opéra de la sédition, sociale et sexuelle, féministe aussi, garde élégance et finesse. A défaut d’une italianità érotique et subtile, le germanisme renforce la dureté de l’interprétation, que la caméra et le montage tentent d’atténuer ou d’attendrir par des plans sur les coulisses, le lever de rideau, les acclamations de la salle… Nonobstant, l’année est celle des débuts d’une aventure audiovisuelle qui s’affinera dans ses volets postérieurs. Tom Krause et Arlene Saunders paraissent un tantinet froids. Leur couple Comte/Comtesse restent continûment dignes, contrastant avec l’humanité de leur domesticité: heureusement il y a la tendre Edith Mathis dont la Suzanne peine donne la mesure de Noces, vivifiées par le feu, parfois précipité, du chef Hans Schmidt-Isserstedt.
1968: Der Freischütz de Weber
Les options scéniques sont plus cohérentes et la présentation des caractères comme le déroulement des scène collectives, parfaitement lisibles. La lumière du studio et les premiers essais de colorisation confèrent un charme ou mieux une patine attrayante. Le portrait mi fantastique mi diabolique des personnages est juste: ténébrisme des hommes, tendresse indiscutable des femmes. Dommage que la direction assez terne de Ludwig ne soit pas au diapason des chanteurs, enflammés et impliqués. Mais l’ensemble présente d’incontestables atouts.
1969: Zar und Zimmermann de Lortzing
Mêmes qualités de cohérence et d’unité dramatique et vocale que pour Der Freischütz. La continuité des plans, le dessin des caractères, le jeu collectif et individuel sont indiscutables. Une très belle lecture d’un ouvrage plus populaire en Allemagne que chez nous, ce qui relève l’intérêt de la réalisation pour une oeuvre admirée par Wagner qui l’estimait à l’égal de ses Maîtres Chanteurs.
1969: Les Diables de Loudun de PendereckiLa production hambourgeoise de 1969 tient ses promesses: Marek Janowski
souligne l’activité écoeurante de la partition, ses relents acerbes,
mordants, sa laideur à la fois fascinante et obscène, tissées
d’obessions et d’images réprouvées. Dans le rôle de Jeanne, Tatiana
Troyanos habite son personnage avec intensité. Sa composition est sans
faute, toujours juste dans l’hallucination apeurée, en panique. Et tous
les autres acteurs défendent la même ardeur expressionniste de leur
personnage, conférant au film d’opéra, sa tension macabre,
désenchantée, déshumanisée.
1970: Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner
Avec La Flûte Enchantée (lire ci après), à cette lecture sobre et compréhensible, va notre préférence. Comme dans les autres réalisations du cycle hambourgeois, l’instinct de Liebermann se montre payant: la distribution convainc par sa cohérence, la solidité musicale des interprètes. Aucun rôle n’est affecté par un défaut de casting. La troupe américano-germanique se montre à la fois, habitée et respectueuse de l’action. Et attrait délectable, la relation lumineuse et tendre entre Sachs et Eva est superbement incarnée par les interprètes, tous deux américains: Giorgio Tozzi et Arlene Saunders. A la tête de l’orchestre de l’Opéra de Hambourg, Leopold Ludwig, qui y a dirigé pendant près de 20 ans la musique, conduit la tension avec feu et nervosité. En somme, voici certainement l’une des meilleures productions de la série « Opéra de Hambourg » dépoussiérée de ses références excessives à un gothique éclectique (l’inspiration des costumes et des décors renvoie plutôt à Dürer et l’ère novatrice de la Renaissance), surtout purifiée de sa grandiloquence patriotique. Incontournable.
1970: Wozzeck d’Alban BergLiebermann avouait qu’il s’agissait selon lui (évaluation précisée dans son ouvrage « Opernjahre »,
« Mes années d’opéra »), de la meilleure réalisation de la série des
films d’opéra, conçus et produits avec Joachim Hess, et la troupe des
chanteurs de l’Opéra de Hambourg.
De fait, nous tenons là l’un des joyaux indiscutables de la collection Hambourgeoise.
1971: La Flûte enchantée de Mozart
C’est incontestablement l’un des joyaux du cycle hambourgeois. Fluidité de la caméra, beauté des décors de Maclès, cohérence et conviction des chanteurs dont Fischer-Dieskau, habité et subtil. La mise en scène de Peter Ustinov, plutôt classique voire neutre, précède le film de Bergman, et même l’anticipe directement, comme l’idée de la nacelle. La direction de Horst Stein est efficace à défaut d’être ciselée. Mais pour sa vision globale, il s’agit d’un must!
1971: Orphée aux enfers d’Offenbach
C’est du théâtre filmé, un jeu d’acteurs idéalement délirant, dont les décors et les références visuelles portent outrageusement la marque des 70’s. Que l’on aime ou pas, les costumes et les couleurs fluo, ce design postmoderniste en plexiglass, le burlesque déjanté est au rendez-vous, et c’est là encore l’esprit de la troupe qui prospère au service de la partition.
A venir
Suite de nos critiques des autres titres de la collection « Studio Hamburg ».
Crédit photographique
Couverture de La Flûte Enchantée de Mozart
Rolf Liebermann (DR)