Antonio Vivaldi
Ercole sul Termodonte
Hercule sur le Thermodon, 1723
France Musique
Vendredi 27 février 2009 à 20h
Concert donné le 27 janvier 2009 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris
Ercole ressuscité
D’après un livret de Giacomo Francesco Bussani, l’Ercole vivaldien, met l’accent sur ce fleuve terrible situé au sud de l’actuelle Turquie qui borde le pays des Amazones: le Thermodon. Aux pieds de ses eaux foisonnantes, se love la cité de Themiscire, ville de la reine Antiope, souveraine des terrifiantes créatures, dont la capture de la ceinture est l’un des hauts faits de notre héros. Ainsi, d’après le mythe, Hercule dérobe à la castratrice magnifique, ce trésor qui incarne son pouvoir et sa chasteté.
Vivaldi décide pour son 22è opéra d’aborder le thème sur le livret du chanoine Bussani de la Carità de Venise, lequel a déjà livré son texte pour un opéra précédent à San Salvadore en 1678.
Grâce à l’infatigable opiniâtreté du chef Alan Curtis, pas moins de 30 airs et duos ont été retrouvés, ressuscitant l’opéra que l’on croyait définitivement perdu et qui fut créé à Rome, palais Capranica le 27 janvier 1723. Le compositeur également imprésario et directeur de troupe exigeant comme l’est aussi à la même époque Haendel à Londres, s’assure dans le rôle d’Alceste, le castrat vedette Giovanni Carestini (auquel Philippe Jaroussky a dédié un récent album hommage: c’est d’ailleurs dans le respect de cette filiation artistique déclarée, que le contre-ténor français incarne dans la production dirigée par Biondi, le même rôle d’Alceste). En outre, à l’époque de Vivaldi, l’ensemble des rôles est tenu par des castrats, conformément à la réglementation romaine des théâtres.
La formule lyrique de Vivaldi enchante alors de façon fugace le public romain. Car bientôt les opéras napolitains vont s’imposer partout en Europe, écartant sans ménagements Vivaldi, y compris à Venise.
Haendel lui-même à Londres doit réviser son style, car il subit lui aussi la concurrence des compositeurs et de l’opéra napolitains.
Lumière de la raison contre force animale
En Hercule, s’expriment les forces antagonistes, fureur destructrice d’origine animale (il tue ses enfants!), mais aussi, a contrario, volonté de dépassement et de sublimation spirituelle autant que justicière… Le héros à la croisée de deux destinées, choisit fort heureusement pour sa gloire postmortem, la voie de la vertu, se destinant désormais à la réalisation de son oeuvre exemplaire de justice: c’est le sens de ses 12 travaux miraculeux qui à l’origine sont commandés par le roi Eurysthée: lequel inquiet de ce jeune rival capable de lui ravir son trône, lui faisait perdre un temps précieux dans l’exécution de tâches apparemment insurmontables. Pour Hercule, il s’agit aussi d’éprouver sa valeur et surtout d’expier le meurtre commis sur sa propre descendance. La raison doit vaincre tout effet de la puissance sauvage et animale.
Sur le plan symbolique, Hercule philosophe inspiré par la vertu incarne un modèle physique, spirituel et désormais politique, l’exemple à suivre, depuis Alexandre le Grand, l’Empereur romain Commode, Trajan, Caracalla, et à l’époque baroque, les souverains européens dont Louis XIV qui en fera son mentor avant d’épouser la référence solaire. Pour lui, les oranges d’or de l’immortalité, au jardin des Hespérides (qu’évoque l’Orangerie de Versailles), pour Hercule encore, le triomphe sur la mort, quand dans un avatar plus récent, il descend aux enfers pour en extraire la victime innocente (Alceste ou encore Thésée). Demi dieu permettant la résurrection, Hercule préfigure Jésus-Christ.
Un héros éduqué, maître de ses passions
Pour le jeune Louis XIV qui devient époux, Cavalli fait représenter à la demande de Mazarin, son Ercole Amante (Hercule amoureux). Dans la figure du héros alangui s’inscrit le portrait d’un irascible, doué d’une force irrésistible, « vaincu » par la douceur et le sentiment de compassion amoureuse. La fureur assujettie à la tendresse.
Sur les bords du Thermodon, Hercule, accompagné des jeunes héros grecs, qui souhaitent en découdre avec les amazones et les mâter, découvre l’amour que lui inspirent les couples de l’action: Martesia et Alceste, Thésée et Hippolyte. Martesia et Hippolyte les deux filles de la reine Antiope, inspirent très vite des sentiments amoureux à leurs assaillants. Tout l’opéra de Vivaldi exprime la progressive adhésion/conversion des armées rivales en présence, à la concorde et à l’amour.
Au final, la vie d’Hercule représente le rituel initiatique au travers duquel un être puissant mais bestial s’élève peu à peu, cédant au pouvoir de sa raison et de son esprit, triomphant des forces animales qui l’avaient conduit jusque là entre destruction et haine, violence et cruauté.
La production présentée par le Théâtre des Champs Elysées est dirigée par le chef et violoniste palermitain Fabio Biondi, ardent défenseur des opéras Vivaldi (nous lui devons un enregistrement de Bajazet, 2 cd Virgin Classics). Le maestro dirige l’ensemble qu’il a fondé en 1989, Europa Galante.
Argument
En remboursement de douze talents d’or Eurysthée, le roi de Mycènes, a commandé douze travaux à
Hercule, espérant secrètement le voir échouer. Parmi eux, la huitième – ou neuvième – tâche constitue le sujet de l’opéra vivaldien: Hercule doit rapporter les armes de
la reine des Amazones, Antiope, et notamment sa ceinture.
Acte I. Alors qu’elles sont à la chasse la reine Antiope se réjouit, avec sa soeur Hyppolite et sa fille Martesia, de leur liberté loin des férocités masculines. Martesia est
cependant troublée de ne point connaître encore cette « bête féroce »… Hercule
et sa troupe débarquent. Le fils de Zeus est accompagné par la fine fleur de la
noblesse hellène : Thésée, Télamon roi d’Ithaque, Alceste roi de Sparte. Alceste et
Hercule se targuent de mater ces femmes sauvages. Mais Thésée sauve Hyppolite
des griffes d’une bête féroce. Un doux sentiment naît aussitôt entre eux.
Entre Amazones et Grecs la mêlée, féroce, se solde par l’enlèvement de Martesia.
Aussitôt Alceste et Télamon se disputent ses faveurs tandis que les Amazones
incendient les navires des Grecs, empêchant leur retour. Thésée est fait prisonnier.
Acte II. Hyppolite exprime son amour pour Thésée. Survient Antiope qui déplore
l’enlèvement de sa fille et décide de se venger sur les prisonniers grecs. Sa fureur
tombe sur Thésée. Elle le destine à être sacrifié à Diane.
Dans le camp grec, Hercule est convaincu par Télamon d’échanger Martesia
contre Thésée. Mais Orizia, la générale des Amazones, qui vient d’être faite
prisonnière par Alceste, lui est préférée comme monnaie d’échange. Ce n’est
qu’une manipulation d’Alceste pour ravir la fille d’Antiope à Télamon. Alceste
promet à Martesia le trône de Sparte. L’ingénue reçoit ensuite les voeux de
Télamon qui lui propose le trône d’Ithaque. Les douceurs de ces deux « bêtes
féroces » l’emplissent d’une étrange confusion.
Dans le temple de Diane, on apprête Thésée pour le sacrifice. Il révèle alors à
Antiope avoir sauvé sa soeur et en être épris. La reine est partagée entre haine et
gratitude. Mais Orizia, libérée par Télamon, suspend le bras vengeur de la reine.
Acte III. Sous les murs de la capitale des Amazones, Télamon, poursuivi par Hercule
pour avoir délivré Orizia sans son consentement, est fait prisonnier. Thésée, à
présent libéré, réclame la grâce pour son ami. Convaincu de la force de l’amour
sur la puissance de l’aveugle colère, Hercule pardonne. « Ne laissons pas
l’ombre de la cruauté obscurcir le mérite de la victoire ». Mais il reste encore à
obtenir la ceinture d’Antiope, à l’origine de tant d’héroïques quiproquos.
Cernées par les Grecs, les Amazones tentent une ultime résistance.
Thésée remet alors son épée aux pieds d’Hyppolite, brisant par son geste
l’enchaînement des violences. Orizia et Antiope ont beau tenter une ultime
résistance, Hercule, magnanime, déclare ne réclamer désormais que la ceinture
de la reine. En échange, il laissera bien volontiers leur liberté aux Amazones.
Orizia et Antiope, à la vue du bonheur d’Alceste et de Martesia, de Thésée et
d’Hyppolite, cèdent et rendent leurs armes à l’amour.
Antonio Vivaldi
Hercule sur le Thermodon
Opéra en deux actes sur un livret de Giacomo Francesco Bussani
Carlo Vincenzo Allemano : Ercole
Vivica Genaux : Antiope
Roberta Invernizzi : Ippolita
Philippe Jaroussky : Alceste
Romina Basso : Teseo
Filippo Adami : Telamone
Emanuela Galli : Orizia
Stefanie Iranyi : Martesia
Choeur d’Adultes de Notre Dame de Paris
Europa Galante
Fabio Biondi, direction
Illustrations:
1. Antonio Vivaldi
2. L’empereur Commode en Hercule
3. Hercule aux pieds d’Omphale par Charles Gleyre (1862)
4. Fabio Biondi (DR)