lundi 7 juillet 2025

Anton Bruckner (1824-1896), collectif dirigé par Philippe Herreweghe Actes Sud, 240 pages (2008)

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Un magicien nostalgique





Il y a de la magie chez Bruckner. Nostalgique d’un paradis perdu, le compositeur dont l’oeuvre symphonique a mis du temps à être reconnue, du reste est-elle toujours dans un purgatoire critique incertain, sort peu à peu de l’ombre, est le sujet d’essais et d’études nouvelles qui effacent nombres de préjugés sur l’homme (et ses phobies, ses bigoteries, ses bizarreries…) et son oeuvre (celle d’un « simple », frappé sous le sceau de la lourdeur et d’une naïveté touchante mais épaisse, un rien campagnarde…).
D’emblée le livre que fait paraître Actes Sud répond à nombre d’interrogations à l’égard du personnage, sur son profil véridique. Compilation de textes écrits à diverses périodes, (en anglais et en allemand) traduits pour la première fois en français, l’opuscule est superbement préfacé et même introduit par Philippe Herreweghe dont le travail sur l’orchestre et l’écriture de Bruckner porte peu à peu ses bienfaits. Le regard analytique et méticuleux du chef flamand est d’autant plus opportun que le problème des sources et des versions successives s’agissant de chaque symphonie est crucial: quelle option choisir ? A quel titre? Qu’aurait préféré le compositeur?
Jamais l’effort d’authenticité, ailleurs appliqué chez Bach, Schumann et Mendelssohn, ne s’avère aussi bénéfique que dans le cas de Bruckner.
Le témoignage de Philippe Herreweghe précise de nouveaux aspects pour Bruckner, des pistes de recherche et de sensibilité dont il faut mesurer la pertinence désormais: intelligence et névrose, goût de l’indécrottable célibataire pour les jeunes filles nubiles, poids de la culpabilité dévorante chez ce catholique fervent, …


Nouveau portrait




Le portrait esquissé en larges traits s’avère décisif. Son apport profite aussi, naturellement à la perception de sa musique: aucun programme mais une recherche formelle, intellectuelle et abstraite, porté tout autant par une exigence spirituelle sincère et parfois inspirée par le génie de l’enfance. S’il ne fallait retenir qu’un caractère emblématique de son écriture, soulignons immédiatement sa maîtrise des architectures contrapuntiques. Son chant est dans la veine de Schubert, profond et mélancolique, habité par des visions amères et tendres, puissantes et sincères… Lire cette introduction permet assurément de remettre les pendules à l’exacte heure brucknérienne…. bien à l’écart des instrumentalisations diverses récentes dont celles édifiées par les nazis. Herreweghe souhaite faire aimer la musique du compositeur, un pèlerin qui regrette déjà, la tristesse d’un monde que Dieu aurait déserté. Au final, c’est moins le Bruckner pratiquant, que l’humaniste ardent dont nous parle le chef flamand. Texte court, – 5 pages tout au plus-, qui aurait mérité de plus amples développements?-, mais absolument capital. Et qui éclaire encore la pertinence incontournable de ses enregistrements actuels (messes et symphonies). Lire notre dossier sur l’interprétation de Philippe Herreweghe avec l’Orchestre des Champs Elysées.


Comprendre le Bruckner symphoniste





Le lecteur profitera ensuite de mises en perspective et en contexte, rédigées par Andrea Harrandt: « La vie musicale en Haute-Autriche au milieu du XIXème siècle » (traduit de l’allemand), essai de 2004 qui récapitule la carrière du compositeur sacré qui tint à se faire inhumé sous l’orgue (qu’il joua) de l’église Saint-Florian; puis, « Bruckner et Vienne« , car c’est dans la capitale autrichienne que Bruckner obtint après batailles et assiduité répétée, honneurs, titres, reconnaissance: il est finalement nommé organiste de la Cour en 1880 à 56 ans.
Le grand oeuvre de Bruckner, organiste et aussi compositeur de musique sacrée, demeure indiscutablement ses opus symphoniques: regroupant près de la moitié des pages de la publication (de la page 75 à 204, sur les 240 totales), une étude datant de 1978 et traduite de l’anglais, signée Philip Barford, éclaire le délicat travail de l’interprète soucieux d’authenticité en démêlant les rets des versions successives et disponibles, tout en précisant les vraies intentions de Bruckner, lequel n’a pas toujours fait éditer ni créer ses oeuvres dans la forme qu’il préférait. Aurait-il été trop soumis aux critiques de son entourage? Enfin, une quatrième partie complète ce tableau très indicatif: elle offre un rapide aperçu de l’évolution de l’interprétation brucknérienne, au travers des chefs qui l’ont défendu, et enregistré pour le disque, plus ou moins dans le respect des voeux intimes de l’auteur. Oeuvre de Franz Shalk (décédé en 1931), découverte des « versions originales » fixées par Robert Haas (début des années 1930), premières gravures de Bohm et Jochum, les intégrales enregistrées par le Philharmonique de Vienne, (1965-1974), « orchestre brucknérien idéal et nourricier », sous la baguette de divers chefs… Chaque épisode dont chacun mesurera la pertinence critique, est ainsi évoqué. Dans cette vaste rétrospective, parfois un peu expédiée, qui cite aussi Abbado, Wand, Giulini, et Chailly…, les démarches récentes dont celles de Norrington et surtout de Philippe Herreweghe apportent leur éclairage dynamisant. Il n’existe pas un seul Bruckner. Mais plusieurs tout autant singuliers et attachants, sur orchestres modernes ou dits d’époque. Cette diversité des lectures et le souci d’une sonorité rééquilibrée, dépoussiérée font encore évoluer pour son bénéfice, notre compréhension du grand oeuvre Brucknérien. Les amateurs de Symphonies seront aux anges: voilà une excellente synthèse en ses approches diverses, de l’oeuvre brucknérienne, champs de recherche et de pratique parmi les plus captivants, aux côtés des oeuvres de Gustav Mahler. Lecture capitale.

Anton Bruckner (1824-1896), ouvrage collectif sous la direction de Philippe Herreweghe. Fidèle à son souci d’exhaustivité, l’édition ajoute aux textes de recherche, plusieurs compléments utiles: tableau synthétique des différentes versions des symphonies de Bruckner, (2008), comprenant entre autres les apports critiques de Göllerich, Haas, Nowak…; ainsi que plusieurs repères d’ordre biographique et bibliographique (sources anglaises et allemandes).

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