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Fidèle à son objet, le Centre de musique baroque de Versailles poursuit son exploration des répertoires et des styles baroques français méconnus. Pour la rentrée 2011 (octobre et novembre 2011), le Centre dédie ses Grandes Journées à la figure et à l’oeuvre d‘Antoine Dauvergne (1713-1797), violoniste, compositeur surtout personnalité majeure des Lumières. Sous les derniers Bourbons, pendant la Révolution, Dauvergne incarne une curiosité ardente, la ténacité discrète d’un goût sûr qui tout en accompagnant les derniers feux de l’opéra monarchiste marqué par Rameau ou Mondonville (entre autres), sait déceler la modernité de Gluck, favoriser aussi la nouveauté de Sacchini et Cherubini… C’est un préromantique surprenant. Directeur du Concert Spirituel, Dauvergne réussit aussi dans une programmation ouverte et brillante, encourageant la virtuosité du style concertant… Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV, publie chez Mardaga une première biographie complète sur le compositeur et son oeuvre. Pour classiquenews, il analyse la singularité d’un musicien et compositeur majeur qui méritait évidemment cet éclairage particulier.
En quoi Dauvergne fait-il la preuve de son ouverture esthétique ?
Comme compositeur tout autant que comme directeur, Dauvergne se montre curieux et très ouvert à la modernité. En commençant sa carrière lyrique avec Les Troqueurs (1753), composés dans un style très moderne et très personnel où se mêlent les effluves de Pergolèse, de l’école de Mannheim, des fils Bach même, il fait la preuve de sa parfaite connaissance des musiques européennes du temps. Ses grands motets, malheureusement perdus, semblent avoir été tout aussi originaux, à mi-chemin entre ceux de Mondonville et la Messe des morts de Gossec (1760) exactement contemporaine. Et même lorsque Dauvergne fait le choix de défendre le style national hérité de Lully et Rameau, il intègre des éléments palpables de modernité, notamment dans son art subtil de l’orchestration où clarinettes et cors sont utilisés avec un grand savoir-faire. Lorsqu’il arrêtera de composer pour se concentrer sur la direction de l’Académie royale de musique, Dauvergne conservera cette grande ouverture d’esprit et s’emploiera à renouveler le répertoire par des actions révolutionnaires : il favorisera la venue d’auteurs étrangers (Gluck d’abord, mais aussi Sacchini, Salieri, Vogel ou Cherubini), imaginera de nouveaux genres (comme la comédie lyrique qui fleurira sous la plume de Grétry) et s’émerveillera des recherches orchestrales et harmoniques de Méhul ou Cherubini. La naissance du romantisme français, dans la décennie 1780-1790, lui doit énormément.
Quelles sont ses œuvres propres qui l’inscrivent dans la modernité de son temps ?
Les Troqueurs ou La Coquette trompée (1753) font de Dauvergne un pionnier dans le genre de l’opéra-comique. Mais d’autres œuvres sont tout aussi audacieuses : La Vénitienne (1768) est ainsi le première exemple de comédie lyrique composée dans le style typiquement français du « demi-caractère », qui s’épanouira au siècle suivant. Quant à La Tour enchantée (1770), il s’agit d’une première esquisse du ballet d’action… futur grand ballet romantique. Enfin, malgré leur physionomie un peu particulière évoquant encore l’ancienne suite d’orchestre, les quatre Concerts de Symphonie (1751) semblent ouvrir la voie à la symphonie classique, quelques années avant que Gossec ne livre les premiers exemples du genre en France.
En prenant du recul et de façon synthétique, quels aspects de son œuvre la programmation des Grandes Journées à Versailles met elle en lumière ?
Il a semblé très opportun d’insister sur le théâtre lyrique de Dauvergne, qui représente la majorité de son activité. Du coup, trois soirées permettent de saisir la diversité des genres et des styles : un concert rassemble Les Troqueurs et La Coquette trompée ; un autre fera entendre la tragédie lyrique Hercule mourant (1761) ; enfin, un dernier met en valeur la synthèse remarquable que propose La Vénitienne, entre tragédie et comédie. Par ailleurs, quatre autres soirées feront valoir l’activité de Dauvergne à la tête des grandes institutions musicales du temps : des symphonies concertantes et des airs de bravoure ressuscitent le triomphe de la virtuosité au Concert Spirituel durant le mandat de Dauvergne (1762-1773) ; un concert regroupant des extrait de Renaud de Sacchini et de Panurge de Grétry, et un autre regroupant des extraits d’Iphigénie en Aulide de Gluck et de Polyxène de Dauvergne évoquent quelques nouveautés marquantes des directions successives de Dauvergne (1769-1776 ; 1780-1782 ; 1785-1790). Enfin, la production scénique d’Amadis de Gaule de Jean-Chrétien Bach (1779) montrera toute l’originalité de l’opéra français au temps de Louis XVI.
Benoît Dratwicki vient de faire paraître chez Mardaga, une première excellente biographie sur Antoine Dauvergne (1713-1797), « une carrière mouvementée dans la France des Lumières », complément utile au cycle des concerts à l’Opéra Royal de Versailles en octobre et novembre 2011, dans le cadre des Grandes Journées Antoine Dauvergne 2011.