samedi 10 mai 2025

Paris. Salle Pleyel. 5 novembre 2012. Stucky, Sibelius, Dvorak. Nikolaj Znaider (violon). Pittsburgh Symphony Orchestra. Manfred Honeck, direction.

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Concert, Pittsburg Symphony Orchestra, Manfred Honeck, direction

Par notre envoyé spécial, Sabino Pena Arcia

Le Pittsburgh Symphony Orchestra fait escale à la Salle Pleyel au cours de sa tournée européenne 2012. A l’annonce de sa tournée internationale ainsi qu’au succès incontestable de son cd Mahler sous la direction musicale du chef autrichien Manfred Honeck, nous attendions beaucoup du PSO, en particulier cette force innée des musiciens américains, associée à la précision classique austro-hongroise propre à M. Honeck. Ils ont choisi un programme plus coloré et varié qu’intense pourtant, comprenant l’américain Stucky, Sibelius et Dvorak, rejoints par le violoniste Nikolaj Znaider.

Yes we can!

Les Américains qui dansent à l’européenne

Le concert commence avec le poème symphonique « Silent Spring » (2011) du compositeur Américain Steven Stucky (1949). Cette commande du Pittsburgh Symphony Orchestra avec le Rachel Carson Institute, est une sorte d’hommage musical à la biologiste, auteure et devancière du mouvement environnementaliste américaine, Rachel Carson. Le compositeur s’est inspiré de ses publications (dont « Silent Spring ») pour créer une pièce pour grand orchestre, particulièrement atmosphérique et même envoutante. La musique est fortement émotionnelle, d’une couleur merveilleusement étrange. Ici les percussions ont eu un rôle important, les cuivres une vigueur inépuisable, les cordes un brio impeccable. Le tout est très cohérent sous la baguette claire et précise de Manfred Honeck.

Puis vient le Concerto pour Violon et Orchestre en ré mineur op. 47 (1905) de Jean Sibelius (1865-1957) avec le violoniste et chef d’orchestre Danois-Israélien Nikolaj Znaider. L’allegro moderato qui ouvre le concert est d’une grande liberté formelle. Dans ce mouvement de structure quasi rhapsodique, les cadences virtuoses du soliste sont séparées par des interludes orchestraux de couleur romantique. L’orchestre joue avec une force caractéristique (celle que nous attendions) et le soliste démontre depuis le début, son immense sensibilité musicale : il nous régale avec son jeu clair et élégant mais aussi son style viril, plein de maestria.

Dans l’Adagio di molto qui suit l’orchestre est plus présent, et c’est à son tour de montrer sa pertinence avec un lyrisme post-romantique poignant, auquel s’ajoute le violon solo, plutôt noble et sentimentale. Le dernier mouvement Allegro ma non tanto est une sorte de virtuose polonaise scandinave (paraphrasant Sir Donald Francis Tovey qui y voyait des ours polaires) aux bois colorés, non sans une certaine inspiration folklorique. Une véritable invitation à la danse pleine de verve et de cœur. Finalement épanoui sous l’astucieuse baguette de Honeck, le Pittsburgh Symphony Orchestra va du quintette au tutti s’intégrant parfaitement au flamboiement du mouvement. Nikolaj Znaider, brillant et charismatique, a une telle maîtrise de son art que sa virtuosité et les pyrotechnies obligatoires du concert, ne font que mettre en valeur sa prodigieuse musicalité naturelle. Dans ce sens, il nous offre un bis plein de charme et d’élégance, d’une beauté immaculée et transcendante: la Gavotte en rondeau de la Partita n°3 pour violon de Bach BWV 1006.

Après l’entracte vient le moment le plus attendu du concert: la Symphonie n. 9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde » (1893) d’Anton Dvorak (1841-1904). Certainement la composition la plus populaire du maître tchèque; elle fut composée et crée à New York. Dvorak déclarera : « Cela différera considérablement de mes symphonies précédentes. Après tout, l’influence américaine doit être ressentie par quiconque a le nez fin… ».

Malgré la force rythmique qui fait référence aux negro spirituals des États-Unis ou une inspiration programmatique d’origine amérindienne, la symphonie demeure un chef-d’œuvre non seulement tchèque et européen mais tout-à-fait universel. La prestation du chef autrichien avec le PSO rehausse l’aspect pompeux et somptueux de la symphonie. L’Adagio – Allegro d’ouverture, est très bien nuancé et légèrement sautillant: les cordes aiguës mélodieuses et claires y sont les protagonistes. Le forte à la fin du mouvement a été tellement fort qu’il a été presque confondant. L’interprétation du deuxième mouvement Largo fut particulièrement intéressante, puisque ce furent les cordes (et non les vents) qui ont tenu et soutenu l’ambiance d’une certaine spiritualité touchante introduite d’abord par les bois, moins brillants en l’occurrence. Dans la deuxième partie du mouvement, la flûte et le hautbois gagnent en expression, et les cuivres brillent par leur belle précision. Néanmoins, ce sont les violons les plus impressionnants, notamment l’excellent premier violon Noah Bendix-Balgley. Le Scherzo du troisième mouvement a été très vivace. Les cordes et les cuivres d’un éclat enthousiaste (exception faite pour les cors), pourtant les bois ont eu moins de facilité à nuancer leur chant. Sous la direction énergétique du maestro Honeck, le mouvement acquiert une sonorité plus viennoise et dansante. L’Allegro con fuoco du dernier mouvement est enflammé, alliant verve et impétuosité. Joué avec une certaine urgence et riche d’effets dramatiques grandiloquents, il finit dans une apothéose sensorielle, dont les cordes furent les véritables vedettes.

Le chef autrichien a profité des deux bis orchestraux généreusement offerts pour confirmer la valeur des percussions et l’excellence des cordes mais aussi la candeur des flûtes de l’orchestre (pour une Danse Slave de Dvorak et un Entracte de Carmen). Il a été impossible pour le public, même pour ceux qui voulaient plus de profondeur et moins de feux d’artifice, de ne pas tomber sur le charme facile de la musique jouée avec tant de pompe et tant d’âme. L’édifiante force, l’entrain rythmique, le swing caractéristique très vivace des cordes américaines qui dansent à l’européenne, sont les souvenirs les plus vifs d’une soirée cosmopolite et envoûtante à Pleyel.

Paris. Salle Pleyel. 5 novembre 2012. Stucky, Sibelius, Dvorak. Nikolaj Znaider (violon). Pittsburgh Symphony Orchestra. Manfred Honeck, direction.

Entretien exclusif avec le 1er violon du PSO, Noah Bendix-Balgley à la suite du concert:
Propos recueillis et traduits par notre envoyé spécial, Sabino Pena Arcia.



Nous découvrons la musique de Steven Stucky avec Silent Spring, dont vous avez fait la création l’année dernière, pouvez-vous nous présenter l’œuvre?


Noah Bendix-Balgley : Chaque année le PSO a un compositeur de l’année et un compositeur en résidence; Steven Stucky l’a été l’année dernière et il s’agît de la pièce qu’il à créé pour nous à cette occasion. Il s’est inspiré du livre Silent Spring par Rachel Carson, qui est originaire de Pittsburgh, donc voilà un lien avec nous, en fait un grand pont de la ville porte son nom; c’est un livre d’importance historique et environnementale; quand il a été publié il y a plus de 50 ans, il dénonçait pour la première fois les effets négatifs des pesticides, et la pièce musicale que Steven Stucky est assez sombre, ce n’est pas du tout une musique gaie, plutôt menaçante au contraire, avec des couleurs orchestrales très intéressantes. On la joue beaucoup depuis et c’est très bien de présenter des nouvelles créations au répertoire.


Vous êtes le premier violon et vous avez joué ce soir le Concerto de Sibelius avec Nikolaj Znaider. Vous l’avez déjà joué en tant que soliste? Est-il l’un de vos concertos préférés? Qu’est-ce que vous en pensez?

NBB: Oui, je l’ai déjà joué. Il est certainement l’un des meilleurs concertos pour violon au répertoire, il est puissant et intense, Znaider a été fabuleux. C’est un concerto difficile, avec beaucoup de détails et l’orchestre est souvent épais. Coté technique, le dernier mouvement est un véritable défi parce qu’il s’agit de jouer pendant 25 minutes, puis aborder les difficultés techniques les plus exigeantes.


Finalement, quelles sont vos impressions de la 9e symphonie de Dvorak; étant une pièce de pertinence pour la culture musicale américaine, vous vous sentez proche d’elle?

NBB: C’est sa symphonie la plus célèbre, et c’est une de ces pièces dont on pense l’avoir écouté un million de fois, mais quand tu la joue chaque fois tu te rends de compte qu’elle est magnifique, de l’abondance des mélodies, comment elle est très touchante, je pense qu’il est difficile de jouer ou d’écouter le deuxième mouvement sans être ému. C’est aussi très fun à jouer et l’audience est toujours très intéressée. Dvorak l’a effectivement composé aux États-Unis, et il s’est certainement inspiré de son séjour là-bas, mais au final je la ressens comme une pièce d’un maître tchèque avec quelque inspiration folklorique américaine ; c’est l’oeuvre d’un véritable esprit tchèque, comme c’est le cas de son quatuor « Américain ». L’ouvrage a eu un énorme succès en Amérique; Dvorak était terriblement nostalgique de son pays, alors oui il a eu une certaine inspiration amérindienne et un certain rythme rappelant aux negro spirituals mais il les a travaillés à sa façon clairement tchèque.

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